Bonjour Kevinou, L’anguille européenne, Anguilla anguilla, est un
poisson bien particulier. Unique représentant des Anguillidae en
Europe, elle colonise l’ensemble des bassins d’eau douce de cette
région, ainsi que la façade atlantique et une partie du pourtour
méditerranéen. L’anguille ne possède pas de nageoires pelviennes ni
d’écailles. Elle est capable de respirer de manière passive au
travers de sa peau, si bien qu'elle peut passer d’un plan d’eau à
un autre en traversant par voie de terre, pourvu que cette dernière
reste humide (lors des pluies de printemps ou d’automne par
exemple). Elle passe sa vie d’adulte en eau douce (mais ce n’est
pas obligatoire), mais naît en mer. Contrairement au saumon, l'anguille quitte l’eau douce pour se reproduire en eau salée, on dit
qu'elle est thalassotoque ou catadrome. Les anguilles sont de
grandes migratrices; elles traversent l’Océan Atlantique pour se
reproduire dans la Mer des Sargasses au nord de l’arc antillais,
soit près de 6000 km. Les œufs éclosent sur place, puis les larves
leptocéphales (en forme de feuille) se laissent porter par les
courants marins de surface, en particulier le Gulf Stream, pendant
7 à 9 mois pour approcher les côtes européennes. Durant ce périple,
les larves acquièrent progressivement la forme définitive de petite
anguille pour arriver comme civelles dans les estuaires. Elles
remontent ensuite les fleuves pour y vivre plusieurs années (une
douzaine environ pour les femelles). Les anguilles ne se
reproduisent qu'une seule fois dans leur vie, on dit qu'elles sont
sémelpares. Pendant la traversée de l’océan, leur corps est soumis
à de très fortes pressions induisant d’importantes modifications
anatomiques. Les organes du système digestif régressent, remplacés
par le développement de l'appareil reproducteur dans l’ensemble de
la cavité abdominale. A l'issue de la reproduction, toutes les
anguilles adultes meurent. Avec un cycle biologique aussi complexe,
on comprendra aisément que toute interférence pourra compromettre
la reproduction et menacer l’espèce. A l’instar de tous les grands
migrateurs comme le saumon atlantique (Salmo salar) ou l’esturgeon
(Acipenser sturio), l'anguille connaît un très fort déclin sur l’e
nsemble de son aire de répartition, si bien que l’espèce a été
classée en danger critique d’extinction par l’IUCN (l’Union
internationale pour la conservation de la nature) et a été placée
en annexe II de la CITES (Convention internationale sur le commerce
des espèces menacées). Le recrutement de jeunes individus est
actuellement insuffisant pour compenser la disparition des adultes,
et le renouvellement des populations n’est plus assuré. Le nombre
de civelles arrivant à rejoindre les eaux douces aurait même chuté
de 99% ces 50 dernières années. Les principaux responsables sont
les aménagements humains sur les cours d’eau, comme les barrages ou
les écluses, qui empêchent les anguilles (mais pas seulement) de
remonter ou descendre les fleuves. Des aménagements ont bien été
réalisés, comme les passes à poisson, mais il semblerait que ce ne
soit pas suffisant. La pollution est aussi suspectée de faire
disparaître les jeunes anguilles, et en particulier les PCB, très
utilisés dans l’industrie dans les années 70. Ces composés ont une
fâcheuse tendance à s’accumuler dans les sédiments des fleuves et à
contaminer les jeunes anguilles, affectant ainsi leur immunité. Le
réchauffement climatique pourrait également jouer un rôle, en
modifiant la circulation océanique et perturbant le retour des
jeunes anguilles vers les côtes européennes. Énormément de facteurs
jouent ainsi de manière synergique, et impactent différentes
parties du cycle de migration reproductrice des anguilles. C’est
pour ces raisons, et ainsi sensibiliser le public à l’impact des
aménagements hydrauliques le long des cours d’eau, que la
Fédération Suisse de Pêche a choisi de nommer l’anguille européenne
Poisson de l’année 2018.