SIGNES fête ses 40 ans

Aux côtés de la BBC, la RTS est l’un des premiers médias de service public à avoir proposé une émission en langue des signes destinées aux personnes sourdes ou malentendantes mais aussi à qui souhaitait comprendre leur réalité. Le 16 octobre 1982 le magazine “Ecoutez-Voir” fait son entrée à la télévision. Cette émission répond alors à la nécessité de parer à l’absence de sous-titrage et de facto à l’exclusion de la communauté des sourds des programmes de télévision en lui permettant d’affirmer son identité, sa culture et de revendiquer ses droits. Les années 1980 sont aussi ce que l’on a appelé le « réveil sourd », c’est-à-dire l’émergence d’une identité culturelle sourde autour de la langue des signes qui sortait tout juste d’un siècle de mise au ban. Rebaptisée Signes en 1989, l’émission a accompagné et documenté ce réveil culturel tout en poursuivant son évolution.

Aujourd’hui, après quatre décennies passées, quel bilan tirer ? Que représente l'émission pour la communauté ? Carole Prekel, la présentatrice de Signes, et Stéphane Brasey, le producteur de l’émission, répondent à nos questions dans leur langue respective. 

Carole Prekel

L'animatrice de Signes

Carole est éducatrice spécialisée depuis dix-sept ans dans une école pour enfants sourds à Genève et a été engagée comme présentatrice dans l’équipe de Signes en 2015. L’animatrice a répondu à nos questions en langue des signes, interprétée par Lorette Gervaix. 

L'émission Signes est une vitrine pour notre minorité culturelle invisible. C’est surtout le plaisir de sensibiliser le public à notre culture et de représenter la langue des signes dans la société suisse.

Carole Prekel, animatrice de Signes depuis 2015

Carole, 40 ans d’émission, qu’est-ce que ce jubilé représente selon vous ? 

Après 40 ans, l’émission est toujours très importante pour la culture sourde et crée des ponts avec l’histoire de la communauté. Depuis le Congrès de Milan de 1880, la langue des signes a été proscrite et se pratiquait de manière clandestine jusqu’au « réveil sourd » dans les années 1980. Avant cette visibilité donnée à la télévision, les entendants n’avaient pas connaissance de notre culture et de notre histoire. Avec Signes, on peut observer l’évolution de la langue des signes sur quatre décennies.  

Concrètement, comment se construit l’émission Signes ? Comment l’équipe travaille-t-elle ?

Avec l’équipe nous nous voyons une fois par mois lors d’une séance éditoriale pour définir les sujets et thématiques des reportages à venir. Avec mes deux autres collègues sourds, mes collègues entendants et les interprètes nous échangeons et partageons nos idées. Tous les points de vue sont exprimés et pris en compte. Les sujets sont liés à la communauté sourde en Suisse prioritairement mais on essaie d’élargir les sujets. Parfois on peut partir à la rencontre de communautés sourdes d’autres pays, on traite de la réalité des sourds implantés, de sourds oralistes, ou encore du métier d’interprète. En revanche lors du tournage je suis souvent la seule collaboratrice sourde et les équipes techniques changent souvent sans forcément connaître le monde de la surdité. Aussi il est nécessaire de rappeler les spécificités de l’exercice et cette redondance peut engendrer des difficultés. Ce serait formidable que la RTS engage plus de personnes sourdes dans la création de l’émission et les métiers techniques pour montrer aussi les compétences existantes en réalisation, cadrage ou en montage. 

Qu’est-ce que cette émission apporte à la communauté des sourd.es et malentendant.es aujourd’hui ? 

L’émission traite de thématiques parfois bien connues par la communauté mais elle a surtout une grande valeur de sensibilisation du public. Certaines émissions peuvent intéresser des jeunes, qui se mettent à la langue des signes tardivement, ou des parents d’enfants sourds qui souhaitent mieux appréhender leur réalité. Parfois, la thématique peut avoir moins d’intérêt pour la communauté (versus un 19h30 ou un magazine 36.9° signé par exemple), dans ce cas l’émission a plutôt vocation de sensibilisation. 

Une formation de traduction est donnée actuellement à Genève pour des participant.es exclusivement sourd.es avec pour objectif qu’il.elles puissent travailler à la télévision pour traduire des émissions et rendre ainsi accessibles encore plus d’offres pour la communauté. 

Avec les avancées technologiques, comment se profile l’avenir de ce type d’émission selon vous ?

En 40 ans on voit que nous sommes toujours là (sourire). Pour moi la langue des signes ne disparaîtra jamais et je pense que nous en aurons toujours besoin. C’est une langue naturelle et une belle langue. Pour les entendants aussi, on voit qu’on l’apprend aujourd’hui aux bébés entendants parce qu’elle apporte autre chose. J’adorerais qu’à l’avenir, l'émission s’oriente plus vers des thématiques « débat », faire des plateaux en donnant la voix à différents points de vue. Proposer une formule différente ponctuellement comme l’émission spéciale réalisée pour les 40 ans de l’émission coprésentée avec Alexis Favre. De nombreux débats seraient possibles et ce serait très enrichissant. 

Stéphane Brasey

Le producteur de l’émission

Quelle est la vocation de cette émission ?  

S’il y a de plus en plus d’émissions interprétées en langue des signes aujourd’hui comme le 19h30, ABE ou 36.9°, Signes est la seule émission qui offre un espace de parole au public sourd et malentendant, où celui-ci peut exposer son point de vue et rendre compte de sa réalité. L’émission s’adresse à tout le monde puisque les personnes s’exprimant en langue des signes sont doublées par des comédien.nes. La vocation de l’émission est aussi de sensibiliser le public non-sourd aux réalités de ce handicap très invalidant.

Que représente ce jubilé pour la RTS ? 

Pour moi, ce doit être un motif de fierté que de s’être engagé.es pendant 40 ans sans discontinuité. Les émissions de ce type ne sont pas nombreuses en Europe et dans le monde. On trouve l’équivalent en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et dans les pays scandinaves, et c’est à peu près tout.

Qu’est-ce qui a changé en quatre décennies ?

Presque tout. A commencer par le nom de l’émission mais sur la forme et le fond aussi. Il faut savoir qu’en 1982, il n’y avait pas de sous-titres à la télévision et encore moins d’émissions interprétées. Les personnes en situation de handicap sensoriel étaient tout simplement exclues des programmes télévisuels. Aujourd’hui, l’accès aux informations s’est considérablement amélioré et Signes a pu évoluer. L’émission a quitté le studio et s’est ouverte sur le monde. Chaque mois, nous proposons un magazine de reportages avec une thématique unique, toujours présenté en alternance par Carole Prekel et David Raboud. Tous les deux sont sourds et s’expriment en langue des signes française. Signes, c’est un peu le point de vue des sourds sur le monde.

En quoi l’émission répond au mandat RTS ? 

La RTS a pour vocation de s’adresser à tous les publics. Les personnes sourdes et malentendantes sont au cœur du service public et l’émission ne pourrait évidemment pas exister sans cela. 

Signes se décline en trois langues nationales, comment fonctionne le travail entre les différentes régions linguistiques ?  

Signes s’est étendue à SRF et RSI en 2018. Il n’y avait plus d’émissions de ce type depuis vingt ans en Suisse alémanique et il n’y en a jamais eu au Tessin. Lorsque la SSR nous a demandé de produire des émissions dans les trois régions, on s’est heurtés à un problème de taille : la langue des signes n’est pas universelle. Il a donc fallu trouver un.e présentateur.trice ainsi que des interprètes pour chaque région. Aujourd’hui, nous travaillons avec deux productrices, Christina Pollina à SRF et Consuelo Marcoli à la RSI. Au total, nous produisons neuf émissions par année. Six à la RTS, deux à SRF et une à la RSI. Toutes les émissions produites sont adaptées dans les autres langues pour y être diffusées. On organise une séance de rédaction nationale par année et c’est très impressionnant, c’est un peu la tour de Babel avec six langues au total, trois langues parlées, trois langues des signes et plein d’interprètes dans tous les sens !

Un programme spécial est-il prévu pour fêter ce jubilé ? 

Plutôt qu’un bilan rétrospectif de notre parcours, nous souhaitons à l’occasion de cet anniversaire poser des jalons pour l’avenir, nous questionner sur l’inclusion des sourds dans la société, sur le devenir de la langue des signes. Pour marquer le cap, Signes propose une émission spéciale qui s’adresse autant aux personnes sourdes qu’entendantes. Elle se profile comme une passerelle entre les unes et les autres pour mieux cerner la réalité du monde de la surdité et pour déconstruire certains préjugés. L’émission sera menée par un duo inédit : la présentatrice de Signes Carole Prekel, sourde de naissance et s’exprimant en langue des signes, aux côtés d’Alexis Favre, producteur et animateur d’Infrarouge, dans le rôle du candide.

Communiqué de presse présentant l’émission spéciale du 8 novembre

L'accessibilité de l’offre SSR

Un engagement avec les associations suisses  

Sensible aux besoins des personnes confrontées à un handicap sensoriel, la RTS contribue à leur intégration en proposant chaque jour une offre variée sous-titrée, audiodécrite et en langue des signes. Tous les soirs Couleurs Locales et Le 19h30 sont signés, tout comme les magazines d’actualité ABE, 36.9° ou Caravane FM, l’ensemble des émissions en prime time sont sous-titrées et chaque année de plus en plus de films, documentaires et magazines sont produits en audiodescription. Des contenus qui se retrouvent en libre accès et en continu sur PlayRTS.

Conformément à la loi sur la radio et la télévision du 24 mars 2006 (LRTV; RS 784.40) et à l’ordonnance sur la radio et la télévision (ORTV; RS 784.401), la SSR doit fournir des programmes de radio et de télévision à l’ensemble de la population. Cela signifie qu’une partie du temps d’émission de la SSR doit être proposée de manière appropriée pour les personnes malvoyantes et malentendantes. Dans le cadre d’un accord renouvelé tous les cinq ans, la SSR et les associations suisse de handicap sensoriel définissent ensemble le domaine des contenus à sous-titrer, l’étendue des contenus audiodécrits et interprétés en langue des signes ainsi que les bases de leur collaboration. 

Concrètement, la SSR sous-titre aujourd’hui plus de 40’000 heures de programmes, soit l’équivalant de 80% de son temps d’antenne (contre 50% en 2016). Les contenus audiodécrits sont passés de 420 en 2016 à plus de 1000 heures et les émissions en langue des signes de 440 à 1000 heures pour l’année en cours. L’effort financier consacré est passé de 9,5 millions en 2016 à plus de 16 millions de francs en 2022.  

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