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Quand le cinéma s'affiche, le musée lui sert de vitrine

Une salle de l'exposition sur les 100 ans d'affiches des collections de la Cinémathèque suisse au Musée d'art de Pully. [Keystone - Laurent Gillieron]
Le cinéma raconté par ses affiches / Nectar / 32 min. / le 9 octobre 2018
La Cinémathèque de Lausanne détient des centaines de milliers d'affiches. Le musée d'art de Pully en a sélectionné 150 qu'il expose selon un ordre à la fois chronologique et thématique.

La Cinémathèque de Lausanne détient 500'000 affiches de films, de festivals ou de programmes, dont 36'000 ont déjà été numérisées. C'est plus que celle de Paris qui, pour l'instant, n'en a digitalisé que 23'000. C'est dire la richesse de ce temple du cinéma lausannois qui fête cette année ses 70 ans.

Un trésor qui doit beaucoup à André Chevallier, aujourd'hui retraité de la Cinémathèque de Lausanne, qui les a sauvées de l'oubli. Une archive de la radio romande le suit, à Locarno en 1987, en train de récupérer tout ce qu'il peut, sans trier, "car choisir celles qui semblent les meilleures, c'est prendre le risque de se tromper".

Tout garder, c'est le rêve de l'historien. Tout conserver, c'est le cauchemar de l'archiviste.

Gianni Haver, professeur associé à lʹInstitut des sciences sociales de lʹUniversité de Lausanne, et commissaire invité de l'exposition.

Le musée d'art de Pully a retenu 150 affiches pour son exposition "Le cinéma s'affiche: 100 ans d'affiches des collections de la Cinémathèque suisse". Sur quel critère? L'idée a été de croiser le regard de l'historien du cinéma et celui de l'historien de l'art. Ensemble, ils ont imaginé une exposition à la fois chronologique et thématique.

Sélectionnées au nom d'une pertinence esthétique, historique, cinématographique ou sociétale, toutes racontent le film dont elles sont la promesse, mais pas seulement. Et c'est ce "pas seulement" qui en fait l'intérêt. Les affiches, qui ont préexisté au cinéma, ont un statut hybride, ambigu.

>> A voir: quelques affiches de l'exposition :

Le cinéma s'affiche
Le cinéma s'affiche / RTSculture / 25 sec. / le 16 octobre 2018

Créées pour être éphémères, elles sont un élément de mémoire collective; fabriquées pour n'être qu'un support publicitaire, elles n'en restent pas moins intrinsèquement sublimes pour certaines; objets sans valeur, elles sont devenues un enjeu pour collectionneur.

Un film, plusieurs affiches

Un des intérêts de cette exposition est de montrer que pour un seul film, il existe plusieurs affiches, en fonction de la sensibilité ou de la culture du pays. Prenons l'exemple de l'affiche française de "Gilda", signée Boris Grinsson, conçue en deux panneaux, d'un format exceptionnel de 160X240 pour qu'elle soit vue de loin, autant par les piétons que par les automobilistes. La robe fourreau de Rita Hayworth - noire dans le film - devient couleur chair pour créer la confusion entre le vêtement et la peau de l'actrice, créant ainsi, l'illusion de sa nudité.

La version française de l'affiche du film "Gilda" évoque la pose de l'Odalisque de Manet. [DR - Collections Cinémathèque suisse]

Cette pose n'est pas sans rappeler celle de l'Odalisque de Manet. "Une affiche mobilise toujours des éléments de déjà-vu", explique Gianni Haver, professeur associé à l'institut des sciences sociales de l'Université de Lausanne, et commissaire invité.

Histoire du cinéma et des courants artistiques

"Si l'affiche, objet commercial et de masse, n'est pas une oeuvre, elle peut néanmoins refléter les différents courants de l'histoire de l'art", explique Victoria Mühlig, conservatrice du musée d'art de Pully. C'est ainsi que l'affiche du "Lion des Mogols" de Jean Epstein, avec Boris Bilinsky, est un splendide témoignage de l'Art déco ou que "L'Inhumaine" de Marcel Lherbier évoque la peinture de Fernand Léger.Certains illustrateurs ont même imposé leur signature, comme l'américain Saul Brass, qui a travaillé pour Otto Preminger, Hitchcock, Billy Wilder, Kubrick ou Scorsese. En France, Gilbert Allard est l'auteur de plus de 80 films, dont "Le Mépris" de Godard.

Banalisation et splendeur du vintage

A partir des années 70, avec la photo qui remplace l'illustration, les logos qui envahissent l'espace publicitaire et les super stars qui prennent toute la place, l'affiche se banalise. Comme outil promotionnel, aussi, sa force de frappe diminue au profit de la bande-annonce, de la promo-télé et aujourd'hui du bouche-à-oreille en ligne.

Plus que jamais, l'affiche lorgne du côté de la nostalgie et de la splendeur vintage. Comme en témoigne la petite salle du musée interdite au moins de 16 ans qui expose les affiches érotiques, flashy et tellement seventies, du réalisateur et producteur suisse Erwin C. Dietrich. Lequel a fait don de son petit trésor à la Cinémathèque.

Sujet Nectar proposé par Raphaële Bouchet. Réalisation web Marie-Claude Martin

"Le cinéma s'affiche: 100 ans d'affiches des collections de la Cinémathèque suisse". Musée d'art de Pully. Visible jusqu'au 16 décembre.

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