Les 6 au 8 septembre 2000, l'Organisation des Nations Unies a tenu une assemblée à New York, lors de laquelle le Secrétariat général a présenté un rapport et un plan d'action pour le XXIe siècle, le Rapport du Millénaire, invitant tous les États membres à "s'engager à mettre fin à la pauvreté et aux inégalités, à améliorer l'éducation, à renforcer la sécurité, à lutter contre le VIH/sida et à protéger l'environnement". Le point 3 des Objectifs du Millénaire, intitulé "Vivre à l'abri du besoin", propose notamment des "mesures pour diminuer de moitié, d'ici à 2015, le nombre de personnes vivant dans le dénuement, et ce dans toutes les régions du monde".

La notion de dénuement fait directement référence aux besoins fondamentaux, mais les besoins humains ne sont pas aussi faciles à définir qu'il paraît à première vue. Un survol des diverses interprétations du concept de besoin révèle de nombreuses ambiguïtés qui proviennent des interrelations que le besoin noue avec l'aspiration et le désir. Le concept de besoin est fort ancien. Le terme de besoin n'apparaît qu'au XIe siècle et semble lié à la relation du motif à l'acte humain. Dans une acception banale, le besoin est synonyme de manque, ou de nécessité.

Selon Henri Laborit (1970) le besoin est "la quantité d'énergie et d'information nécessaire au maintien d'une structure. Selon l'anthropologue Bronislaw Malinowski (1968) il est nécessaire de distinguer entre les besoins élémentaires, organiques, tels que les besoins nutritifs, reproductifs et sanitaires et les autres besoins sociaux.

L'interprétation sociologique

Pour le sociologue français Paul-Henry Chombart de Lauwe (1971) "le concept de besoin correspond objectivement à un élément extérieur indispensable au fonctionnement d'un organisme" comme la nutrition par exemple, "donc à la constitution même du sujet". Subjectivement, par contre, "il s'agit d'un état de tension dans lequel se trouve un individu ou un groupe lorsqu'il est privé de cet élément."

La définition de Chombart de Lauwe souligne, à juste titre, qu'un membre d'une société humaine n'a pas seulement besoin de biens matériels pour sa survie, mais aussi de pouvoir "répondre à des exigences nées de la vie sociale et relatives au rôle qu'on attend de lui." Dans ce sens, l'auteur distingue entre "l'aspiration à la considération" et "le besoin de ne pas être déconsidéré". Les divergences entre les exigences biologiques et physiologiques et les besoins sociaux posent non seulement la question du degré d'autonomie de chaque être humain dans des institutions, des structures sociales et un système économique donnés, mais aussi la question de son bien-être.

Selon Chombart de Lauwe la distinction entre les besoins et les aspirations est fondamentale et nécessaire pour toute étude de la question. Pour cet auteur, les besoins sont liés à "des pulsions venant de l'individu lui-même, de son être physique et de son inconscient" alors que "par rapport aux pressions venant de la société, les aspirations sont orientées par des images, des signes, des symboles" et ainsi "correspondent à des désirs tournés vers une fin, un but, un objet."

A cet égard, les aspirations sont communicables par le langage, alors que les besoins ne le sont pas. Pour les sociologues, en général, les aspirations les plus personnelles portent toujours la marque de la société. Ce caractère de l'aspiration lui donne une importance particulière dans l'étude des rapports entre l'individu et la société, la consommation et l'habitation : "l'aspiration dépend des conditions sociales et de l'histoire, comme elle se rattache au désir et à la valeur. Sa réalisation peut s'effectuer méthodiquement dans un projet permettant à l'individu de participer à la vie sociale par une action ordonnée. Il ne peut le faire qu'en relation avec d'autres hommes. Ses aspirations convergent avec celles de ses voisins ou en divergent. Les convergences et les conflits d'aspirations sont des phénomènes sociaux liés aussi bien à la conjoncture économique ou à l'évolution démographique qu'à des traits culturels, à des idéologies, à des croyances et des mythes."

Les aspirations et les besoins relatifs aux processus de société tel que l'urbanisation et le développement de l'habitat, l'industrialisation et le développement des technologies urbaines, la communication et l'informatisation, sont complexes et se modifient au cours du temps, et peuvent être sources de conflit ou de revendications des groupes sociaux (cf. les revendications des automobilistes!). Au delà des aspirations et des besoins des groupes ou des sociétés, il faut aborder les conflits d'aspirations sur le plan transnational, voire au niveau international.

L'interprétation économique

Traditionnellement, la théorie économique et les études de marché ont souvent rejetés la définition des concepts d'aspiration et de besoins sous prétexte d'une trop grande difficulté de quantification. Néanmoins, pour les auteurs tels que Frédéric le Play et Benjamin Seebohm Rowntree, les besoins humains peuvent être étudiés par rapport aux dépenses des ménages. Le Play est considéré comme l'inventeur de cette méthode, fondée sur l'étude des budgets des ménages. Pour l'historien aussi bien que pour l'économiste, les monographies de Le Play, publiées dès 1855 constituent des documents de premier ordre.

Les budgets tenus par les ménages apportent des renseignements intéressants pour répondre à bien des questions : par exemple, quel est le rapport entre la quantité d'aliments consommés et celle qui serait nécessaire pour survivre; entre la dépense en nourriture effective et la dépense totale. Par ailleurs on peut déterminer l'influence de la structure et de la composition des ménages, ainsi que l'ordre des dépenses selon l'âge des membres.

Dans ces enquêtes Le Play décrit ainsi la répartition des diverses dépenses : "les trois premières sections du budget des dépenses concernent les besoins physiques les plus impérieux : la nourriture, l'habitation et les vêtements. La quatrième comprend les dépenses relatives aux besoins moraux, aux récréations et aux services de santé. La cinquième et dernière section groupe des dépenses complémentaires ayant pour objet les industries domestiques, les dettes, les impôts et les assurances".

En 1902, Benjamin Seebohm Rowntree a publié les résultats d'une enquête remarquée sur les familles ouvrières de la ville d'York. A la différence de Le Play, il a cherché à déterminer empiriquement l'étendue de la pauvreté primaire, qui était telle que le revenu total ne suffisait pas à l'entretien de la vie, en comparant le revenu des ménages observés aux prix de la nourriture minima nécessaire d'après les physiologistes. Il a trouvé que 15.46% de la classe ouvrière se trouvait en état de pauvreté primaire.

Enfin, notons que Maurice Halbwachs a soutenu sa thèse sur "La classe ouvrière et les niveaux de vie : recherches sur la hiérarchie des besoins dans les société industrielles contemporaines." Après une revue exhaustive de la question, Halbwachs se demande s'il est possible de déterminer l'ordre d'importance des besoins.

L'interprétation psychologique

La notion de besoin est fondamentale pour les psychologues et les psychiatres. Bien que des études cliniques aient été entreprises, les contributions d'Abraham Maslow, Henry Murray et Carl Jung ont suivi une autre démarche, fondée sur l'étude de la motivation comme moyen de "self-realisation" (réalisation de soi) ou "self-actualisation" (actualisation de soi).

Maslow (1954) fait une distinction entre besoin supérieur et besoin inférieur ("basic need"). Néanmoins, il est nécessaire de souligner que cette contribution peut être critiquées au moins à deux égards : d'abord parce qu'elle n'a pas pris en considération les caractéristiques du milieu de vie des sujets, et par ailleurs, l'échantillon sélectif des sujets était limité.