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Pour l'Arabie saoudite, "il vaut mieux pactiser avec l'Iran pour éviter sa nuisance"

Géopolitis: Iran-Arabie Saoudite, la détente [Reuters - Saudi Press Agency/West Asia News Agency]
Iran-Arabie Saoudite, la détente / Geopolitis / 26 min. / le 2 avril 2023
Le 10 mars, l'Iran et l'Arabie saoudite ont ouvert un nouveau chapitre de leurs relations, jusqu'alors très tendues. Un rapprochement entre ces deux grands rivaux du Moyen-Orient pourrait changer la donne dans la région.

Le roi saoudien et le président iranien bientôt à la même table. Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud a invité Ebrahim Raissi à se rendre à Riyad, quelques jours après la signature d'un accord inattendu entre les deux pays. Les représentants iranien et saoudien ont signé le 10 mars un texte qui prévoit le rétablissement de leurs relations diplomatiques et la relance de leur coopération économique et sécuritaire. Ce n’est pas une réconciliation, mais le signe d’une détente entre les deux grands rivaux du Moyen-Orient.

Les deux pays avaient rompu leurs relations diplomatiques après l'exécution en 2016 d'un dignitaire chiite par l'Arabie saoudite, et l'attaque par la suite de l'ambassade saoudienne à Téhéran par des manifestants iraniens. Mais la rivalité entre les deux pays remonte à la révolution islamique de 1979, en Iran. Elle suit des contours religieux: l’Iran se veut le défenseur du chiisme, minoritaire dans le monde musulman, et l’Arabie saoudite du sunnisme, alors que les deux sites les plus sacrés de l'islam sont aussi sur son territoire. Les deux pays se sont engagés dans une lutte d'influence dans plusieurs zones de crise dans la région, au Liban, en Syrie, en Irak et au Yémen.

Plusieurs éléments permettent d'expliquer cette volonté affichée d'apaisement entre Riyad et Téhéran. Côté iranien, il y avait une grande disponibilité pour conclure un accord, selon Hasni Abidi, directeur du Centre d'Etudes et de Recherche sur le Monde Arabe et Méditerranéen et invité de Géopolitis. "Les Iraniens ont vu tout simplement une fenêtre de tir, une opportunité importante", explique le politologue. "Ils sont soumis à une pression importante, à la fois intérieure avec des manifestations, mais aussi extérieure avec des sanctions très importantes qui ont affaibli lourdement l'économie iranienne. En même temps, l'Iran voit que l'Arabie saoudite est inquiète et prête probablement à des concessions."

Les chiites et les sunnites au Moyen-Orient. [RTS - Géopolitis]

Nouveaux calculs saoudiens

Côté saoudien, le régime est à un tournant. Le prince héritier Mohammed ben Salmane "est contesté par une partie de l'élite traditionnelle saoudienne, qu'il a brutalisée. Il est pressé car son père, le roi Salmane qui dirige l'Arabie saoudite, est en mauvais état de santé et il fallait donc absolument que Mohammed ben Salmane sécurise son arrivée sur le trône", explique Hasni Abidi.

Le futur dirigeant a de grandes ambitions pour son pays, avec un vaste et coûteux programme de diversification de l'économie du royaume, encore très dépendante des revenus du pétrole. Mohammed ben Salmane veut faire de l'Arabie saoudite un hub technologique, avec d'immenses villes futuristes.

Mohammed ben Salmane veut sécuriser son arrivée sur le trône.

Hasni Abidi

Le rapprochement en cours avec l'Iran pourrait lui permettre de s'extraire du conflit au Yémen. Depuis 2015, l’Arabie saoudite intervient militairement dans le pays, en soutien au gouvernement internationalement reconnu et pour contrer l'avancée de la rébellion chiite des Houthis, alliée de l’Iran. Selon le Wall Street Journal, Téhéran aurait accepté de ne plus fournir d’armes aux rebelles yéménites, quelques jours après la signature de l’accord du 10 mars.

L'avancée du programme nucléaire iranien est aussi un élément crucial pour les Saoudiens. Les négociations internationales sont au point mort. Les Saoudiens "ont fait un calcul simple, c'est qu'il vaut mieux pactiser avec les Iraniens, éviter leur nuisance plutôt que de rester d'éternels ennemis et du coup compromettre tout le projet économique et social de Mohammed ben Salmane", estime Hasni Abidi.

La Chine avance ses pions

La signature de l'accord du 10 mars avec l'Iran souligne aussi la prise de distance de l'Arabie saoudite avec les Etats-Unis, alliés traditionnels du royaume depuis 1945. Le texte été signé à Pékin, par les représentants de l'Iran, de l'Arabie saoudite mais aussi de la Chine. C'est un formidable coup diplomatique pour la Chine dans une zone d’influence traditionnellement américaine. Pékin a tout intérêt à un apaisement dans la région. La Chine est à la fois le premier client de pétrole saoudien, et le premier partenaire économique de l’Iran.

Pékin a beaucoup investi dans ces deux pays ces dernières années, notamment dans les projets liés aux nouvelles Routes de la soie, son grand programme d'investissement pour relier la Chine au reste de l'Asie, à l'Europe et l'Afrique. L’Iran joue un rôle clé sur la route terrestre qui traverse l’Asie centrale pour rejoindre l’Europe. Et l’Arabie saoudite est incontournable sur la route maritime qui relie la Chine au reste du monde, via le détroit de Bab el-Mandeb.

Positions stratégiques de l'Iran et l'Arabie saoudite sur les Nouvelles routes de la Soie. [RTs - Géopolitis]

"La Chine constate que son ambition économique et financière autour des Routes de la soie a besoin de sécurisation et de voisins qui ne sont pas hostiles à cette arrivée de la Chine", analyse Hasni Abidi. "C'est pour cela qu'elle a d’excellentes relations avec les pays d'Afrique et surtout maintenant avec l'Asie. La Chine a compris que l'Arabie saoudite est la clé du reste des monarchies du Golfe et c'est pourquoi elle veut étendre son influence au-delà de Riyad."

Mais l'Arabie saoudite reste toujours dépendante pour sa sécurité des Etats-Unis qui ont offert leur parapluie sécuritaire au royaume en échange de la livraison de son pétrole, lors du pacte du Quincy, en 1945. Riyad a d'ailleurs passé commande pour près de 80 avions à l'entreprise américaine Boeing, pour un montant de 37 milliards de dollars. Cette commande a été officialisée le 14 mars, quatre jours après la signature de l'accord avec l'Iran.

Elsa Anghinolfi

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