Le Musée d'art de Pully possède une belle collection d'oeuvres signées Jaques Berger (1902-1977). Pourtant, depuis 2002, le peintre vaudois n'avait plus fait l'objet d'une exposition. Pire, le peintre avait une image un peu poussiéreuse, notamment en raison de ses lithographies désuètes du Lavaux. "Le Geste nu", l'exposition que le Musée de Pully lui consacre jusqu'au 17 mars, répare cette injustice, en montrant les différents pans de son oeuvre singulière, exigeante et polymorphe.
Un parcours vibrant vers l'épure
Au départ, pendant dix ans, le travail de Jaques Berger s'inspire du cubisme et du surréalisme. Sa première exposition à Lausanne en 1933 ne rencontre aucun écho, "Rien, l'indifférence totale", écrit Françoise Jaunin dans la préface du catalogue. Vers 1936, par "nécessité d'une reprise de contact avec la réalité", l'artiste amorce un retour au figuratif; figuration qu'il abandonne ensuite pour le formalisme abstrait, avant de se dédier à la lithographie qui lui permet d'aller à l'essentiel.
En collaboration avec son ancien élève devenu maître lithographe, Nicolas Rutz, Jaques Berger dessine sur des cailloux, dont il apprécie les accidents. Ces pierres sont bien plus qu'un support, "une matière à habiller". Ultime geste vers l'épure, Jaques Berger travaille ensuite sur des minéraux miniatures, des bouts de mosaïque qui l'obligent à avoir le geste juste, unique et exact. "Refaire la même chose sans jamais se répéter" écrit-il dans ses cahiers.
Il existe néanmoins un point commun à ses différentes approches: la lumière et tout ce qu'elle peut produire en contrastes, découpages de silhouettes et variations de couleurs. "Né au bord du Léman, Jaques Berger a beaucoup observé les baigneurs et constaté qu'à certaines heures, la lumière ronge les corps et qu'à contre-jour, elle avale le cou et les visages", dit Jeremy Gafas, co-commissaire de lʹexposition avec Aglaja Kempf, historienne de l'art.
Oublier ce qu'on a appris
Tantôt trop avant-gardiste, tantôt trop classique, Jaques Berger méritait une exposition qui pose sur son oeuvre un regard neuf, sans préjugé, comme le peintre lui-même s'est toujours efforcé de le faire avec son travail. "Il faut oublier ce qu'on a appris", disait cet homme très cultivé, assez secret et habité par le doute permanent. A la fin de sa vie, Jaques Berger passait son temps à effacer, recommencer, effacer, recommencer à nouveau, pour être au plus près de son instinct. "Un trait faux mais vivant vaut mieux qu'un trait juste et mort". Pour échapper au contrôle de l'oeil et de la raison, celui qui fut un moment dans la mouvance surréaliste avait appris à exécuter des dessins rapides, deux minutes maximum, et souvent les yeux fermé.
Allergique à la térébenthine
Mais pour poser un regard neuf sur les choses, il faut d'abord enlever la poussière. Ce que le Musée a fait en nettoyant les oeuvres et en les réencadrant.
Ses tableaux sont très fragiles. Berger avait développé une allergie à la térébenthine qui l'obligeait à recourir à d'autres techniques que l'huile, comme la tempera, par exemple, très délicate. En les restaurant, les tableaux ont retrouvé toutes leurs couleurs, leurs nuances, leurs transparences.
L'exposition fait aussi la part belle aux carnets de l'artiste, richement illustrés. Jaques Berger avait la plume incisive et le sens des formules, recopiant parfois celles des autres quand elles lui apparaissaient pertinentes. Comme cette phrase de Georges Braque qu'il a fait sienne: "Il faut toujours avoir deux idées, une pour détruire l'autre".
Propos recueillis par Florence Grivel
Adaptation web: Marie-Claude Martin
"Jaques Berger. Le geste nu", exposition au Musée d'art de Pully, jusqu'au 17 mars 2019