André Glucksmann

André Glucksmann commente un discours d'Aragon.
  • Culture et arts
  • Vidéo 4 min.

21 août 1968

Continents sans visa


Dans son dernier livre, «Une rage d'enfant», l'écrivain et philosophe André Glucksmann revient sur son enfance clandestine durant l'Occupation et conduit une réflexion sur les sources de son engagement. Il y relate notamment le moment où, en Mai 68 devant la Sorbonne, le poète Aragon, venu saluer les étudiants contestataires, est sèchement renvoyé par Daniel Cohn-Bendit. Nous avons présenté à André Glucksmann cet extrait de «Continents sans visa» diffusé en juin 68. Le Parti communiste français tient un meeting au Palais des Sports; Aragon monte à la tribune…

André Glucksmann: «Ce qui me frappe dans ce document, c'est le ton d'Aragon, la manière dont il pose son discours. Aragon sait et impose sa pensée. Le ton de sa voix est porteur d'une philosophie implicite qui dit «Je sais parce que je peux, je peux parce que je sais». Il a une manière de parler très IIIe République, avec ce côté pédant, cette façon de déclamer qui était propre aux académiciens et aux poètes officiels. C'est un ton qui passait bien auprès des ouvriers, pas chez les étudiants.

Inutile de rappeler que Mai 68 a été tout à fait déterminant en France et a agi sur deux fronts: d'un côté face au gouvernement et à sa police, de l'autre face au Parti communiste et à sa police syndicale. Mai 68 a marqué la fin du communisme occidental, en particulier du PCF qui avait perdu sa légitimité de parti des résistants obtenu durant la guerre. Il était devenu une vieille chose. Aragon a été rejeté par les étudiants qui ne pouvaient accepter ce genre de discours. A ce moment-là, il n'était plus le poète, mais un dogmatique qui faisait fi des sentiments de la compassion, notamment pour les victimes du Goulag soviétique. Et sur le fond de son propos, comparer les années 60 avec la montée du fascisme dans les années 30, c'est faire preuve d'une certaine forme de retard mental.»

André Glucksmann, «Une rage d'enfant», Plon.


André Glucksmann a fait ses études à Lyon, puis à l'École Normale Supérieure à Paris. Philosophe de formation, il entre au CNRS comme spécialiste de la guerre, de la dissuasion et de la stratégie nucléaire, travaillant sous la direction de Raymond Aron. En 1968, il publie son premier livre, «Le Discours de la Guerre», participe aux évènements de Mai 1968 en tant que militant maoiste, et, dans les années 1970, s'engage en faveur des résistants à l'oppression soviétique.

En 1975, il publie «La Cuisinière et le mangeur d'hommes», réflexions sur l'Etat, le marxisme et les camps de concentration, où il fait un parallèle entre le nazisme et le communisme. Ses écrits suscitent de nombreuses réactions en Europe.

Pendant les années 1980, il publie d'autres ouvrages, et couvre pour la presse française la chute du mur de Berlin. Ces dernières années, André Glucksmann n'a pas ménagé son soutien à la cause tchétchène et dénonce régulièrement l'attitude des pays occidentaux envers la politique de Vladimir Poutine, qu'il juge complaisante.