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"Guernica", chronique d'une scène d'horreur, a été peint il y a 80 ans

Véritable réquisitoire contre la guerre, le chef-d'œuvre de Picasso, "Guernica", incarne la protestation. [Getty Images - Denis Doyle]
Véritable réquisitoire contre la guerre, le chef-d'œuvre de Picasso, «Guernica», incarne la protestation. - [Getty Images - Denis Doyle]
Le 12 juillet 1937, le tableau "Guernica" de Picasso était présenté à Paris pour la première fois au public dans le cadre de l'exposition universelle.

Au printemps 1937, Picasso mettait la touche finale à une commande du gouvernement espagnol pour son pavillon à l'exposition universelle de Paris. Sujet imposé: le peintre et le modèle. Picasso choisit ce sujet lorsqu'il apprit le bombardement de Guernica.

Une ville dévastée

Le 26 avril 1937, les bombardiers italiens et allemands pilonnèrent la ville basque, la détruisant à 80%. Plus de 40 tonnes de bombes incendiaires et d'obus à fragmentation s'abattirent sur la population, provoquant impitoyablement mort et désolation. Des centaines de civils y laissèrent la vie. Le nombre exact de victimes n'a jamais pu être établi, mais on l'estime entre 200 et 1600 tués.

C'est grâce à ce bombardement que le général Franco et les putschistes nationalistes purent s'emparer de la ville tant convoitée – une victoire de plus contre le gouvernement espagnol de la seconde république, élu démocratiquement.

Des dimensions à la mesure de la souffrance

C'est la souffrance de la population qui a inspiré à Picasso le sujet de l'œuvre monumentale commandée pour l'exposition universelle: 8 mètres de long par 3,5 mètres de haut, telles étaient les dimensions prescrites pour le pavillon espagnol.

Pour ses figures cubistes, Picasso choisit le gris, le noir et le blanc. Avec, au centre, un cheval agonisant la bouche ouverte et la langue pendante, sur sa gauche une mère portant le corps de son enfant et à droite, des flammes et des personnes fuyant l'horreur. Avec les yeux exorbités, la bouche grand ouverte et la tête tournée à l'extrême. Toute la panique et le désespoir dans une représentation abstraite.

Des peurs dématérialisées

Le célèbre critique américain Clement Greenberg déclara à l'époque que le sujet faisait penser au sillon d'un rouleau compresseur fou. C'était bien la volonté de Picasso: faire de son œuvre un véritable réquisitoire contre la guerre, mais sans représenter concrètement ses peurs.

Contrairement à Goya, qui peint avec une lumière crue la guerre opposant les soldats napoléoniens au peuple espagnol (série des "Desastres de la Guerra"), Picasso s'employa à rendre l'horreur plus abstraite et intemporelle.

Le format monumental de la toile est tel qu'il est difficilement reproductible en photo. Il faut le voir de ses yeux pour en prendre toute la mesure et en ressentir la puissance.

Des visiteurs du MoMa devant le tableau "Guernica" de Pablo Picasso. [AP Photo / Keystone - Suzanne Vlamis]

>>A lire sur le site de SRF (en allemand): "Das Picasso-Wunder von Basel"

Une image de propagande

En 1937, le gouvernement vit l'œuvre comme un support de propagande. Pour lui, un tableau de Picasso valait autant qu'une victoire sur le front.

"Guernica" servira alors la cause républicaine et à la fin de l'exposition, accompagné de toute une documentation photographique sur les victimes de la guerre civile, le tableau partit en tournée, à Oslo puis à Stockholm, en passant par Londres et enfin à New York. L'œuvre y demeura jusqu'en 1981 – quand Picasso la légua à la future République espagnole.

Ce n'est qu'à la mort de Franco et après le rétablissement d'une démocratie en Espagne qu'elle rejoint Madrid, où on peut l'admirer aujourd'hui encore, huitante ans après sa première présentation au public.

Ellinor Landmann/Danja Nüesch/aq

>> Cet article a été initialement publié sur SRF Kultur, le 12 juillet 2017

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Gernika vs. Guernica

Gernika est le nom basque d'une ville du pays basque espagnol. "Guernica", comme Picasso a intitulé son œuvre, en est la dénomination castillane - le castillant étant la langue espagnole officielle.