Questions - Réponses

Sciences

Est-ce que l’intelligence vient des parents? En d’autres termes, l’intelligence est-elle héritable?

Thierry Lecerf

Réponse de Thierry Lecerf

Docteur, Maître d'enseignement et de recherche

Faculté de psychologie

Geneva Neuroscience Center

En l’état actuel des connaissances, l’intelligence, mesurée principalement par les tests de QI, indique une héritabilité élevée, mais aucun argument en faveur d’une détermination génétique de l’intelligence n’a été mis en évidence sur le plan moléculaire; aucun gène lié au QI (et donc à l’intelligence) n’a été observé. Les données empiriques recueillies à ce jour n’ont également pas démontré le caractère héréditaire de l’intelligence. Soulignons qu’il est en fait extrêmement difficile de séparer la part de l’innée de celle de l’acquis, d’autant plus qu’on observe des phénomènes d’interaction entre le patrimoine génétique et l’environnement. Les compétences intellectuelles d’un enfant découlent de l’interaction entre son patrimoine génétique et ses conditions environnementales. Ainsi, comme l’a écrit Roubertoux, «le comportement est dirigé à 100% par le génome et à 100% par l’environnement».

Nous pouvons néanmoins développer ces résultats. La question posée fait référence au vieux débat entre l’inné et l’acquis, ou en d’autres termes entre la nature et la culture. Les comportements innés dépendraient du patrimoine héréditaire et donc de l’action des gènes. Les individus disposeraient ainsi, à la naissance d’un certain capital intellectuel. Soulignons toutefois, qu’on oublie tous les évènements environnementaux qui ont pu intervenir durant les neuf mois de grossesse. En outre, il n’est pas tout à fait correct de définir l’innéisme d’un comportement par sa présence dès la naissance. En effet, certaines caractéristiques peuvent intervenir après la naissance tout en étant héréditaire (comme la chorée de Huntington).

A l’inverse, les comportements acquis dépendraient de nos expériences, de nos apprentissages socioculturels, de la culture. Cela signifie que nos comportements sont modifiés tout au long de notre vie par les inter-relations avec l’environnement. Le milieu dans lequel nous vivons revêtirait donc une grande importance et offrirait un «terrain» favorisant l’expression ou non de certains comportements. Partant de cette opposition inné/acquis, différentes méthodes ont été développées pour quantifier la part de la nature et celle de la culture dans nos comportements et pour répondre à la question de l’hérédité de l’intelligence.

La première méthode est basée sur la logique de la proximité génétique et compare les jumeaux monozygotes (MZ), considérés comme de vrais jumeaux car partageant quasiment 100% de patrimoine génétique en commun, aux jumeaux dizygotes (DZ) qui ne partagent, en moyenne que 50% de leur patrimoine génétique en commun, à l’instar de deux frères et/ou sœurs normaux. La logique de cette méthode est la suivante: si l’intelligence dépend du patrimoine génétique, des jumeaux MZ qui ont un patrimoine génétique quasiment identique vont davantage se ressembler que les jumeaux DZ. Cette méthode repose donc sur la comparaison de l’intelligence d’une série de MZ avec l’intelligence d’une série de DZ et conduit au calcul de corrélations.

La deuxième méthode est celle de l’analyse des enfants adoptés, qui doit permettre d’estimer les effets de l’environnement et donc de l’acquis. L’objectif vise à déterminer si les performances intellectuelles d’un enfant adopté sont en relation avec le niveau intellectuel de ses parents adoptifs. Dans l’affirmative, cela indiquerait que l’environnement des parents adoptifs exercent une influence sur le développement intellectuel de l’enfant adopté. Prenons l’exemple d’un enfant dont les parents géniteurs présentaient un faible niveau intellectuel et qui a ensuite été adopté par des parents présentant de bonnes compétences intellectuelles (bien sûr, tous les cas de figures sont possibles). Devenu adulte, si cet enfant présente de bonnes compétences intellectuelles, on conclura à une influence de l’environnement. A l’inverse, si cet enfant présente de faibles compétences cognitives, on conclura à une influence du patrimoine génétique. Notons que cette méthode est de moins en moins utilisée.

Enfin, une troisième méthode combine les deux précédentes en comparant des jumeaux MZ et des jumeaux DZ adoptés ou non, et donc élevés ensemble ou non.

Basée sur les données recueillies à partir de ces différentes méthodes l’estimation de l’héritabilité, et donc des facteurs génétiques, dans l’intelligence varie selon les recherches entre 40 et 80%. En d’autres termes, la plupart des études indiquent que le patrimoine génétique jouerait un rôle plus important que l’environnement dans les différences intellectuelles entre personnes. Toutefois, ce résultat fait l’objet de nombreuses critiques et notamment il n’apporte aucune preuve de différences génétiques sur le plan moléculaire (c’est-à-dire des gènes eux-mêmes). Signalons en outre, que ce degré d’héritabilité n’est valable qu’au niveau du groupe mais ne s’applique pas à un individu donné. En conséquence, pour une personne donnée, on ne peut pas dire que 40-80% de ses compétences intellectuelles sont dues à des facteurs génétiques et donc transmis par ses parents. Quant aux travaux basés sur la méthode des adoptions, ils montrent qu’il n’existe pas de corrélations entre le niveau intellectuel des enfants adoptés et celui des parents adoptifs. Globalement, ces données ont été interprétées en faveur d’une contribution plus importante des facteurs génétiques dans les performances cognitives. Toutefois, les conclusions sont différentes si l’on s’intéresse aux résultats «bruts» obtenus par des enfants adoptés dans les tests d’intelligence (le plus souvent mesurés à partir des tests de QI). En effet, on constate que des enfants adoptés par des parents appartenant à un milieu socio-économique plus favorisé peuvent voir leurs performances augmenter de 10 à 15 points par rapport à leurs frères/sœurs qui n’ont pas été adoptés et qui sont restés avec leurs parents géniteurs (dans un milieu moins favorable). Ces résultats indiquent donc que l’environnement a également une influence sur les capacités intellectuelles.

Récemment, des études ont été conduites pour essayer d’identifier les «gènes de l’intelligence» en employant une méthode de localisation de gènes. Cette technique vise à estimer la contribution de fragments de chromosomes dans l’intelligence. Il s’agit donc de la première étape sur le plan moléculaire susceptible de répondre à la question posée. Les chercheurs (Plomin et coll.) ne sont pas parvenus à mettre en évidence des gènes clairement associés à l’intelligence. Ainsi, bien que les gènes interviennent dans le fonctionnement des structures cérébrales, et donc dans les compétences intellectuelles, le caractère héréditaire de l’intelligence n’a pour l’instant pas été clairement établi. Il faut noter pour terminer que sur le plan des pathologies qui conduisent à des déficits intellectuels, on connaît environ 700 gènes impliqués dans de tels déficits, mais ces données «pathologiques» ne peuvent pas s’appliquer directement au fonctionnement intellectuel «normal».

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