Lagos, une ville monstrueusement fascinante

Grand Format

AFP - PIUS UTOMI EKPEI

Introduction

Chaque samedi, le Trio, sur la Première, propose un tour du monde en huit étapes: huit villes évoquées à travers des livres, des films, des séries ou des penseurs. Aujourd'hui, Lagos, au Nigéria. Ville portuaire surpeuplée, première puissance économique de l’Afrique, Lagos est aussi une capitale culturelle en pleine effervescence.

Chapitre 1
Dixième mégapole mondiale

AFP - YASUYOSHI CHIBA

Rien n’est fait pour plaire au visiteur. A cet égard, Lagos possède une certaine forme d’authenticité parce qu’elle ne cherche pas à se faire bien voir; elle répondra à votre amour par une étreinte, à votre haine par un haussement d’épaules. Ce que vous voyez à Lagos, c’est ce que Lagos est vraiment.

Chimamamda Ngozi Adichie, écrivaine.

Ce sont les mots de Chimamamda Ngozi Adichie, écrivaine nigériane qui vit entre Lagos et Washington. Romancière multiprimée, elle est devenue la figure de proue du féminisme "pop" depuis "Nous sommes tous des féministes", un texte écrit en 2014, traduit dans plus de vingt langues et chanté par Beyoncé.

Autre vision de Lagos, celle de l'écrivain et photographe Teju Cole dans "Chaque jour appartient au voleur", publié chez Zoé. Il s'agit d'un roman très visuel, en 27 tableaux, que recommande la chroniqueuse Geneviève Bridel. "Les sources de fascination ne sont jamais taries. Les gens invoquent une conception du réel qui ne coïncide pas avec la mienne. Ils trouvent des solutions merveilleuses à des problèmes sordides; j'y vois une noblesse d'esprit bien rare en ce monde", écrit l'auteur.

Né à Lagos, qu'il a quittée à l'adolescence, Teju Cole qui vit aujourd'hui aux Etats-Unis, n'est pourtant pas pas tendre avec sa ville d'origine à laquelle il reproche sa corruption quotidienne et sa culture de l'à-peu-près.

Lagos n'a pas de métro et les embouteillages durent des heures [NurPhoto via AFP - Olukayode Jaiyeola]
Lagos n'a pas de métro et les embouteillages durent des heures [NurPhoto via AFP - Olukayode Jaiyeola]

Lagos, cette mégapole chaotique où les enjeux urbanistiques ressemblent à un casse-tête.

Lagos, où les axes routiers sont en permanence paralysés par les embouteillages.

Lagos, dixième mégalopole mondiale, qui ne dispose pas de métro et qui oblige ses habitants à passer plus de trente heures par semaine dans les bouchons pour aller travailler.

Lagos, cette ville de 22 millions d'habitants à la croissance démographique folle depuis cinquante ans.

Un bidonville qui témoigne de l'extrême pauvreté d'une grande partie de la population. [AFP - PIUS UTOMI EKPEI]
Un bidonville qui témoigne de l'extrême pauvreté d'une grande partie de la population. [AFP - PIUS UTOMI EKPEI]

L’exode rural est massif vers cette bouche nourricière du golfe de Guinée. "Lagos", qui veut dire "lacs" en portugais (la ville a gardé son étymologie coloniale) est une lagune ouverte sur l’Atlantique, un port puissant qui vit du pétrodollar, et où les bateaux doivent patienter parfois des semaines avant de pouvoir débarquer leurs marchandises.

Mais les infrastructures pour absorber ce flux migratoire sont inopérantes, sans compter le réchauffement climatique qui provoque la montée des eaux et l'érosion constante des côtes. Lagos, c’est une démographie qui croît au même rythme effréné que l’économie du bâtiment qui fait tout pousser vers le haut, faute de place au sol.

Les bénéficiaires en sont la classe moyenne émergente et les ultra-riches. Pour tous les autres, c’est la pénurie de logements salubres. Près de deux tiers de la population vit sous le seuil de l’extrême pauvreté et dépend des économies informelles de la débrouille, pour survivre.

Chapitre 2
Le Dubaï de l'Afrique

AFP - Moise GOMIS

Il se déroule actuellement à Lagos une politique de destruction des bidonvilles et d’expropriations de leurs habitants au profit de projets plus valorisants pour l’image que veut se donner la ville.

Dans un article récent, Adrian Gasser, étudiant en science politique de l’Université de Lausanne, mobilisait les concepts d’urbicide ou encore de "destruction créatrice" pour caractériser cette politique qui paupérise encore davantage les populations les plus précaires, notamment dans les quartiers résidentiels de Lekki ou de Otodo-Gbame.

>> A écouter, les trois chroniques de Le Trio sur la Première :

Vue de Lagos, Nigéria. [Unsplash - Joshua Oluwagbemiga]Unsplash - Joshua Oluwagbemiga
Le trio - Publié le 25 juillet 2020

Même l'océan n'arrête pas sa course au développement urbain. En témoigne le projet titanesque d’Eko Atlantic, sorte de "Dubaï de l’Afrique", une enclave privatisée qui est en train de transformer le littoral, en créant une île artificielle à l’aide de millions de mètres cubes de sable ponctionné dans l’océan.

La menace qui guette cette expansion ambitieuse de Lagos, c’est l’érosion de ses propres sols et la montée des eaux. On pourrait dire que Lagos est littéralement un colosse aux pieds d’argile.

Chapitre 3
Effervescence culturelle

AFP - PIUS UTOMI EKPEI

Mais Lagos, malgré ou grâce à son expansion fulgurante et son effervescence économique, est aussi d'un dynamisme culturel hors pair. Elle est par exemple la capitale de la mode du continent africain. En témoignent la Lagos Fashion Week qui a détrôné Johannesburg ou encore le plus accessible GT Bank Fashion Weekend.

Lagos est la capitale de la mode africaine. [NurPhoto via AFP - Zhang Baoping]
Lagos est la capitale de la mode africaine. [NurPhoto via AFP - Zhang Baoping]

Les créatrices et créateurs nigérians, des griffes comme Kenneth Ize, Orange Culture, Maki Oh ou encore Ugo Monye ou Fruché sont prescriptrices en matière de mode africaine et de valorisation des syncrétismes entre tendances contemporaines et fierté traditionnelle, des textiles, des formes et des motifs.

Lagos connaît le même bouillonnement avec le cinéma et son fameux Nollywood tandis que la musique, héritage de l’afrobeat et de la dynastie Fela Kuti, fascine les producteurs américains.

Mais Lagos a aussi sa foire internationale d’art contemporain et LagosPhoto ainsi qu'une prolifique scène littéraire, comme en témoigne le festival annuel Aké, créé en hommage à l’œuvre de Wole Soyinka, prix Nobel de littérature en 1986 et figure emblématique du pays par son engagement contre les dérives gouvernementales.

Wole Soyinka, prix Nobel de littérature. [AFP - KOLA SULAIMON]
Wole Soyinka, prix Nobel de littérature. [AFP - KOLA SULAIMON]

Dans cette démesure qui caractérise Lagos, il faut encore citer une autre écrivaine, dont les prophéties afrofuturistes invitent à l'optimisme. Nnedi Okorafor, auteure revigorante de SF américaine d’origine nigériane, imagine dans "Lagoon", publié en 2014, que les aliens et les humains travaillent ensemble à une utopie aquatique afin de bâtir un Nigeria postcapitaliste plus égalitaire.

Chapitre 4
Nollywood, une industrie très rentable

AFP - CRISTINA ALDEHUELA

Depuis dix ans, le Nigéria est devenu la deuxième puissance mondiale en matière de production cinématographique, juste derrière l’Inde et loin devant les Etats-Unis. Nollywood - N pour Nigeria - produit quelque 2000 films par an pour un coût défiant toute concurrence: 10'000 dollars par film!

Entre drames de la vie à connotation ésotérique et comédies vaguement polissonnes, ces films tournés en vidéo et postproduits très rapidement sont parlés en langues africaines - près de 450 au Nigéria - pour s'adresser à un marché local de 150 millions de spectateurs.

A Lagos, le marché de la vidéo, légal ou illégal, est en expansion constante. [AFP - CRISTINA ALDEHUELA]
A Lagos, le marché de la vidéo, légal ou illégal, est en expansion constante. [AFP - CRISTINA ALDEHUELA]

Le pays comptant peu de salles de cinéma, les films sont exploités directement en circuit " home entertainment", via des chaînes de télévision locales et plateformes de VOD, mais plus souvent encore par le marché de la vidéo, légal ou illégal.

Parmi cette production peu exportable, et souvent de piètre qualité, le chroniqueur du Trio, Julien Comelli, a retenu "October 1" (2014), de Kunle Afolayan, un thriller historique.

L'intrigue? En 1960, des jeunes filles sont retrouvées assassinées dans des circonstances atroces. Ces crimes sont vraisemblablement l’œuvre d’un seul et même tueur qui répète le même mode opératoire. Un policier local doit boucler l'enquête avant l'indépendance du Nigéria qui sera proclamée le 1er octobre.

Tourné en pellicule par un réalisateur et un chef opérateur qui connaissent leur métier, interprété par des comédiens aguerris, ce thriller a bénéficié d'un budget conséquent pour le Nigéria, soit deux millions de dollars.

A ce jour, "October 1" reste le deuxième film le plus rentable de l’histoire du pays, si l’on ne compte que les oeuvres exploitées en salles. Il souffre néanmoins d'une durée excessive, 2h30, comme toutes les productions de Nollywood. "Reste un film honnête et plaisant, dont le dénouement apparaîtra peut-être trop convenu pour l'amateur de thriller, mais qui réserve quelques belles scènes, notamment la plaidoirie finale de l'inspecteur en charge de l'enquête", estime Julien Comelli.

"October 1" est disponible sur Netflix en version originale sous-titrée.