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Les sources d'eau en Jordanie

L'eau en Jordanie. [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
L'eau en Jordanie - [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
On connaît la Jordanie pour Petra, la cité antique creusée dans la pierre, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Plus récemment, on a parlé de la Jordanie pour son accueil des réfugiés syriens, notamment dans l’immense camp de Zaatari. On parle moins des graves carences en ressources naturelles auxquelles elle doit faire face, particulièrement au manque d'eau.

D'OÙ VIENT L'EAU?

La Jordanie a développé des stratégies pour collecter, stocker et distribuer toutes les sources d'eau dont elle dispose. Elle exploite aussi bien l'eau de surface que les eaux fossiles. Comme les ressources conventionnelles sont très insuffisantes, elle a dû trouver des solutions inédites pour s'approvisionner, comme la construction de gigantesques canaux, barrages et réservoirs.  Ce réseau est sans cesse en train de se complexifier car l'eau se raréfie et les besoins augmentent. On va chercher l'eau plus loin, plus profond. C'est désormais avec les pays voisins qu'il faut collaborer, de grands projets internationaux voient ainsi le jour.

LES SOURCES CONVENTIONNELLES

Les pluies
Les pluies sont rares mais néanmoins vitales car elles permettent de recharger les nappes phréatiques. Actuellement, elles ne compensent pas la moitié de ce qui est prélevé dans les sous-sols. La population jordanienne a pris l'habitude de récolter l'eau de pluie, sur les toits plats des maisons. Mais cette récolte n'est qu'une petite goutte d'eau pour le pays.

Les nappes phréatiques
Elles représentent  54% de l'approvisionnement en eau du pays. Il existe 12 bassins principaux. Elles se tarissent peu à peu.

Les principaux bassins aquifères en Jordanie [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
Les principaux bassins aquifères en Jordanie [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]

Les fleuves
Les fleuves sont ce qu'on appelle des eaux de surface. Ils représentent 37% de l'approvisionnement total du pays. L'exploitation de l'eau des deux principaux fleuves qui traversent la Jordanie est depuis toujours un sujet politique sensible. La Jordanie est en bout de chaîne et donc dépendante de ses voisins. Les eaux du Jourdain sont en partie captées en amont par Israël et les eaux du Yarmouk par la Syrie et par Israël. Dans les deux cas, des accords ont été conclus en 1987 avec la Syrie et en 1994 avec Israël mais ils ne sont pas respectés et la Jordanie et n’a pas suffisamment d’influence pour faire respecter ces accords. L'eau est devenu un moyen de pression politique majeur. Le troisième fleuve qui abreuve le pays est le Zarqa, qui lui est entièrement sur le territoire jordanien. Il est constitué de l’eau des pluies et d’eaux usées qui ont été retraitées.

Des barrages sur les fleuves
Pour retenir l'eau des fleuves, la Jordanie a construit 10 barrages le long des trois fleuves. Ils servent de réservoirs  avant que l'eau ne soit redistribuée dans le pays. Mais les barrages sont conditionnés par le débit du fleuve, ils ne solutionnent donc pas la pénurie.

Les barrages dans la vallée du Jourdain [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
Les barrages dans la vallée du Jourdain [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]

LES SOURCES NON-CONVENTIONNELLES

Un canal gigantesque
Le canal King Abdullah est long de 110km, c'est la principale voie d’irrigation du pays. Il a été construit entre les années 1959 et 1961 puis étendu à de nombreuses reprises. Il puise les eaux du Yarmouk pour alimenter la vallée du Jourdain. Cette vallée est le jardin potager de la Jordanie. On y trouve la majorité des cultures. L'eau du canal est aussi envoyée vers Amman, la capitale, par un deuxième réseau de canaux pour la consommation humaine. De même que les barrages, le canal dépend de l'eau disponible dans le Yarmouk, qui elle-même dépend du bon vouloir d'Israël et de la Syrie.

Le King Abdullah canal [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
Le King Abdullah canal [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]

Traitement des eaux usées
Le manque d'eau est tel que la Jordanie traite les eaux usées dans des stations d’épuration pour les réutiliser. L'eau « propre » est déversée dans la rivière puis finit au barrage avant d’aller arroser la culture de la vallée du Jourdain notamment. Cette eau n’est utilisée que pour l’agriculture. Il n'est pas envisagé de l’employer pour la consommation humaine. Les craintes sont trop nombreuses quant à sa salubrité. Le problème est que les cultures sont consommées et que si l'eau n’était pas de qualité suffisante, c’est toute la chaîne alimentaire qui se retrouve contaminée. Traiter les eaux usées n'est donc pas non plus la solution idéale.

Importer de l’eau
La Jordanie aurait la possibilité d'importer de l'eau de la Turquie, du Liban et de l'Irak. Pourtant ces projets ne sont encore qu'à l’étude pour des raisons politiques notamment et parce que la Jordanie doit absolument prendre d'abord des mesures contre le gaspillage et la corruption. Elle ne peut puiser dans un budget largement déficitaire pour acheter de l'eau qu'elle jetterait.

Désaliniser l’eau de mer: le RED SEA-DEAD SEA CANAL
Un projet hors du commun est en passe d'être réalisé en Jordanie: construire une station de désalinisation et un canal de 200km qui partirait de la mer Rouge située à 230m au-dessus du niveau de la mer pour aller vers la mer Morte située à 420m au-dessous du niveau de la mer. Une partie de l’eau, environ 850 millions de m3 doit être pompée et envoyée vers Amman et l’autre servir à remplir la mer Morte, dont le niveau baisse d’un mètre par année. Sans quoi au rythme d'assèchement actuel, elle n'existerait plus dans une cinquantaine d’années. Le projet a donc le mérite de résoudre deux problèmes. Un accord a été signé en février 2015 entre Israël, la Jordanie et la banque mondiale à hauteur de 900 mio de dollars. La station de désalinisation doit être construite d'ici à trois ans au bord de la mer Rouge. L'eau sera partagée entre les Jordaniens, les Israéliens et les Palestiniens, preuve que l'entente est possible.

Le projet de canal mer Rouge - mer Morte [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
Le projet de canal mer Rouge - mer Morte [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]

Problématique d'un approvisionnement en circuit fermé
Plusieurs ONG s'inquiètent des conséquences qu'aurait une contamination de l'eau de l'une des sources d'approvisionnement jordanien. L'eau est transportée de part et d'autre du pays, retraitée et réutilisée. Si elle venait à être polluée, cela contaminerait l'ensemble du réseau, des sols et des infrastructures, une catastrophe sanitaire et environnementale pour tout le pays.

OÙ PART L'EAU?

Consommation des divers secteurs
L'eau est utilisée pour trois secteurs principalement. L'agriculture, l'industrie et la consommation des ménages. L'agriculture utilise près de 64% de l'eau disponible alors qu'elle ne contribue pas à nourrir le pays. La surconsommation du secteur s'ajoute à la pollution que cela engendre. La nécessité de l'agriculture jordanienne n'est pas remise en cause. C'est le choix des productions qui pose problème: la Jordanie cultive notamment des concombres ou des tomates, très gourmands en eau. Les systèmes d'irrigations vétustes engendrent également des pertes.

Les touristes contribuent à accroître la demande en eau. La Jordanie compte plus de 4 millions de visiteurs sur le site de Petra, au bord de la mer Rouge et de la mer Morte. Les hôtels et les piscines utilisent une grande quantité d'eau. Le tourisme étant très important pour l'économie du pays, le secteur est privilégié dans l'approvisionnement en eau, au détriment des régions rurales.

Les réfugiés
La Jordanie subit les effets des guerres chez les pays voisins. Elle accueille des vagues de réfugiés qui font augmenter la population du pays de manière significative et accroissent la pression sur les ressources d'eau limitées. Au total, il y a environ trois millions de réfugiés palestiniens depuis les guerres de 1948 et 1967, 500'000 réfugiés irakiens depuis la guerre de 2003 et au moins un million de Syriens.

L'afflux des réfugiés au fil des guerres [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]
L'afflux des réfugiés au fil des guerres [caee.utexas.edu - Etude d'Amelia Altz-Stamm]

Manque de coordination et problèmes politiques
Les carences en eau n'ont pas que des causes géologiques. Les pertes sont nombreuses du fait de la mauvaise coordination des trois agences responsables de la gestion de l'eau en Jordanie. Le manque de communication et de collaboration entre elles empêche de mettre en place une vraie politique de l'eau. Le prix de l'eau est aussi un enjeu important dans la problématique. Certains secteurs de l'agriculture sont fortement subventionnés. Les prix bas induisent le gaspillage.

Le transport et les détournements
Les sources d'eau principales sont éloignées des grandes villes. Par le réseau de canaux, barrages et tuyaux ou encore en camion-citerne, elle est acheminée partout. Plus le trajet est long, plus les pertes sont importantes. Les infrastructures sont souvent vieillies et poreuses. A cela s'ajoute le trafic d'eau. Des réseaux de détournements illégaux importants ont été installés. Les contrebandiers ou, à plus petite échelle, les particuliers puisent directement dans le réseau national.

Quelles solutions pour le futur?
Le gouvernement jordanien est conscient des failles de son système, des défis à venir et de la nécessité de réformes. Il a établi une stratégie pour améliorer la coordination, la discipline d'utilisation et la répartition de l'or bleu. En parallèle des grands projets, il s'agit d'éduquer la population, notamment le secteur de l'agriculture, à la gestion des ressources.

RTSdécouverte, Maya Chollet

Sources: Water for Life Jordan's Water Strategy 2008-2022, Jordan’s Water Resource Challenges and the Prospects for Sustainability, Les Clefs du Moyen-Orient, Water supply and water use statistics in Jordan, Water Resources planning and development in Jordan, Integrated Water Resources Management in JordanJordan Governement's Official Website, Feu vert pour le canal red sea-dead sea (waterworld.com).

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La Jordanie et sa gestion de l'eau

POINTS FORTS

Volonté et contrainte de s'adapter au manque d'eau

Prix incitatifs sur les ménages pour économiser l'eau

Prise de conscience parmi tous les secteurs de la société

Mise en place petit à petit de systèmes d'irrigation durable dans l'agriculture

POINTS FAIBLES

Peu d'eau disponible

Recharge annuelle des nappes et réservoirs plus faible que la décharge

Insuffisance administrative

Services techniques et distribution inappropriés

Faible importance accordée aux services de gestion de l'eau

Manque de conscience et d'éducation

Approche régionale fragmentée et insuffisante

Pas de coordination ni de gestion des ressources communes

Pas d'implémentation des traités régionaux sur les économies et la gestion de l'eau

Pas de données disponibles sur les ressources en eau des pays voisins et partenaires

Forte augmentation de la population

Peu d'engagement des communautés locales dans les projets sur l'eau

Institutions défaillantes, corruption de certains secteurs

Préparation inadéquate aux changements climatiques et à l'évaporation

Détournements du réseau par des particuliers

Gaspillage de l'eau par une agriculture inefficace

Manque de préoccupation sur la qualité de l'eau (toute l'attention portée sur la quantité)

L'avenir de la gestion de l'eau en Jordanie

OPPORTUNITÉS

Nouvelle approche interdisciplinaire de la gestion de l'eau (politique et scientifique)

Potentielle hausse des prix dans tous les secteurs

Amélioration de la coordination entre les secteurs et avec les pays voisins

Développement de la recherche et de l'éducation préventive

Amélioration des expertises sur la gestion de l'eau

Amélioration des infrastructures

Amélioration et disponibilité des statistiques et des données

MENACES

Changement climatique

Désertification

Inégalités de répartition de l'eau entre les pays et les secteurs

Haute salinité de l'eau

Instabilité politique et conflits

Forte diminution de l'aide internationale pour les projets sur l'eau