Tout le monde connaît "La Mélodie du bonheur"

Grand Format

Silver Screen Collection/Getty Images

Introduction

Oscarisé cinq fois, "La Mélodie du bonheur" de Robert Wise est un énorme succès sorti en 1965, qui met en scène Julie Andrews, Christopher Plummer, sept enfants, des nonnes et des sympathisants nazis.

Chapitre 1
Une comédie musicale culte

Archives du 7eme Art / Photo12/AFP

"La Mélodie du bonheur" ("Sound of Music") est certainement l'un des films les plus vus de l'histoire du cinéma. Comédie musicale par excellence, le film a rapporté beaucoup d'argent.

Il raconte l'histoire émouvante de la famille von Trapp - basée sur la réalité néanmoins romancée par Hollywood - peu avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale en Autriche. Dans le film, le Capitaine von Trapp engage une gouvernante pour s'occuper de ses sept enfants. Il tombe amoureux et toute la famille fuit l'Autriche annexée, pour gagner la Suisse.

Le film de Robert Wise remporte cinq Oscars, deux Golden Globes et des fans dans le monde entier qui, encore aujourd'hui, visitent les lieux du tournage à Salzbourg et chantent en chœur les musiques du film.

Car au-delà de l'histoire de cette famille, des interprétations de Julie Andrews et de Christopher Plummer, c'est définitivement la musique de Richard Rodgers, sur les paroles d'Oscar Hammerstein, qui tient le rôle principal. Fondamentalement ancrée dans les codes de la comédie musicale, la bande originale du film va réussir à toucher des générations et des générations de spectateurs.

"Edelweiss", "My Favorite Things", "Climb Ev'ry Mountain", "Do-Re-Mi", "Something Good", "The Lonely Goatherd "ainsi que la chanson titre "The Sound of Music" sont devenus des succès.

Et de nombreux musiciens ont aussi repris ces airs. Rien que "My Favorite Things" a été reprise par John Coltrane, Carmen Souza, Sarah Vaughan, Mary J. Blige, Kelly Clarkson. Même Björk le chante dans le film "Dancer in the Dark" de Lars von Trier.

Chapitre 2
Une famille nombreuse aimant chanter

20TH CENTURY FOX / Archives du 7eme Art / Photo12/AFP

Nous sommes en Autriche, à l'aube de la Seconde Guerre mondiale. Maria, jeune femme pleine de vie et aspirante religieuse, peine à s'adapter à la vie du couvent. Elle s'échappe dès qu'elle peut pour courir dans la montagne, chanter et danser. La mère supérieure n'est pas tout à fait certaine qu'elle puisse faire une bonne religieuse.

Pour aider cette pétillante jeune femme à trouver sa voie, elle l'envoie travailler comme gouvernante dans la famille du Capitaine von Trapp. Veuf, il est le père de sept enfants qu'il élève et dirige comme des marins sur son bateau. La discipline règne dans la maison.

Maria se trouve ainsi confrontée à la froideur de cet homme et aux tours que jouent les enfants qui n'ont pas du tout envie d'une nouvelle gouvernante. Mais elle tient bon. Rapidement, en se détournant des conseils de discipline du Capitaine, elle apprend aux enfants à jouer et à chanter. Elle devient leur amie pendant que le Capitaine se fiance à une baronne viennoise.

Mais Maria saura également conquérir le cœur du Capitaine en ramenant la musique et la joie dans sa maison. Tous deux finissent par se marier et la famille entière se met à chanter.

Mais l'Histoire, la grande histoire les rattrape. L'Autriche, remplie de sympathisants nazis, est annexée par l'Allemagne. Le Capitaine von Trapp n'entend pas se faire dicter sa conduite et des idées auxquelles il n'adhère pas.

Apprenant qu'il est sommé de reprendre du service dans la marine, il s'enfuit avec toute sa famille. Ils s'éclipsent à la fin d'un spectacle de chant donné à Salzbourg et s'enfuient vers la Suisse en passant à pied par les montagnes.

Chapitre 3
La vraie famille von Trapp

AP Lindstrom Literary Management/Keystone

A l'origine de ce film, une histoire vraie, celle de la famille von Trapp. Maria est née en 1905. Orpheline à l'âge de 6 ans elle est confiée à un tuteur. Elle rejoint les jeunesses catholiques autrichiennes, parcourt avec eux les montagnes, les prés, chante beaucoup d'airs issus du folklore local.

Jeune adulte, elle se dit qu'elle sera religieuse et rentre au couvent. La suite de l'histoire, c'est la sortie du couvent pour devenir, non pas gouvernante comme dans le film, mais institutrice des sept enfants von Trapp.

Elle rencontre le Capitaine Georg Von Trapp, de 25 ans son aîné, en 1926 et l'épouse en 1927. Nous sommes donc dix ans avant ce que nous raconte le film. Hollywood aime dramatiser les choses et les producteurs du film ont certainement pensé que cette histoire serait encore plus efficace et dramatique si elle se situait au moment de l'arrivée des nazis.

Avant la guerre, et comme dans le film, le vrai Georg von Trapp refuse de collaborer avec les nazis et surtout de prendre le travail retiré à un concitoyen juif. Il fuit avec sa famille par l'Italie qui leur fournit des passeports légaux, puis se rend à Londres.

Pour survivre, la famille chante et danse. Ils fondent un ensemble instrumental et vocal dès 1935 qui se produit au Festival de Salzbourg et qui fait sensation. La famille finit par arriver aux Etats-Unis en 1938. Le couple élève alors 9 enfants, puisqu'entre-temps, Georg et Maria ont eu deux enfants et un troisième est en route. La guerre éclate et la famille a perdu tout son argent mais commence à donner des concerts un peu partout.

Les Américains sont séduits par cette famille atypique, venue du vieux continent, vêtue de costumes folkloriques, jouant un répertoire basé sur des musiques anciennes, des chansons populaires et du yodel. De plus, ils pratiquent des instruments anciens: épinette, violes de gambe, flûtes à bec.

Maria, forte tête, finit par convaincre la Columbia, la plus grande agence artistique new-yorkaise, de les produire. Et c'est le début du succès. Bientôt, les salles les plus prestigieuses se mettent à inviter les "Trapp Family Singers". On grave des disques, il y a des produits dérivés, des tournées internationales, des reportages photographiques.

Maria publie en 1949 "The Story of the Trapp Family Singers", qui devient très vite un best-seller. Tout semble sourire à la famille von Trapp.

La vraie famille Trapp qui a inspiré le film "La Mélodie du bonheur". Ici en 1946. [Courtesy Lindstrom Literary Management / Keystone]

En 1956, le cinéma s'intéresse à eux. Le milieu du spectacle décèle très vite le potentiel commercial du livre de Maria. Elle est approchée par un producteur allemand, Wolfgang Reinhardt, qui lui offre 10'000 dollars pour récupérer les droits de l'ouvrage. Elle réclame alors un pourcentage sur les royalties du film. On le lui refuse. Tant pis se dit-elle, 10'000 dollars c'est déjà assez.

A sa sortie, le film "Die Trapp Familie" est un immense succès en Allemagne, puis en Europe et aux Etats-Unis. Une suite est même tournée, intitulée "Die Trapp Familie in Amerika". Également un énorme succès.

En Allemagne les deux opus sont les plus grands succès cinématographiques de l'après-guerre. La famille entame des procédures pour récupérer ses droits, mais sans succès. D'autant que maintenant, c'est l'Amérique qui s'accapare des droits du récit, la version musicale arrivant par voie de conséquence à Broadway dès 1959.

La comédie de Rodgers et Hammerstein remporte un triomphe à Broadway et Hollywood s'empare du projet en 1965 avec la sortie de "La Mélodie du bonheur" de Robert Wise. Maria von Trapp court les talk-shows de la télévision américaine, donne des conférences et fait des oeuvres de charité, sans toutefois récupérer les droits de sa propre histoire.

Gagnant peu d'argent avec le film, la famille jouera de sa notoriété en enregistrant de manière folklorique les chansons de "La Mélodie du bonheur". Mais celles-ci, tellement célèbres, vont également faire tomber tout le répertoire traditionnel dans l'oubli. Le cinéma leur a volé leur vie.

Chapitre 4
Robert Wise, un réalisateur touche-à-tout

AFP

Polars, comédies musicales, science-fiction, western, horreur ou catastrophe, Robert Wise (1914-2005) est l'un des champions du box-office.

A 20 ans, on le retrouve devant une table de montage où il s'y montre excellent. Robert Wise sait comme personne capter les mouvements sur la pellicule, les corps dans l'espace.

En 1941, après cinq films montés, Robert Wise rencontre Orson Welles. Wise, 26 ans, monte alors avec Welles, "Citizen Kane". L'entente entre les deux hommes est parfaite. Mais elle devient la zone d'ombre la plus importante de toute sa carrière professionnelle.

Car Hollywood, gênée aux entournures par Orson Welles, va l'exiler. Il vient de tourner "La Splendeur des Amberson". Wise est chargé de monter les plans tournés par Welles. Mission impossible, car le studio veut simplement tuer le film. Résultat: Robert Wise sera accusé toute sa vie d'avoir saboté le film, pire, d'avoir mis fin à la carrière hollywoodienne de Welles.

Mais Robert Wise sait rebondir. Il passe presque par hasard à la réalisation en 1943, fait des films de série B et creuse sa voie jusqu'au triomphe de "West Side Story" en 1961. 10 Oscars, dont meilleur film et meilleure réalisation.

Le film "West Side Story" de Robert Wise.

Tourné après le monstrueux "Cléopâtre", au budget littéralement pharaonique, mais à l'échec tout aussi pyramidal, "La Mélodie du bonheur" est le film qui doit sauver la Twentieth Century Fox d'une faillite certaine. Et pour ce faire, ils veulent engager Robert Wise.

Auréolé du triomphe de "West Side Story", Robert Wise trouve tout d'abord l'histoire trop sirupeuse et refuse de la mettre en scène. Mais il finit par revenir sur sa décision et accepte le défi.

Il dit: "Sur le scénario de la version musicale de 'la Famille Trapp', j'ai tenu à ajouter suspense et humour. Et surtout, je voulais éviter le caractère enchanteur et conte de fées propre aux récits à l'eau de rose, il ne fallait pas que le film devienne trop sirupeux et trop mièvre".

Chapitre 5
Un acteur shakespearien pour jouer le Capitaine von Trapp

Robert Wise Productions / Argyle / Collection ChristopheL/AFP
Les acteurs Christopher Plummer et Julie Andrews. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

Pour incarner les rôles principaux de "La Mélodie du Bonheur", il fallait des gens avec du "coffre".

Quand la 20th Century Fox Film aborde le comédien Christopher Plummer, celui-ci n'est pas très motivé. Grand acteur shakespearien, il avoue avoir peur de casser sa crédibilité avec ce film. A 34 ans, ayant besoin de tourner, il hérite à contre-cœur de ce rôle de baron autrichien. A ses yeux, le film est gluant de bonnes intentions.

Robert Wise explique son choix: "Tout le monde sait qu'il est un grand acteur de renommée mondiale. Et nous espérons qu'il arrive à pousser son personnage du Capitaine von Trapp vers quelque chose de puissant, avec une certaine tristesse, comme il l'a déjà fait dans ses pièces. Nous pensons qu'un acteur de sa renommée pourra amener son personnage de Capitaine vers l'excellence."

C'est donc avec toute son aura de tragédien que Christopher Plummer embrasse le rôle du Capitaine. Et il le fait tellement bien que ce rôle éclipse tous les autres qu'il a joués.

J’avais déjà joué Hamlet et toutes ces grandes pièces et on ne me parle que du capitaine von Trapp depuis 50 ans! Je ne peux plus rien entendre à ce sujet.

Christopher Plummer, à propos de son rôle dans "La Mélodie du bonheur"

La chanson "Edelweiss" que l'acteur chante dans le film est devenue culte à tel point que beaucoup d'Américains pensent que c'est l’hymne autrichien.

Au moment de la sortie du film, le comédien espère secrètement que cette comédie musicale s'efface dans le brouillard des films du mois, d'autant que le New York Times qualifie sa prestation d'"affreuse".

Mais acclamé par le public, le film devient un incontournable du cinéma et Christopher Plummer est obligé de subir toute sa vie "La Mélodie du bonheur". Un cinéaste l'ayant dirigé raconte l'avoir vu exiger par contrat de ne pas parler de ce film durant le tournage tant cela l'exaspérait qu'à sa vue, acteurs et techniciens entonnent "Edelweiss" d'un air inspiré.

Chapitre 6
De Mary Poppins à Maria von Trapp

Haynes Archive/Popperfoto/Getty Images

Julie Andrews débute sa carrière à 12 ans comme chanteuse. Son beau-père, un bon ténor, décide de lui donner des leçons de chant. A la surprise générale, on découvre que Julie a une voix d'enfant prodige, très agile et qui s'étale sur quatre octaves. Elle commence alors à faire des tournées à travers l'Angleterre durant lesquelles elle épate les spectateurs en chantant des airs populaires dans un registre très aigu.

Quand j’étais sur scène à Londres, je rêvais de cinéma, mais ce n’était qu’un rêve que je croyais irréalisable (...). Je ne me suis jamais comparée aux actrices que j’admirais tant. Jamais je n’aurais pu penser avoir le talent d’une Bergman ou d’une Garbo. Mais c’est vrai, j’ai travaillé dur et payé mon dû pour en arriver là.

Julie Andrews, actrice

A 20 ans, en 1954, Julie Andrews débute à Broadway dans la comédie musicale "The Boy Friend". Tout va alors très vite. Elle joue "My Fair Lady" sur scène. Six mois plus tard, on lui offre le rôle de "Mary Poppins". C'est le début du phénomène Julie Andrews.

Après le tournage de ce premier film, la rumeur se répand qu'il y a une nouvelle actrice en ville et le réalisateur Robert Wise demande à la voir pour lui proposer le rôle de Maria von Trapp.

L'actrice Julie Andrews dans le rôle de Maria dans le film "La Mélodie du bonheur". [Wolf Tracer Archive / Photo12/AFP]

Entre son rôle de Mary Poppins et celui de Maria de "La Mélodie du bonheur", Julie Andrews devient l'actrice la mieux payée du monde.

Chapitre 7
Le tournage en Autriche

Michael Ochs Archives/ Getty Images

Le réalisateur Robert Wise utilise les décors naturels de la ville de Salzbourg en Autriche avec un bonheur poétique. Peu de scènes sont réalisées en studio. C'est une des clés du  succès de "La Mélodie du bonheur".

Le film "La Mélodie du bonheur" se passe dans les Alpes autrichiennes. [Robert Wise Productions / Argyle / Collection ChristopheL/AFP]

Ce gage d'authenticité confirme un parti pris réaliste pour l'ensemble du film. Les décors naturels jouent un rôle prépondérant dans ce conte de fées pour grandes personnes. Cet itinéraire dans un monde irréel où, ainsi que l'exigent les traditions de l'opérette – les images d'Épinal sont uniformément roses – Wise le conduit avec la maîtrise du parfait technicien sûr de son talent et de son habileté. Sa caméra, qui sait si bien capter les mouvements et les chorégraphies, capte l'essence des montagnes, les lieux historiques et la ville de Salzbourg.

Le château Leopoldskron est adapté pour devenir le domicile de la famille Trapp. On tourne également dans l'abbaye de Nonnberg, où le Baron et Maria se sont mariés en 1927. Au bord du Fuschlsee se tournent les extérieurs. L'église de Mondsee accueille la noce du film.

Christopher Plummer et Julie Andrews dans le film "La Mélodie du bonheur" de Robert Wise. [Archives du 7eme Art / Photo12/AFP]

C'est dans les montagnes autrichiennes, sur un pré que se tourne la première scène du film. Le tournage est très pénible. Il pleut, il fait froid, on tourne dans les rares moments de soleil. La production a fait grimper sur l'alpage tout le matériel et les comédiens dans des charrettes tirées par des bœufs. Sur place, on s'abrite de la pluie comme on peut dans des abris de fortune, sous des bâches des parapluies. On attend le soleil.

On finit enfin par tourner durant les 35 minutes de soleil de cette journée. Neuf prises sont nécessaires. Toute la scène est tournée avec un hélicoptère. Julie Andrews raconte: "Cet hélicoptère géant venait vers moi, de tous les côtés. Le caméraman était vraiment courageux. Il était assis à l'endroit où d'habitude on trouve les portes. Et l'hélicoptère devait me filmer d'un côté, puis de l'autre du champ où je devais tournoyer sur moi-même. On a tourné. Mais chaque fois qu'il me passait à côté, le vent des palles me projetait sur le sol".

En neuf mois, des liens se tissent et les enfants grandissent. Certains perdent quelques dents de lait (ce qui se voit à l'écran et permet de dater les plans!) et d'autres, les garçons surtout, gagnent de nombreux centimètres obligeant la "grande" Liesl à porter rapidement des talonnettes ou à monter sur des cageots pour garder sa taille d'aînée.

Chapitre 8
La sortie du film

Robert Wise Productions/Argyle/Collection ChristopheL/AFP

En mars 1965, le film sort au cinéma. A la première, le Tout-Hollywood se presse. Mais dans le public, il manque la vraie Maria Von Trapp. La production n'a pas jugé bon de l'inviter et lorsqu'elle s'en est inquiétée, on lui a simplement répondu qu'il n'y avait plus de place.

Les retombées économiques et l'impact auprès du public sont phénoménaux. A sa sortie, le film surpasse en termes d'entrées "Autant en emporte le vent". La bande originale du film est aussi un succès sans précédent. Certains critiques s'insurgent contre ce succès flagrant. Ils surnomment le film "Sound of Money".

La célèbre critique Pauline Kael publie un éditorial cinglant dans le magazine McCall's, le décrivant comme "un mensonge enrobé de sucre que le public semble disposé à avaler". Christopher Plummer, quant à lui, le surnomme "The Sound of Mucus" ("La mélodie du mucus"), considérant que "un peu de cynisme est nécessaire pour éviter le trop-plein de sentimentalisme".

>> A écouter: L'émission "Travelling" consacrée à ce film :

2011. La mélodie du bonheur [RTS]RTS
Travelling - Publié le 28 avril 2019

Le film est présenté aux Oscars de 1966 où il rafle cinq statuettes: celle de meilleur réalisateur pour Robert Wise, meilleur son, meilleur montage, meilleure adaptation musicale et meilleur film, la consécration suprême.

Le film poursuit ensuite une carrière internationale. Il reste numéro un mondial pendant six ans. L'histoire rocambolesque de la famille von Trapp racontée dans un livre, un spectacle et trois films, devient une fresque universelle.