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Avec"#Ingrid", Zoé Aubry questionne la représentation médiatique d’un féminicide

L'œuvre "#Ingrid", un travail politique qui questionne la représentation des féminicides et la force des réseaux sociaux. [Journées Photographiques de Bienne 2022 - Zoé Aubry]
#Ingrid: une arme visuelle pour combattre les féminicides / Vertigo / 5 min. / le 20 mai 2022
La photographe genevoise Zoé Aubry présente dans le cadre des Journées photographiques de Bienne son installation "#Ingrid", un travail politique qui interroge la force des réseaux sociaux et la couverture des féminicides par les médias.

À l’ère où notre image peut en tout temps être manipulée, photoshopée et modifiée, la photographie peut être aussi une force destructrice. On ne peut s’empêcher de penser aux filtres Instagram derrière lesquels on se cache ou aux stories instantanées qui nous permettent de nous fabriquer une vie.

L'ambivalence constitue la richesse de l’œuvre de Zoé Aubry. C’est ce procédé double qui a intrigué Sarah Girard, directrice des Journées photographiques de Bienne depuis 2018: "Elle parle à la fois du potentiel destructeur et du potentiel reconstructif de l’image. Dans son installation "#Ingrid", il est question de la représentation médiatique d’un féminicide et de la manière dont il est possible de la modifier par de 'belles' images".

Des "belles" images pour invisibiliser des clichés morbides

Le 9 février 2020 à Mexico, une femme de 25 ans du nom de Ingrid Escamilla Vargas est retrouvée morte, dépecée par son mari. Le féminicide devient alors médiatisé de manière outrancière: des photos de son cadavre sont publiées sur les réseaux sociaux et dans les tabloïds mexicains avec des titres comme "La faute à Cupidon", "Avant/ Après" suivi d’une photo de la jeune femme en bikini sur la plage.

Pour répondre à cette violence, une femme du nom de Délia sur Twitter décide de créer un spam pour invisibiliser ces photos morbides en postant de "belles" images. Elle enjoint également la communauté à suivre le hashtag #IngridEscamillaVargas. Plus de 400 images génériques de couchers de soleil, de coquelicots dans des champs, de bords de mer scintillants, résultent de cette invisibilisation, réponse visuelle pauvre à un acte visuel encore plus pauvre. Cette noyade a comme résultat que lorsque Zoé Aubry tape le nom de la défunte sur Google, les images de son cadavre n’apparaissent plus en premier.

#Ingrid: une arme visuelle pour combattre les féminicides

L’artiste genevoise a entrepris de continuer la lutte démarrée sur les réseaux. Elle a répertorié toutes ces "belles" images dans une œuvre éditoriale publiée auprès de RVB Books, ces mêmes illustrations que l’on voit disposées comme un livre ouvert dans son installation au Fotoforum Pasquart à Bienne.

"Ces images sont des contres-images parce qu’elles sont significatives par leur banalité. Conceptuellement, ce qui m’intéresse c’est qu’elles ne sont originellement pas postées pour être vues mais pour s’adresser aux algorithmes afin de faire disparaître d’autres images. La photographie est utilisée comme une arme", explique à la RTS Zoé Aubry.

La force positive des réseaux sociaux et de la collectivité

Dans cette histoire, on ne peut que s’empêcher de remarquer la force de la collectivité et des réseaux sociaux. "Individuellement, il est difficile d’avoir les outils pour se battre contre une corruption institutionnelle. Les réseaux sociaux permettent de créer une vague comme on l'a vu avec #metoo. Les réseaux sont un lieu de rencontre, de partage et même si cela reste virtuel, il y a un impact", détaille la Genevoise.

La force virtuelle étant démultipliée par le nombre d’internautes, la photographe propose de la même manière des copies aux spectateurs à la fin de son installation: "L’idée est de mettre à disposition toutes ces images pour que les gens puissent s’en saisir et les placarder dans la rue dans une forme de double continuum du mouvement collectif et participatif commencé sur le net. Le but étant de sortir du numérique et de se le réapproprier".

Layla Hasan Shlonsky

Adaptation web: mh

#Ingrid", par Zoé Aubry, à voir aux Journées photographiques de Bienne, jusqu'au 29 mai.

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