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Eva.Stories ou comment "storifier" la Shoah sur Instagram

Eva.Stories: la Shoah "storifiée" sur Instagram. [DR]
Médias: Eva.Stories, la Shoah "storifiée" sur Instagram / Vertigo / 6 min. / le 6 mai 2019
Raconter la Shoah aux jeunes générations sur Instagram pour qu'elles n'oublient pas ce qui s'est passé, tel est l'objectif du compte Eva.Stories, qui retrace la vie d'une adolescente juive hongroise durant la Seconde Guerre mondiale.

Eva a 13 ans, elle vit en 1944 mais elle a aussi un smartphone et un compte Instagram. Un anachronisme qui permet de suivre le quotidien d'une adolescente juive qui se filme à l'école, avec son amoureux, avec ses amies, avec sa famille, comme n'importe quelle adolescente de 2019. Depuis la mi-avril donc, Eva documente, en temps réel, la vie en 1944 d'une jeune juive hongroise sur Instagram.

Puis, c'est l'histoire qui bascule. Le nazisme, le racisme, la haine, la stigmatisation, les privations, la déportation, la mort. Tout cela est raconté à la forme personnelle, en "je", en format stories, c'est-à-dire des vidéos verticales de 15 secondes tournés qui se suivent les unes les autres sur le compte Instagram d'Eva. L'histoire d'une vie pour raconter le destin des juifs au siècle dernier.

Une histoire vraie

L'histoire d'Eva, sur laquelle se basent ces vidéos, est une histoire vraie. La jeune fille qui a été assassinée à Auschwitz le 17 octobre 1944 écrivait un journal retrouvé et publié en 1974. Le journal se termine trois jours avant sa mort.

Grâce à Instagram, on suit Eva jour après jour. Par exemple, si vous choisissez la date du 2 mars, vous découvrez Eva dans son environnement familier. C'est elle qui tient le téléphone. Dans sa vie, tout va bien, elle nous présente même son amoureux, un jeune homme prénommé Pista, avec qui elle mange des glaces dans un parc: l'occasion d'une story sur laquelle elle ajoute, comme pourraient le faire les adolescents de 2019, une jolie musique et des émojis coeurs. Et puis, l'histoire se noircit.

Le 19 avril 1944. Eva filme la cour de son immeuble. Des nazies sont en train de prendre possession des appartements, de tout jeter par terre dans la cour. L'un d'eux prend une femme pour cible, la force à danser avec lui, puis la moleste.

Chaque jour, plusieurs vidéos de moments du quotidien d'Eva sont postées sur son compte. Le rythme de publication est assez haletant. Il doit permettre de réaliser combien la violence arrive d'une seconde à l'autre, comment cela se passe quand des vies basculent.

Un rendu peu crédible

Le contenu de ce compte Instagram est très impressionnant en matière de nombre de vidéos et de moyens engagés. Ce sont 5 millions de dollars qui ont été investis dans ce projet et plus de 400 techniciens ou acteurs qui y ont travaillé.

Aujourd'hui, 1,6 millions de personnes sont abonnées à ce compte - à noter que 50% des utilisateurs d'Instagram ont moins de 35 ans. La bande annonce a été vue plus de 4 millions de fois.

Le but des concepteurs de ce projet était de trouver de nouveaux modes de transmission et de témoignages qui parlent aux jeunes générations, alors qu'il reste peu fr survivants de la Shoah.

Mais ce qu'a produit cet entrepreneur et ses équipes relève plus du long-métrage découpé en centaines de séquences de 15 secondes. En cela, le projet ne respecte pas totalement les codes du réseau social. La manière de rendre compte de cette histoire véritable n'apparaît malheureusement pas très crédible.

Soutenu par un entrepreneur israélien, magnat de la high-tech, Matti Kohavi, l'objectif du projet était de proposer un contenu innovant et disruptif, en projetant les jeunes internautes dans la vie d'Eva, au coeur de son âme. Pour lui, se servir des réseaux sociaux permet de développer un nouveau "genre mémoriel".

Magali Philip/ld

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