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Une exposition dévoile la collection privée de l'artiste Zao Wou-Ki

Certaines oeuvres de Zao Wou-Ki ont atteint plusieurs millions de dollars aux enchères. [AFP - François Guillot]
Un collectionneur nommé Zao Wou Ki / Nectar / 22 min. / le 17 octobre 2019
Le Musée d'art de Pully présente une seconde exposition dédiée à l'artiste d'origine chinoise Zao Wou-Ki. Après avoir en avoir présenté la facette consacrée à la gravure et à l'estampe en 2015, voici "Zao Wou-Ki, collectionneur".

On l'appelle volontiers le Picasso chinois tant la variété et l'ampleur de son œuvre, ainsi que sa notoriété sont remarquables. Zao Wou-Ki vient d'une très bonne famille, il a ce goût pour l'art, la culture et l'Occident. Il suit des cours dans une école des beaux-arts de Shanghai puis, comme tout jeune homme de bonne famille, il fait son voyage en Europe avec son frère.

Zao Wou-Ki a un véritable coup de foudre pour la France, pays de cœur qu'il choisit pour s'établir. Un choix judicieux si on pense aux conséquences de la révolution culturelle à venir.

Sa famille, je crois, a tout perdu ou en tout cas une grande partie. Ce sont des gens qui ont été déclassés et qui ont fait partie de cette élite aristocratique, culturelle, que le régime de Mao a voulu totalement détruire. Zao Wou-Ki perd sa famille, ce lien, tout ce travail qu'il avait fait.

Delphine Rivier, directrice du Musée d'art de Pully

Encre de Chine et flamboiements colorés

Zao Wou-Ki, Sans titre, 1982, encre de Chine sur papier, 103 x 103 cm, collection privée. [DR - Naomi Wenger]
Zao Wou-Ki, Sans titre, 1982, encre de Chine sur papier, 103 x 103 cm, collection privée. [DR - Naomi Wenger]

A peine arrivé en France en 1948, il s'entoure d'amis avec lesquels il chemine, s'inspire et inspire.

Son parcours artistique part de peintures réalistes: des portraits, quelques natures mortes et des paysages qu'il réalise encore en Chine, puis il se lance dans plusieurs types d'abstractions dès les années 1960. Plus tard, il se remet à l'encre de Chine, au moment où il perd sa première femme, comme s'il avait besoin de vider ses origines et ses traditions de toute lourdeur héréditaire pour les métaboliser et se les approprier. Il finira par des flamboiements colorés qui font vibrer la surface de ses grandes toiles.

Cet artiste naturalisé français a été très choyé par son pays d'adoption, de nombreux hommages et prix, Légion d'Honneur. En 2005, La Poste lui commande même un timbre. Mais c'est en Suisse, à Gland, qu'il finira ses jours, le 9 avril 2013.

Zao Wou-Ki, Sans titre, 2007, aquarelle sur papier contrecollé sur toile, 96 x 188 cm, collection privée. [DR - Dennis Bouchard]
Zao Wou-Ki, Sans titre, 2007, aquarelle sur papier contrecollé sur toile, 96 x 188 cm, collection privée. [DR - Dennis Bouchard]

Une collection comme un témoignage d'amitié

L'amorce de l'exposition proposée au Musée d'art de Pully est une grande photo de groupe, où l'on reconnaît le trentenaire Zao Wou-Ki entouré par des artistes hommes et on repère une femme sur la gauche, la future très grande artiste Veira da Silva. Des artistes qui ne savent pas encore la carrière et la renommée qu'ils vont avoir. Tout est devant eux.

Pierre Soulages, Sans titre, 1951, gouache sur papier, 65 x 50 cm, Collection du peintre Zao Wou-Ki / Donation Françoise Marquet-Zao, Musée de l'Hospice Saint-Roch, Issoudun. [DR - Antoine Mercier]
Pierre Soulages, Sans titre, 1951, gouache sur papier. [DR - Antoine Mercier]

Puis, on arrive dans les premières salles. On est d'abord plongé dans le cœur palpitant de Paris à la fin des années 1940, Zao Wou-Ki a 35 ans. Très vite il va être en lien avec toute une scène artistique, dont font partie notamment Alberto Giacometti, qui est son voisin de quartier à Montparnasse, Henri Michaux ou Soulages. Dans l'exposition, on suit toutes ces influences et échanges. L'artiste chemine sur les voies diverses de l'abstraction: tachisme, lyrisme abstrait, expressionnisme abstrait, qu'il découvre lors d'un long séjour outre-Atlantique.

"Cette collection, c'est l'histoire d'un homme qui, par admiration ou par amitié vraiment, va conserver des oeuvres, en échanger. Des oeuvres de peintres qui ont été proches de lui, avec qui il a eu des échanges artistiques, des liens personnels. C'est aussi un témoignage de ses voyages, de toute une activité culturelle et personnelle", explique à la RTS Delphine Rivier, directrice du Musée d'art de Pully.

Une exposition passionnante

Grâce à cette exposition, on observe comment Zao Wou-Ki va trouver son identité face à toutes les sirènes esthétiques européennes et face à ses racines profondément chinoises. De sa fréquentation assidue de Giacometti, il va allonger ses figures. La découverte de l'œuvre de Paul Klee en Suisse – il n'en avait vu que des reproductions – sera aussi une révélation pour Zao Wou-Ki. Il lui servira de guide intérieur, pour trouver sa ou ses voies, et intégrer des signes archaïques chinois, comme Klee invente des calligraphies imaginaires.

Paul Klee, Alte Inschrift, 1919, aquarelle et lavis d’encre sur papier, 9.5 x 12 cm, Collection du peintre Zao Wou-Ki / Donation Françoise Marquet-Zao, Musée de l'Hospice Saint-Roch, Issoudun. [DR - Antoine Mercier]
Paul Klee, Alte Inschrift, 1919, aquarelle et lavis d’encre sur papier. [DR - Antoine Mercier]

L'exposition est très riche et permet de traverser une carrière, des influences et un destin d'artiste. Le Musée d'art de Pully propose un accrochage dense et aéré, passionnant. Ce qui l'est aussi, c'est l'histoire des renversements. Si Zao Wou-Ki n'a pas été tellement mis à l'honneur par son propre pays pendant longtemps – il en récolte les honneurs seulement dans les années 1980 – l'œuvre de l'artiste atteint aujourd'hui des sommets en Chine. "Maintenant, on voit un regain extrêmement fort, un intérêt chinois phénoménal pour Zao Wou-Ki qui est considéré comme le Picasso national, comme le peintre qui a réussi à l'étranger", explique Delphine Rivier.

Florence Grivel/ld

"Zao Wou-Ki, collectionneur", jusqu'au 15 décembre au Musée d'art de Pully.

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