Pendant un an, de septembre 2017 à septembre 2018, le sculpteur Etienne Krähenbühl a collecté tous les plastiques de sa consommation quotidienne pour en faire des estampes. Il a d'abord pressé le plastique, puis l'a coloré à l'encre avant de l'imprimer sur des cartons.
Le sculpteur vaudois, surtout connu pour son travail monumental sur le métal, a ainsi réalisé deux gravures par jour, soit une fresque de 730 estampes, l'équivalent de 26 kilos de consommation! C'est trop mais trois fois moins pourtant que la moyenne suisse: 100 kilos par habitant en 2018.
Son travail est exposé jusqu'au 20 octobre au Centre d'art contemporain d'Yverdon-les-Bains.
A la fois beau et polluant
Son installation intitulée "Plastiques" est à la fois un hommage et un manifeste.
Hommage, car le sculpteur vaudois aime le plastique, qu'il trouve très beau et fascinant à travailler. Manifeste parce qu'en documentant sa consommation au jour le jour, Etienne Krähenbühl donne la mesure de l'omniprésence du plastique dans nos vies quotidiennes, et des dangers que ce matériau fait courir à la planète, notamment aux océans. Depuis 1950, la production de plastique a en effet été multipliée par 200, dont un tiers de déchets non recyclés.
C'est une catastrophe écologique mais ne comptez pas sur Etienne Krähenbühl pour provoquer en vous un sentiment de dégoût ou de rejet face à ces déchets. Son travail est bien plus plus subtil qu'une dénonciation littérale: il inclut, séduit, charme, avant d'interroger et de déstabiliser. Si son approche est citoyenne, elle n'en reste pas moins esthétique.
La beauté du matériau n'est pas remise en question, c'est par sa quantité que le malaise apparaît. Le plastique a envahi notre corps, notre quotidien, notre nature.
Le temps, son principal rival
Parce qu'il a le pouvoir de modifier la matière, de la rouiller, de la mouler, de l'éroder, de la lisser, de la sculpter, le temps demeure l'obsession d'Etienne Krähenbühl. "Le temps qui passe mais aussi le temps qu'il fait", précise l'artiste.
Ainsi, pendant l'année où il a collecté son plastique, le sculpteur s'est astreint à photographier tous les jours le ciel d'Yverdon-les-Bains pour en livrer une lecture climatique:
Ce ciel qui appartient à tout le monde et qui est infini. Mais l'avez-vous remarqué? Ce qui est gratuit n'a jamais notre considération.
Quand Etienne Krähenbühl s'empare d'un matériau, il aime en réveiller tous les potentiels. A chaque fois, une rencontre l'amène plus loin dans son exploration. Par exemple, en 1997, les travaux du Dr Rolf Gotthardt, de l'EPFL, spécialiste en alliages particuliers et métaux super-élastiques, le poussent à faire crier, chanter et bouger la matière. Malgré la force et l'effort que demande le travail du métal, des tonnes d'acier trouvent sous sa main une légèreté quasiment magique. Les deux hommes collaboreront pendant seize ans.
Une approche philosophique du plastique
Sa nouvelle recherche sur le plastique l'a conduit à faire la connaissance du Dr Rudy Koopmans, spécialiste mondial des plastiques, et enseignant à la Haute école d'ingénierie et d'architecture de Fribourg, qui "a une approche globale et philosophique de ce matériau". En faisant dialoguer depuis plus de vingt ans science et art, Etienne Krähenbühl poursuit son "Big Bang" intérieur.
Propos recueillis par Yves Zahno/mcm
"Plastiques d'Etienne Krähenbühl", Centre d'art contemporain d'Yverdon. Jusqu'au 20 octobre.