"Je ne me vois pas arrêter d'écrire. Quand je n'écris pas, je suis dépressif, anxieux. Ecrire me tient à distance de la dépression" déclarait Philip Roth en 2010 dans le documentaire "Philip Roth sans complexe", réalisé par William Karel et Livia Manera.
Deux ans plus tard, le 18 septembre 2012, après avoir publié "Nemesis", cet observateur lucide de la société américaine déclarait à l'écrivain-journaliste Nelly Kaprièlian qu'il n'écrirait plus: "J'en ai fini avec la fiction. Je ne veux plus en lire, plus en écrire, et je ne veux même plus en parler".
La peur du livre médiocre
L'homme, qui a déjà 82 ans et plus de 30 livres derrière lui, disait ne plus avoir la "témérité littéraire" nécessaire. Avec l'honnêteté qui l'a toujours caractérisée, il pose la question:
Si j'écris un nouveau livre, il sera probablement raté. Qui a besoin de lire un livre médiocre?
La nouvelle de cette retraite - geste très rare chez un écrivain - est reprise par le monde entier: désormais, Philip Roth sera l'écrivain qui n'écrit plus - et à ce titre un écrivain au carré; le Marcel Proust américain, selon le professeur de littérature américaine Philippe Jaworski; le génie de l'autobiographie délirante; le chroniqueur avisé de l'Amérique; le "dernier écrivain absolu" dont le travail a été structuré par la littérature, et non par la télévision, selon l'écrivain Marc Weitzmann.
L'humour, tout le temps
Pressenti chaque année pour le Nobel de littérature, Philip Roth ne l'aura jamais. Ce qui était devenu, selon la journaliste Josyane Savigneau qui l'a souvent rencontré, un gag pour lui. Philip Roth avait le sens de l'humour. C'était un des fils conducteur de son oeuvre. François Busnel parle de lui comme d'un génie comique: il pouvait raconter les pires blagues juives et sexuelles, et guetter vos réactions. "Il était un grand anthropologue du genre humain".
Peu sensible aux honneurs et aux mondanités, Philip Roth avait été néanmoins content de recevoir la Légion d'honneur et d'entrer en 2017 dans la Pléiade avec cinq romans et nouvelles de jeunesse publiés entre 1959 et 1977. La France l'a sacralisé, plus que les Etats-Unis.
Oeuvre protéiforme
Né en 1933 à Newek (New Jersey) dans le quartier juif de la 2e et 3e génération, Philip Roth disait qu'il n'avait jamais entendu parler dans son enfance l'hébreu ou le yiddish, seulement l'anglais.
Cela ne veut pas dire que nous n'étions pas conscients d'être juifs, mais de manière laïque, à l'américaine.
Ce quartier qui dit bien la grandeur et la décadence de l'économie américaine.
C'est "Portnoy et son complexe", long monologue chez un psychanalyste, qui l'a révélé au grand public en 1969. Plus de 5 millions d'exemplaires vendus dans le monde. Le livre fait scandale pour ses descriptions sexuelles très crues et sa façon d'aborder la judaïté. Deux thèmes qui traverseront son oeuvre.
Mais si ses premiers livres sont caustiques et provoquants, les derniers sont beaucoup plus sombres et mélancoliques. Ils tournent autour de la maladie, de la déchéance physique et de la mort comme en atteste "Le Rabaissement", sorti en 2009.
Chroniqueur de l'Amérique du XXe siècle
Philip Roth était un écrivain habité, obsédé par son travail pendant 60 ans, écrivant un roman tous les deux ans. C'était aussi un immense chroniqueur de l'Amérique du XXe siècle, et début du XXIe siècle.
Dans "La Tache" (2000), il dénonce une Amérique puritaine et renfermée sur elle-même; dans "Pastorale américaine" (1997), il évoque les ravages de la guerre du Vietnam dans la conscience nationale et dans "Le complot contre l'Amérique" (2004), il imagine le destin d'une famille juive de Newark si les Etats-Unis avaient élu l'aviateur Charles Lindbergh, aux sympathies pro-nazies, plutôt que de réélire Franklin D. Roosevelt en 1940. Une des ses dernières passions était de commenter l'état de l'Amérique. Il n'était pas tendre avec ses présidents.
Ses doubles vertigineux
Pour parler de cette Amérique, il s'est inventé des doubles, à travers lesquels il pouvait s'exhiber et se dissimuler à la fois: l'écrivain juif new-yorkais Nathan Zuckerman ou le jeune professeur de littérature comparée David Kepesh. Dans "Opération Shylock: une confession", il rend son double encore plus vertigineux puisqu'il s'appelle... Philip Roth.
Retiré dans sa maison de Connecticut, l'écrivain retraité passait son temps à lire, nager, écrire à ses amis et surtout leur téléphoner depuis qu'il avait découvert, sur le tard, le téléphone portable.
Marie-Claude Martin avec les agences et RTS Info