Jean-Pierre Masclet nous raconte lʹhistoire du haricot
Dans lʹattente des "Saints de glace", date avant laquelle il nʹest pas recommandé de les semer, nous allons aller à lʹorigine du haricot dont lʹhistoire est riche. Le haricot est américain. Les anciens botanistes savaient que les Grecs et les Romains connaissaient le haricot sous différents noms tel que phaseolus, lobos, ou encore faséole. Cependant le mot phaseolus désignait aussi bien une sorte de haricot que la Fève ou le Pois. Cette "fève" conservera un temps des appellations ambiguës comme fève de haricot (La Quintinie), ou pois de haricot (Ligier).
Longtemps, on a donc pensé à une origine asiatique du haricot, aussi à cause de sa ressemblance avec les Doliques, les haricots de lʹAncien Monde, cultivés depuis lʹAntiquité. Cʹest seulement au XXème siècle que la distinction entre les deux a été définitivement établie sur le plan botanique. Les haricots attachés au genre phaseolus, les doliques aux genre Vigna et Dolichos.
A son débarquement à Cuba, Christophe Collomb remarque des champs plantés de "faxones et fabs" soit haricots et fèves, différents de ceux cultivés en Espagne. Dès 1525, les nombreux témoignages démontrent la présence du Sud jusquʹau Nord, sur le continent américain et sur lʹile de Saint Domingue. Jacques Cartier, en 1535, trouve des haricots chez les Indiens de lʹembouchure du Saint Laurent. Tant de diversité et de nouveauté ne pouvait que conduire le haricot vers lʹEurope au XVI ème siècle.
Lʹorigine géographique des haricots se situe vraisemblablement en Amérique tropicale, berceau de toutes les espèces du genre Phaseolus qui en compte 56. La variabilité du haricot est grande, elle est due à la fois à des variations naturelles et au travail de sélection des Indiens.
Arrivé en Europe au XVIème siècle, le haricot va être vulgarisé seulement au siècle suivant et il faudra attendre le XVIIIème siècle pour voir se différencier les races à lʹorigine de nos variétés modernes. Plus précisément pour les voir nommées et baptisées.
La sélection du haricot sera marquée par deux grandes étapes : la découverte des haricots sans parchemin, ou mangetout, et lʹobtention de variétés naines. Lʹautre étape marquante sera lʹapparition des haricots beurre, ainsi nommé pour la coloration de leurs gousses.
La consommation du haricot par les Indiens se faisait uniquement sous forme de grains. Ce sont les Européens qui eurent lʹidée de consommer les gousses immatures, dépourvue de graines, et transformèrent une plante Vivrière en Légume vert. De Combles, en 1752, fut le premier à décrire les caractères marquants de toutes sortes de haricots, distinguant les haricots à écosser des mangetouts, les variétés naines et celles à grand développement…Enfin, les haricots se distinguent par la couleur de leur grain et de leur cosse et par les éventuelles panachures qui les ornementes.
Les trois sœurs dʹAmérique
Les Indiens avaient pour pratique culturale de cultiver sur la même parcelle la courge, le maïs et le haricot. Le maïs, en prenant de la hauteur servait de tuteur aux haricots, pendant quʹau pied poussaient les courges qui profitaient de lʹazote fixé par les haricots et se comportaient comme paillage naturel. Lorsque les deux premiers légumes étaient récoltés, les courges avaient toute la place pour finir leur croissance.
Des goûts et des couleurs
En matière de nourriture, les couleurs ont leur importance. Les haricots de conserve sont uniquement des variétés à grains blancs bien que les variétés colorées en pourpre soient nettement meilleures, mais la stérilisation ne sʹaccommode pas de grains foncés. En effet, le jus rendu lors de lʹopération est abondant et leur couleur est peu appétissante. Lʹarrivée des premières variétés vertes à la fin du XIXème siècle a dʹailleurs marqué les esprits. Jusquʹalors, pour obtenir des grains verts, on traitait les haricots aux sels de cuivre, au mépris de la santé publique.
Lʹopération du Saint Esprit
Lʹhistoire raconte que lors de la Révolution française des calices, des ciboires, des crucifix et des ornements de valeur furent enterrés pour éviter les pillages. Pour parfaire la cachette, des haricots blancs furent semés par-dessus. Au moment de la récolte, les grains, précédemment immaculés se révélèrent ornés dʹune tache violette en forme dʹoiseau toutes ailes déployées. Les semences furent pieusement conservées et ressemées. Le "haricot du Saint Esprit" sʹentoura alors de sa légende longtemps perpétuée, même si le miracle potager était le résultat dʹune hybridation naturelle.
Modèle dʹéquilibre
Lʹimprononçable "Starazagorski" est une petite curiosité de la nature comme on les aime. Ses grains ronds, bicolores noir et blanc ont lʹallure du Ying et du Yang. Les grains les plus parfaits dans cet exercice de mimétisme montent même un point blanc dans la zone noire et un point noir dans la zone blanche. Un haricot parfaitement équilibré.
Renaissance dʹune variété
Isérables est un village particulier. Surplombant la vallée du Rhône, il était, jusquʹen 1942 accessible quʹà pieds. Un des moyens de limiter les transports pédestres était de miser sur la production locale pour se nourrir. Lʹisolation du village et des générations de sélection ont fait naître une variété de haricot à rame locale, dont les plantes robustes produisant dʹabondantes récoltes de haricots à sécher.
Les graines brunes représentaient une source importante de protéines durant tout lʹhiver. Avec la disparition des anciennes générations et des potagers, la variété locale est tombée dans lʹoubli. Il y a quelques années, une habitante du village confia à un producteur de semences quelques graines qui ont permis de sauver la variété.
Aujourdʹhui, les variétés "Saint esprit", Starazagorski et Isérables qui ont traversé les siècles sont à disposition des jardiniers qui auront à cœur de perpétuer ce patrimoine végétal.