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Plateforme 10 à Lausanne, la difficile équation entre exigence et convivialité

Ouvert cet été à deux pas de la gare de Lausanne, le nouveau pôle muséal vaudois a généré 150'000 visites de juin à septembre et noue de premières collaborations artistiques de prestige. Mais après un semestre d’activité, Plateforme 10 peine encore à concilier ses deux principales ambitions.

Devenir "un lieu de vie et de grande convivialité avec une exigence de programmation culturelle du plus haut niveau". Le 15 juin dernier, jour de l’inauguration de Plateforme 10, son directeur Patrick Gyger affichait ses ambitions.

Depuis, chacun des trois musées du nouveau quartier des arts vaudois - le MCBA, le mudac et Photo Elysée - présente des expositions originales, des rétrospectives de figures de l’art contemporain, et collabore avec des institutions qui comptent, comme la Tate Modern de Londres.

>> A écouter aussi: 200 chaises à voir au mudac pour sa première exposition à Plateforme 10 :

Le nouveau bâtiment du MUDAC et de Photo Elysée, droite, et celui du Musée cantonal des Beaux-Arts, MCBA, gauche, lors des portes ouvertes le dimanche 7 novembre 2021 à Lausanne. [Keystone - Laurent Gillieron]Keystone - Laurent Gillieron
Exposition de 200 chaises au Mudac pour sa première dans les locaux de Plateforme 10 / Le 12h30 / 2 min. / le 30 octobre 2022

Programmation pointue

"Les trois musées ont mis le paquet", salue Céline Eidenbenz, curatrice au Kunsthaus d’Aarau et membre d’ICOM Suisse, le Conseil international des musées. "Lausanne n’a rien à envier à ses partenaires suisses alémaniques ou même internationaux. On est dans des expositions de très haut niveau".

D’autres collaborations de marque sont annoncées par les trois musées de Plateforme 10 dont le budget annuel est de 27 millions de francs, un montant comparable à celui du nouveau Kunsthaus de Zurich.

"Cela répond aux exigences d’un public très éduqué, qui veut voir de l’art. On parle de 10 à 20% de la population suisse", estime Patrick Cotting, qui enseigne la promotion des institutions culturelles à l’Université de Neuchâtel. Selon lui, Plateforme 10 s’adresse à une élite et pas encore à toutes et tous. "Pour la grande majorité de la population, ce n’est pas encore assez attrayant".

Directeur de Plateforme 10, Patrick Gyger qualifie au contraire les expositions de "faciles d'accès, pas du tout excluantes, riches et colorées. Nous avons aussi beaucoup baissé le prix des billets et la grande majorité du public entre gratuitement dans l'un ou l'autre des musées de Plateforme 10", explique-t-il dans la Matinale de mardi.

Esplanade peu accueillante

"Je suis venue un samedi où l’entrée était gratuite pour tout le monde, donc évidemment la convivialité était au rendez-vous. Après, le reste du mois, à quoi ressemble Plateforme 10?", s’interroge Céline Eidenbenz. "Il y a encore du travail à faire qui relève de l’urbanisme, de décisions sur ce qui se passe entre les musées, dans la rue".

Obstruée par les containers du chantier de la gare, l’esplanade entre les musées demeure peu accueillante. "Aussi verdoyante qu’un tarmac d’aéroport", selon le magazine français L’Obs, la place a été rebaptisée "la plancha" par les Lausannoises et les Lausannois cet été. Elle est même devenue un sujet de politique cantonale, récupéré par les Verts. Quant aux restaurants et aux arcades, ils sont encore peu fréquentés.

"Si ce lieu devient un lieu de passage, où on ne va pas seulement pour voir de l’art, mais aussi pour manger, se divertir, acheter quelque chose, ou simplement s’asseoir voire faire une petite sieste comme on le fait à Vienne dans le MuseumQuartier par exemple, où il y a des crèches et beaucoup d’enfants, alors là peut-être que l’on arrivera à de la convivialité de façon plus constante", imagine Céline Eidenbenz.

"Le quartier de Plateforme 10 n'est pas terminé, précise Patrick Gyger. Nous allons travailler sur l'entrée en lien avec le chantier de la gare et avant l'été prochain, des choses vont se faire. On ne peut pas planter des arbres et espérer qu'ils deviennent de grands cèdres de cinquante mètres de haut."

Deux objectifs en tension

S’imposer comme une référence, nationale, voire internationale, dans le milieu des beaux-arts et s’inscrire localement comme un lieu convivial et populaire, les deux objectifs de Plateforme 10 ont quelque chose de contradictoire aux yeux de Pius Knüsel.

Pour l’ancien directeur de Pro Helvetia, devenir un quartier de vie demande beaucoup de travail de détail et d’enracinement dans le tissu social de la ville. "Cela ne suffit pas d’organiser quelques fêtes. Des fêtes, il y en a partout. Il faut trouver des idées, des tout petits projets de niche, qui attirent la diversité d’une société urbaine comme à Lausanne". Mais il prévient, c’est "non spectaculaire". "C’est un travail sur la longue durée qui requiert une grande sensibilité envers les gens qui ne s’intéressent pas à la culture et aux beaux-arts".

Un vaste chantier attend donc Plateforme 10 après quelques succès populaires, mais ponctuels cet été, comme la fête nationale du 1er août ou la projection de films en plein air en collaboration avec le festival de Locarno.

Julie Rausis/mh

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