"Dracula" de Tod Browning en 1931. [AFP]
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Joyeux anniversaire Dracula!

>> 2022 est une année spéciale pour les amoureux des vampires: ce sont les 125 ans de la parution du roman "Dracula" en 1897, qui a véritablement installé la figure du comte suceur de sang.

>> Dracula fête ses 125 ans et toutes ses dents. Le prince des ténèbres, le parasite le plus fameux de la pop culture, jouit d'une jeunesse éternelle. Dracula a su séduire le cinéma, la littérature, les mangas.

>> 2022, c'est aussi le 30e anniversaire du "Dracula" de Francis Ford Coppola, qui a pulvérisé l'image classique du comte - fini les cheveux gominés, le smoking et la cape. Avec le film de Coppola, on est plus proche du roman initial pour la trame, les décors et le portrait de Dracula.

Une proposition d'Ellen Ichters

Adaptation web: RTS Culture

La figure subversive du vampire

Qui est vraiment Dracula?

Avant toute chose, il faut préciser que Dracula est - bien évidemment - un personnage fictif inventé par le romancier irlandais Bram Stoker. Avant cela, Dracula n'existe pas dans l'univers de la fiction, et d'ailleurs, les vampires sont très discrets.

Mais le XIXe siècle change tout. C'est la grande mode du romantisme, des romans gothiques, et de la naissance du fantastique: des courants littéraires qui font écho à un monde qui se métamorphose, et où les avancées de la science côtoient le surnaturel, l'inexplicable, l'occulte et, parfois, l'horreur.

En 1888, l'un des faits divers les plus horribles de toute l'histoire frappe Londres: les meurtres perpétrés par Jack L'Eventreur. Une véritable boucherie dont les victimes sont des femmes, et qu'on ne résoudra jamais. L'affaire fait planer une ombre sur la vie nocturne de la capitale britannique et enflamme l'imaginaire de la population, à la fois terrifiée, mais qui devient encore plus friande de romans sanglants.

Dans une Angleterre corsetée par le puritanisme de la Reine Victoria, la figure subversive du vampire est déjà une échappatoire bienvenue.

>> A écouter: l'épisode 1 de "Spectrum" :

"Dracula" de Tod Browning en 1931. [AFP]AFP
Dracula, la pop culture a son comte 1/4 / Spectrum / 4 min. / le 5 septembre 2022

Le roman à succès

De l'exotisme et de l'érotisme

Bram Stoker est un critique de théâtre fréquentant le gotha londonien de la fin du XIXe siècle - entre autres Arthur Conan Doyle, père de Sherlock Holmes, mais aussi Oscar Wilde, le roi des dandys.

Son travail l'amène à mélanger une vie de voyageur avec une vie de rat de bibliothèque, deux mamelles qui vont alimenter chez lui une culture folklorique impressionnante. Bram Stoker s'intéresse à tout, particulièrement à la Roumanie, aux Carpates et à la Transylvanie. D'anciennes légendes parlent d'un tyran sanguinaire - Vlad III L'empaleur, surnommé Draculea, le fils du dragon.

Certains récits décrivent ce seigneur, ce voïvode qui a vécu au XVe siècle, comme étant "un vampire sanguinaire se repaissant de chair humaine et buvant du sang, attablé devant une forêt de pals". Vlad Tepes, comme on l'appelle aussi, aurait systématiquement fait écorcher, bouillir, décapiter, aveugler, étrangler, pendre, brûler, frire, clouer, enterrer vivants, mutiler atrocement et bien sûr empaler tous ses contradicteurs.

>> A écouter: l'épisode 2 de "Spectrum" :

Représentation de Vlad Tepes III l'empaleur ou Dracula (1431-1476) qui inspira le Comte Dracula de Bram Stoker. [AFP]AFP
Dracula, la pop culture a son comte 2/4 / Spectrum / 5 min. / le 6 septembre 2022

Bram Stoker, d'après ce que l'on sait, écrit des romans pour vendre. Il voit dans cette histoire de comte maudit mort-vivant une occasion en or pour faire un carton. Il décide d'en faire un roman épistolaire: un journal intime rédigé chronologiquement par chacun de ses protagonistes, racontant leur combat contre le vampire.

Le pitch est simple: Jonathan Harker, jeune avocat, est envoyé en Transylvanie chez un vieux comte afin de régler les papiers pour son déménagement à Londres. Le vieux comte est en fait Dracula, qui séquestre le jeune homme, avant de faire le voyage pour Londres, par bateau, caché dans un cercueil. Dans la capitale, grâce à son agent Renfield, Dracula va contaminer deux femmes, Lucy, puis Mina, la fiancée de Jonathan, avant de se retrouver face à son ennemi juré - Abraham Van Helsing. L'histoire se termine avec un pieu et une décapitation.

Le roman "Dracula" sort en mai 1897, et le public anglais adore. Il y a tout ce qu'il faut: du sang, de l'exotisme, de l'érotisme. Et certains personnages sont subversifs et avant-gardistes pour l'époque: Lucy symbolise la femme libérée sexuellement, et Mina symbolise la femme nouvelle, intellectuelle et en charge de sa carrière. Et puis, il y a ce comte qui pénètre littéralement la gorge de ses victimes hommes et femmes avec ses dents, ce qui ajoute une dimension sexuelle et homosexuelle au roman.

L'entrée dans la pop culture

Dracula et autres monstres

Le début du siècle offrait un nouveau médium merveilleux: le cinéma. En 1922, c'est l'Allemagne qui se met la première à oser le vampire sur pellicule avec le "Nosferatu" de Friedrich Wilhelm Murnau. Sa figure prend les traits du comte Orlok, un homme chauve vêtu de noir, et hyper reconnaissable avec ses yeux globuleux, ses longues oreilles, ses grandes griffes et ses drôles de dents de lapin. L'histoire est quasiment celle du roman, avec un petit twist: le vampire meurt brûlé par la lumière du jour.

Malheureusement, tout ça ne passe pas inaperçu auprès des héritiers de Bram Stoker qui crient au plagiat et obtiennent que toutes les bobines du film soient détruites. Il n'en reste aujourd'hui que cinq qui n'ont été restaurées que dans les années 1990.

L'affaire est tout autre aux Etats-Unis, où les copyrights du roman ne sont pas les mêmes, et où depuis la fin des années 1920 "Dracula" a été adapté en pièce à succès, sur Broadway. Puis, les studios Universal rachètent les droits de la pièce et en font un film avec Bela Lugosi dans le rôle-titre.

Le film sort le 12 février 1931 au Roxy Théâtre de New York. Les revues de presse parlaient de cris dans la salle, et même d'évanouissements. Ce sera l'un des plus gros cartons de l'année 1931 pour Universal, qui la même année sortira "Frankenstein". Grâce à eux, Universal démarre sa série des monstres. Avec le loup-garou, la momie, et la créature du black lagoon, les déclinaisons sont immenses.

>> A écouter: l'épisode 3 de "Spectrum" :

Dracula dans le film de Tod Browning, sorti en 1931. [AFP - Archives du 7eme Art]AFP - Archives du 7eme Art
Dracula, la pop culture a son comte 3/4 / Spectrum / 4 min. / le 7 septembre 2022

Dracula à toutes les sauces

Du cinéma au manga

Même si Universal a figé une certaine image de Dracula, ça ne veut pas dire qu'il n'en existe pas d'autres. L'Angleterre de l'après-guerre sait aussi faire des films d'horreur, et une société de production va même se spécialiser dans ce genre: la Hammer.

Entre les années 1950 et les années 1970, la Hammer va mettre en scène toutes sortes de monstres, et faire émerger une autre image de Dracula dans "Le cauchemar de Dracula" de Terence Fischer, sorti en 1958. Un film à ne pas rater parce qu'une nouvelle figure du comte sanglant y fait son apparition, incarné par Christopher Lee, acteur mythique qu'on reverra bien plus tard en Saroumane dans "Le seigneur des anneaux".

Avec ses 1m96 et son charisme tout britannique, Christopher Lee va ajouter une autre dimension à Dracula: la couleur du sang, les canines bien visibles, des pieux enfoncés, mais surtout, l'animalité, la sensualité et l'érotisme. Avec lui, les victimes ont toujours un décolleté très invitant, et semblent totalement consentantes, en attente d'une jouissance par la morsure d'un prédateur sexuel.

>> A écouter: l'épisode 4 de "Spectrum" :

"Le Dracula" de Coppola est plutôt victime de sa malédiction que monstrueux. [Collection ChristopheL - American Zoetrope / Columbia Pic /]Collection ChristopheL - American Zoetrope / Columbia Pic /
Dracula, la pop culture a son comte 4/4 / Spectrum / 5 min. / le 8 septembre 2022

Avec la libération sexuelle, et pas mal d’années à son actif, la figure de Dracula va explorer d'autres genres. Elle connaissait déjà la comédie, la voilà dans l'érotisme comme dans "Blood For Dracula" que va tourner l'équipe de Warhol en 1973, mais aussi la pornographie parfois, le camp, et … les luttes pour les droits civiques. Dans "Blacula" en 1972, le vampire franchit le seuil de la Blaxploitation. Dans ce film devenu culte, un prince africain approche Dracula afin qu'il libère son peuple réduit à l'esclavage.

Le premier film le mettant en scène aux Etats-Unis était réalisé par un géant, Tod Browning, à qui l'on doit le film "Freaks". Grâce à l'actrice Winona Ryder qui lui suggère sans grand espoir de jeter un coup d'oeil à un script, Francis Ford Coppola va s'emparer du mythe au début des années 1990.

Il va réaliser son "Dracula" à l'ancienne, avec poésie et mystère, en plaçant une histoire d'amour au centre. Grâce à son fils Roman et à des superpositions de pellicule et des décors peints, auxquels s'ajoutent les merveilleux costumes de la designer japonaise Eiko Ishioka, Dracula prend des airs de film muet parfumé à l'horreur.

Enfin, c'est bien sûr Gary Oldman qui va donner un air de prince russe à Dracula, et lui faire explorer encore d'autres univers, comme celui du manga.