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"The Walking Dead", la série trash sur les zombies décryptée par un historien

> Véritable phénomène de société, les séries historiques ont la cote. Les meilleures d'entre elles ont été décryptées par un panel d'experts de l'Université de Genève, dans le cadre d'un programme visant à interroger notre rapport à l'histoire. Ce travail a donné lieu à un cycle de conférences intitulé "The Historians".

>"The Walking Dead" est une série télévisée d’horreur américaine, adaptée par Frank Darabont et Robert Kirkman, créateur de la bande dessinée du même nom, diffusée depuis 2010 sur la chaîne AMC. La série relate le destin de Rick Grimes, shérif adjoint dans l’État de Géorgie, qui émerge d’un long coma. À son réveil, il découvre que la population a été décimée par une mystérieuse pandémie qui a transformé les êtres humains en morts-vivants.

> Décryptage de cette série ultra-violente, et pleinement assumée, avec Youri Volokhine, maître d’enseignement et de recherche au Département des Sciences de l’Antiquité de l’Université de Genève.

>> A lire: le dossier "L'histoire dans les séries" sur le site de RTS Découverte

ATTENTION: les vidéos ci-dessous comportent des scènes pouvant choquer les âmes sensibles.

Un monde brutal

Le complexe du loup-garou

"The Walking Dead" met en scène un monde dans lequel les rapports humains sont d’une brutalité extrême. La série s'inscrit dans le genre des "horrors novels" et de la "horror fiction" portée par des auteurs très célèbres comme H.P. Lovecraft.

Elle présente un univers fantastique qui intéresse les historiens et les anthropologues puisqu'on est en présence d'une sorte d'anthropologie de la mort, d'une vision d'un futur épouvantable, dystopique.

The Historians - S2 - The Walking Dead - Introduction
The Historians - The Walking Dead - Introduction / RTS Découverte / 5 min. / le 23 novembre 2018

Dans "The Walking Dead", un virus a ravagé l'humanité qui a été zombifiée. Pour survivre, les derniers êtres humains épargnés vivent retranchés derrière des palissades, dans des villes abandonnées et transformées en forteresses.

Fascination de la violence

Ce qui est développé au gré des épisodes, ce sont les rapports entre humains, souvent très cruels et très durs. L'anthropologue français Denis Duclos qui a travaillé sur la fascination de la violence dans la culture américaine parle de complexe du loup-garou. Il montre que la barrière qui sépare l'homme civilisé de la sauvagerie est très mince et qu'il existe une connivence nécessaire entre les deux: pour que le Bien soit valorisé, il faut que le Mal soit extrême.

Cette fascination pour l'hyper violence est en tout cas un des enjeux de "The Walking Dead". La série va très loin dans ce domaine, en s'interrogeant sur la nature des sociétés qui produisent ce type d'images.

Le zombie originel

Le mythe du mort-vivant

The Historians - S2 - The Walking Dead - Le zombie originel
The Historians - The Walking Dead - Le zombie originel / RTS Découverte / 5 min. / le 23 novembre 2018

"The Walking Dead" s'inscrit dans l'histoire des représentations de la mort en Occident. Au Moyen-Âge, il y avait la danse macabre, cohorte de squelettes prenant par la main des rois et des puissants pour les confronter à l'inéluctable, c'est-à-dire la mort.

Il y avait également la tradition des transis, art funéraire représentant un défunt de manière réaliste, nu, souvent en putréfaction. Manière de rappeler qu'un humain est un être de chair et que cette chair est destinée à la pourriture et à la destruction.

Le vaudou haïtien

A partir du XVIIIe siècle, l'Occident découvre la culture haïtienne et le vaudou, religion issue des cultes animistes africains et qui propulse la figure du zombie, un mort envoûté par un sorcier pour qu'il devienne son esclave.

Se crée alors en Occident une nouvelle mythologie autour du zombie, mythologie que le cinéma va explorer. D'abord en figure unique, puis en hordes. En 1932, sort "The White Zombie" ("Les morts-vivants") de Victor Halperin, avec Bela Lugosi, célèbre pour son interprétation de Dracula, le premier film consacré au sujet.

En 1966, "The Plague of the Zombies", ("L'invasion des morts-vivants") montre une armée de morts putréfiés. La prolifération devient un motif et influencera toute la production cinématographique de l'horreur, et en particulier la série "The Walking Dead".

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Produits dérivés du zombie

Se distancer de la figure du mort

Figure iconique du cinéma, le zombie a donné naissance à d’innombrables productions culturelles, de plus ou moins bon goût.

The Historians - S2 - The Walking Dead - Produits dérivés
The Historians - The Walking Dead - Produits dérivés / RTS Découverte / 6 min. / le 23 novembre 2018

Au cinéma, parmi les films de zombies qui ont marqué leur époque et influenceront d'autres productions, on peut citer la "Saga des zombies", série en six volets de George A. Romero dont le célèbre "Night of the Living Dead" ("La nuit des morts-vivants") en 1968 et "Dawn of the Dead" ("Zombie, le crépuscule des Morts-Vivants") en 1978.

Entre 1979 et 1981, le cinéaste italien Lucio Fulci sort quatre films de zombies qui ont engendré des dizaines de dérivés à l'époque du développement de la VHS, des films vidéo qu'on peut regarder sans honte chez soi.

Le cannibalisme, qui représente une transgression absolue, s'impose comme un motif récurrent du genre.

Les comics américains exploitent également le thème du mort et du mort-vivant.  D'ailleurs, à l'origine,"The Walking Dead" est une série de comic books américains publiés à partir de 2003.

On voit également apparaître des jeux vidéo, comme "Resident Evils", qui consistent à tuer des zombies qui ne sont plus des êtres humains mais une masse mouvante qu'on peut flinguer en toute liberté.

Dans la musique, l"horror rock" apparaît dans les années 80 avec Alice Cooper, Black Sabbath ou d'autres groupes qui vont s'emparer de motifs macabres. Des zombies apparaissent également dans des clips dont le plus célèbre, "Thriller" de Michael Jackson, va être un succès planétaire.

Conjurer la mort

Dans toute cette culture des morts-vivants, contrairement aux danses macabres du Moyen-Âge, la mort ne fait pas peur. On peut en rire et plaisanter avec; la conjurer en la tenant à distance. On voit d'ailleurs apparaître de nombreux films parodiques comme "Shaun of the dead".

Le zombie, un miroir social

Une critique de la société

Le cinéaste George Romero a fait du mort-vivant une figure centrale de son répertoire cinématographique. Avec lui, le film de zombies cesse de parler de la mort pour devenir une critique sociale et une satire de notre société.

The Historians - S2 - The Walking Dead - Le zombie, un miroir social
The Historians - The Walking Dead - Le zombie, un miroir social / RTS Découverte / 4 min. / le 23 novembre 2018

"Night of the Living Dead" ("La Nuit des morts-vivants"), long métrage sorti en 1968, se positionne résolument du côté de la critique sociale. Le film sort en pleine guerre du Vietnam, période où les images de guerre connaissent une forte médiatisation. Plusieurs éléments témoignent du regard critique de George Romero sur l'Amérique qui est la sienne.

C'est encore plus probant avec le film qu'il réalisera dix ans plus tard, "Dawn of the Dead" ("Zombie, le crépuscule des Morts-Vivants"), qui met en scène un groupe de survivants retranchés dans un supermarché qui leur sert de place forte.

Certains plans montrent des zombies errer dans les couloirs, répétant de manière absurde les gestes qu'ils faisaient quand ils étaient vivants. Ce type de plans témoigne du regard critique que George Romero portait sur l'Amérique qui était la sienne. Ses morts-vivants sont avant tout un prétexte pour parler de la culture de masse.

En 1979, le cinéaste italien Lucio Fulci réalise "Zombi 2", un film qui synthétise toutes les thématiques précédentes: les maladies mystérieuses qui transforment les humains en zombies, la peur des morts et l'avènement d'un apocalypse civilisationnelle. Le film se déroule à New York, puis dans les Caraïbes, renouant ainsi avec le motif du zombie dans le cinéma des années 30.

Toutes ces productions ont évidemment été des sources d'inspiration pour les réalisateurs de "The Walking Dead".

Un monde dystopique

La fin d'une civilisation

En exploitant le thème de la dystopie, soit le contraire de l'utopie, "The Walking Dead" peut aussi être perçu comme le miroir d’une époque qui redoute sa propre fin, en s’enfermant dans des dérives sécuritaires et des discours ambigus sur l’état de notre civilisation.

Dans la série, on voit beaucoup de hordes de personnes dépenaillées et horribles errant sur les chemins, se heurtant à des grilles et qui sont constamment repoussés par un groupe de survivants, lesquels sont murés dans des sortes de bunkers.

The Historians - S2 - The Walking Dead - La dystopie
The Historians - The Walking Dead - La dystopie / RTS Découverte / 5 min. / le 23 novembre 2018

Des parodies qui dérangent

Sur YouTube, on a pu voir ces dernières années des clips parodiques qui prennent des images de "The Walking Dead" pour les associer à des images d'actualité, où l'on voit des migrants qui se fracassent à des grilles ou qui errent sur les routes. Une manière dérangeante de mettre en résonance ces deux types d'images.

Le motif de la fin de civilisation avec un groupe de survivants armés et barricadés qui se défend résonne de manière évidente avec le mouvement "survivaliste".

De ce point de vue, "The Walking Dead" est une sinistre et cruelle dystopie qui scénarise le cauchemar d'une Amérique sécuritaire qui ne sait plus vraiment comment se protéger.

Crédits

Photographies: AMC Film Holdings LLC.

Réalisation web: Andréanne Quartier-la-Tente

RTS Culture

Novembre 2018