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Histoire de la Jordanie

Un Bédouin devant le site de Petra [Steve Crisp]
Un Bédouin devant le site de Petra. - [Steve Crisp]
La Jordanie est un État récent créé en 1946 dont l'histoire est pourtant riche et millénaire. En raison de sa situation géographique, toutes les civilisations anciennes - Égyptiens, Assyriens, Babyloniens, Nabatéens, Hittites, Grecs, Romains, Arabes, Turcs et Croisés - l'ont traversée. Chacune d'elles a marqué le pays de sa culture, son savoir-faire et son patrimoine. Ce mélange de civilisations arabes et bédouines a été complété au fil des siècles par l'afflux de réfugiés des guerres récentes. La Jordanie actuelle est un carrefour stratégique dans les conflits au Moyen-Orient et le conflit israélo-palestinien. Son histoire, sa démographie et son économie futures seront immanquablement liées aux issues de ces conflits.

Préhistoire

Les traces de vie en Jordanie remontent à la préhistoire, vers 200'000 avant J.C. A partir de 8000, à l'époque néolithique, les peuples se sédentarisent et l'agriculture se développe, notamment autour du Jourdain et ses terres fertiles.

Les Byzantins, les Croisés et les Ottomans

Après 395 et le partage de l'Empire romain d'Orient et d'Occident, la Jordanie est sous domination byzantine. Elle est ensuite gouvernée par plusieurs dynasties (Omeyyades, Abbassides, Fatimides, Ayyoubides et Mamelouks). Elle est ensuite conquise par les Croisés qui s'y installent entre 115 et 1189 et édifient de nombreux châteaux dans le désert, encore très visités de nos jours. Divers peuples se succèdent à la tête de la région. En 1516, ce sont les Ottomans qui prennent le contrôle de la Jordanie, la Syrie, le Liban et la Palestine actuels.

Les Ottomans cherchent à développer le commerce au Moyen-Orient et à s'ouvrir aux échanges modernes pour redynamiser leur empire qui décroît. En 1907, ils inaugurent la ligne de chemin de fer du Hedjaz construite par l'Allemagne. Cette ligne relie Damas à Médine, étape du pèlerinage de La Mecque.  Située au milieu du passage de cette ligne, la Jordanie que l'on appelle encore Transjordanie, devient un territoire stratégique.

Etendue de l'Empire Ottoman au fil des siècles [Larousse.fr]

Première Guerre mondiale

Les Ottomans sont les alliés de l'Allemagne. Ils entrent en guerre avec elle en 1914. Les combats se déroulent jusqu'au Moyen-Orient. La Grande-Bretagne et la France cherchent à prendre possession du territoire arabe de l'Empire ottoman (Syrie, Palestine, Liban, Irak, Arabie). Les Hachémites, tribu arabe influente de la Mecque, souhaitent aussi se débarrasser de l'Empire. Ils concluent alors un accord avec les Alliés. La correspondance entre le chef Hussein et lieutenant-colonel Henry McMahon en 1915 assure les Britanniques de la participation armée des Hachémites en échange de la création d'un royaume arabe et de la reconnaissance du califat arabe. En parallèle, les Alliés se répartissent la région entre eux lors des  accords de Sykes-Picot en 1916.

Carte des attaques contre l'empire Ottoman de 1914 à 1918 [Larousse.fr]

Les Hachémites et les Alliés vainquent les Ottomans en octobre 1918. Les Britanniques partagent la province arabe en trois zones militaires: la Palestine en zone britannique, le littoral du Liban en zone française et l'intérieur des terres en zone hachémite. Cette zone sous contrôle militaire hachémite donne malgré tout à la France et à la Grande-Bretagne une zone d'influence dans l'Etat arabe indépendant. C'est ainsi que la Jordanie actuelle est placée dans la zone d'influence britannique.

Les zones d'influence au Moyen-Orient après la première guerre mondiale [lesclesdumoyenorient.com]

L'entre-deux guerres

En dépit des promesses faites aux Hachémites par la Grande-Bretagne, la possibilité de créer un royaume arabe ne leur est pas accordée. En 1920, des mandats sont attribués lors de la conférence de San Remo à la France sur la Syrie et le Liban et à la Grande-Bretagne sur la Palestine, la Transjordanie et l'Irak. Les Hachémites menacent d'attaquer leurs anciens alliés. Pour éviter cela, il est décidé de créer un émirat de Transjordanie sous contrôle britannique.

Deuxième Guerre mondiale et partage de la Palestine

Lors de la Seconde Guerre mondiale, la Transjordanie soutient la Grande-Bretagne. Après la guerre, en 1946, un accord met fin au mandat britannique. L'émirat est alors transformé en royaume de Transjordanie et Abdallah est couronné roi. De 1946 à 1948, l'histoire de la Jordanie est liée à l'évolution politique de ses voisins: la fin du mandat britannique en Palestine et la création de l'Etat d'Israël. Le plan de partage de la Palestine voté par l'ONU en novembre 1947 prévoit la création de deux Etats, l'un juif et l'autre arabe ainsi que l'internationalisation de Jérusalem, placée  sous le contrôle de l'ONU. Mais ce plan ne convient à personne.

Carte du plan de partage prévu par l'ONU [lesclesdumoyenorient.com]

Première guerre israélo-arabe et naissance de la "Jordanie"

L'Egypte, la Syrie, le Liban, l'Irak ainsi que la Jordanie déclarent la guerre à Israël afin de soutenir les Palestiniens et par crainte que les sionistes ne menacent l'équilibre régional: la première guerre israélo-arabe est lancée. La légion arabe jordanienne occupe alors la majeure partie de la Cisjordanie (c'est-à-dire la quasi-totalité de la partie arabe prévue par le plan de partage de l'ONU de 1947) et les combats s'arrêtent à la suite du cessez-le-feu du 18 juillet 1948. La Transjordanie est alors nouvellement constituée de la Cisjordanie et de la partie arabe de Jérusalem. Pour marquer ces modifications territoriales, le royaume change de nom pour devenir le "Royaume hachémite de Jordanie" (sans le préfixe "Trans-") ou plus communément, la Jordanie.

Carte des territoires après la première guerre israélo-arabe de 1948-49 [lesclesdumoyenorient.com]

Mais en 1949, les Israéliens, qui ont obtenu de nombreux appuis extérieurs, refoulent les différentes armées arabes et regagnent les territoires perdus. L'Égypte demande un armistice, accordé le 24 février, bientôt suivie par le Liban (23 mars), la Transjordanie (3 avril), la Syrie (20 juillet). L'Irak refuse la négociation, mais, n'ayant pas de frontière commune avec Israël, retire ses troupes. Les lignes de cessez-le-feu deviennent les frontières d'Israël, plus favorables que celles du partage de l'ONU.

La récupération des territoires par Israël en 1948 [monde-diplomatique.fr]

Les années 50 et la mort du roi

La première guerre israélo-palestinienne a pour conséquence l'arrivée massive de réfugiés palestiniens (environ 500'000) en Jordanie. En plus de cet afflux de population, le roi Abdallah doit faire face à plusieurs conflits consécutifs à cette guerre. Les Etats arabes contestent l'annexion de la Cisjordanie qui met fin à la Palestine. Ils reprochent au roi Abdallah de s'être lié à Israël pour parvenir à ce but. En 1951, le roi est assassiné par un nationaliste palestinien. Son fils Hussein lui succède. Dès son arrivée au pouvoir, il est confronté à de nombreux problèmes, notamment des incidents frontaliers entre Israël et la Jordanie: les Palestiniens s'infiltrent de Jordanie vers Israël afin de tenter de récupérer leurs biens.

King Abdullah I Bin Al Hussein 1882 1952 [petra.gov.jo]

Les années 60 et la guerre des Six jours

Les années 1960 sont marquées par de nombreux attentats en Jordanie, en raison des oppositions politiques et des difficiles relations avec l'Egypte, la Syrie et la Palestine. Régulièrement, des commandos palestiniens partis depuis ces trois pays ainsi que de Jordanie attaquent Israël. Cette dernière finit par réagir en lançant des attaques. La Jordanie signe alors un pacte de défense avec l'Egypte et l'Irak, avec lesquels elle avait jusqu'ici des relations très conflictuelles. En conséquence, Israël déclenche en 1967 la guerre des Six jours par des attaques aériennes et terrestres sur l'Egypte, sur la Cisjordanie et sur le Golan syrien. La Jordanie capitule après l'offensive israélienne sur la Cisjordanie et sur Jérusalem-Est, l'Egypte fait de même, suivie de l'armée syrienne. Les conséquences de cette guerre sont énormes pour la Jordanie: elle perd Jérusalem-Est et la Cisjordanie qui est totalement occupée. Elle doit aussi faire face à l'arrivée de 200'000 réfugiés palestiniens, en provenance de Cisjordanie, en plus de ceux de 1949. La population de Jordanie se compose alors de 56% de Palestiniens. Ils ont une influence très importante dans leur pays d'accueil, qui devient aussi leur base arrière.

Carte des territoires conquis par Israël pendant la guerre des Six jours [lesclesdumoyenorient.com]

Les années 70 et la guerre du Kippour

En 1972, Hussein cherche à reprendre la Cisjordanie. Israël refuse: selon elle, le territoire appartient au peuple juif. Les autres Etats arabes ne sont pas non plus d'accord. Hussein abandonne et se concentre sur la réorganisation politique de la Jordanie. La Jordanie se tient ensuite à l'écart du conflit israélo-arabe de 1973 ou guerre du Kippour, mais montre sa solidarité avec les Etats arabes. Elle rompt pourtant ses relations diplomatiques avec l'Egypte parce que cette dernière choisit de reconnaître Israël.

Carte des territoires de la guerre du Kippour à nos jours [lesclesdumoyenorient.com]

Les années 80 et la guerre Iran-Irak

Le déclenchement de la guerre Iran-Irak en septembre 1980 provoque un regain de tension dans la région. Alors que la Jordanie soutient l'Irak, la Syrie est en faveur de l'Iran. La Jordanie et la Syrie massent dès septembre des troupes à leur frontière. Dans ce contexte tendu, la question du Royaume arabe uni (union de la Cisjordanie et de la Transjordanie) revient à l'ordre du jour en 1982. Mais les innombrables négociations n'aboutissent pas. En 1989, sur le plan intérieur, les conditions économiques (dette, inflation, chômage) sont catastrophiques et le mécontentement populaire s'accroît. Afin de calmer le jeu, le roi fait des concessions politiques. Il remet en vigueur la Constitution et des élections législatives sont organisées.

Les années 90 et la guerre du Golfe

Dans ce contexte économique et social difficile, l'Irak envahit le Koweït: en 1991, la guerre du Golfe est déclenchée. Dans la continuité de sa position lors de la guerre Iran-Irak, le roi Hussein soutient l'Irak. Il accueille également les réfugiés (environ 660'000 personnes) en provenance d'Irak et du Koweït, ainsi que la population émigrée en provenance des Etats du Golfe, notamment palestinienne, yéménite et beaucoup d'expatriés jordaniens de retour au pays, tous accusés de soutenir l'Irak. La Jordanie est aussi dans la continuité de son rôle de terre d'accueil se tenant en dehors des conflits. L'Arabie Saoudite, alliée du Koweït, prend des sanctions économiques contre la Jordanie, par la fermeture de son marché aux produits jordaniens. Sur le plan intérieur, les décisions du roi sont en revanche bien perçues par la population palestinienne de Jordanie et par la communauté palestinienne dans son ensemble.

Traité de paix avec Israël et réformes des années 2000

Une fois la guerre terminée, le roi entend se rapprocher des puissances occidentales et des Etats du Golfe. Sur le plan intérieur, le roi entreprend en avril 1990 la poursuite de la démocratisation de son pays. Des négociations sont menées entre la Jordanie et Israël, afin de normaliser les relations. En 1994, Hussein et le Premier ministre Rabin mettent à fin à l'état de guerre entre les deux Etats en signant un traité de paix signé qui contient d'autres éléments géostratégiques notamment une clause de partage des eaux du Jourdain. En 1999, le roi Hussein meurt. C'est son fils Abdallah II qui lui succède. Comme sous le règne de son père, le régime est autoritaire, la police très présente et la société reste conservatrice. Il change en revanche de politique économique en ouvrant la Jordanie au libéralisme et en établissant de solides relations avec l'Occident.

Signature du traité de paix entre la Jordanie et Israël. Le Roi Hussein et le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin se serrent la main à Washington. [eurojewcong.org]

Attentats, guerres voisines et réfugiés

En 2005, le roi lance un processus de réorganisation et de décentralisation du royaume. En août, le pays est frappé par des actes terroristes visant des navires de guerre US au bord de la mer Rouge. Trois attentats, au mois de novembre, contre trois grands hôtels d'Amman font de nombreuses victimes et traumatisent la Jordanie. Malgré les conflits dans les pays voisins, le roi fait tout pour maintenir la stabilité. La Jordanie sert de base arrière aux Occidentaux pour les opérations militaires en Irak ou en Syrie. En matière de politique intérieure, Abdallah II a dû lancer de nombreuses réformes pour démocratiser le gouvernement et éradiquer la corruption. La Jordanie n'est de loin pas une démocratie parfaite et suite au Printemps arabe, plusieurs manifestations ont eu lieu pour demander la fin de la monarchie. Sur le plan économique, la Jordanie fait face à de grandes difficultés, notamment dues à son manque de ressources naturelles, à l'afflux de réfugiés et à une démultiplication des instances gouvernementales. L'aide financière internationale ne suffira pas longtemps, le Royaume doit encore effectuer de profondes réformes à tous les niveaux, son défi pour les années à venir.

RTSdécouverte/Maya Chollet

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