Au début des années 70, le Mouvement de libération des femmes essaime à Genève. Parmi les pionnières genevoises, un nombre non négligeable de lesbiennes. Celles-ci constituent dès 1972 un sous-groupe distinct. Durant des années, homosexuelles et hétérosexuelles vont militer côte à côte. C'est le cas en 1976, lorsque le MFL a maille à partir avec les autorités genevoises.
"Notre histoire compte"
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Introduction
En ce début juillet, la Ville de Genève profite du retour de la Pride dans ses murs pour mettre à l'honneur les mobilisations des lesbiennes, gays, bisexuel.le.s, trans*, intersexes, queer et plus (LGBTIQ+) qui ont marqué son histoire. Terre de refuge des protestants fuyant les persécutions, Genève s'est aussi souvent montrée plus ouverte qu'ailleurs envers les minorités sexuelles. Actions militantes ou associatives, culture, fêtes et sociabilités : voici quelques jalons d'une histoire locale très riche, souvent méconnue et encore largement inexplorée.
Chapitre 01 Militantisme lesbien et MLF
1976. Depuis plusieurs mois, les femmes du MLF demandent à la Ville de Genève de mettre à leur disposition un local de réunion. Comme rien ne bouge, elles décident au mois de mai d’occuper un vieux bistrot désaffecté du quartier des Grottes. Une équipe de la TSR les rencontre.
Trois mois plus tard, en août 1976, les militantes sont expulsées, une partie du bâtiment détruit à la pelle mécanique et le reste muré. Le 12 août, les femmes du MLF partent en cortège jusqu'en vieille ville de Genève pour y mener une action de représailles.
Centre femmes
Après la démolition de leur local des Grottes, les féministes attendent février 1977 pour se voir enfin attribuer un lieu de réunion au boulevard St-Georges. Si pendant un temps plusieurs associations se partagent l’espace, les lesbiennes vont rapidement s’y retrouver les seules locataires. Lieu d'accueil et d'entraide, le Centre femmes sera également le cadre d'un rassemblement festif rapidement mythique dans le milieu homosexuel : le Bal des chattes sauvages.
Bal des Chattes [Archives Lestime ]
Chapitre 02 Sortir du placard
Au moment de mai 68, un mouvement se fait connaître en France : le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR). Un groupe analogue, mixte, voit le jour à Genève en 1973. Il n'aura qu'une existence éphémère, car rapidement homosexuels et lesbiennes se séparent. En 1978, le Groupe Homosexuel de Genève (GHOG) lui succède. Composé d'hommes gays, s'alliant aux lesbiennes à l'occasion de certaines luttes, il se battra pour l'abolition du certificat de bonnes vies et moeurs et sera à l'origine d'actions politiques et culturelles parfois coup de poing.
En 1978 a lieu à Genève le Festival Cinéma et homosexualité. Initié par le GHOG, auquel se sont joints des groupes de gays et de lesbiennes lausannois et genevois, c'est la première manifestation du genre en Suisse romande. Une équipe de la TSR est sur place et donne la parole aux organisatrices et organisateurs.
En février 1980, l'émission L'antenne est à vous bouscule les téléspectateurs en donnant carte blanche au Groupe homosexuel de Genève (GHOG). Dans une mise en scène inventive et provocatrice, cinq militants dénoncent les préjugés et revendiquent de pouvoir vivre "à visage découvert" une vie amoureuse différente.
Vanille-Fraise
En 1979, la création du groupe Vanille-Fraise marque une scission des lesbiennes avec le MLF. Les activistes de Vanille-Fraise vont mener tout une série d'actions militantes. Parmi celles-ci, la "Goudou-Manif" de 1982, première manifestation en Suisse exclusivement composée de lesbiennes. Un pari courageux, à une époque où la vie homosexuelle ne s'affiche guère dans l'espace public. Si certaines participantes défilent à visage découvert, d'autres se cachent derrière des lunettes ou des masques.
Chapitre 03 Les associations : Dialogai, 360°, Lestime et les autres...
Dialogai
Après les années subversives incarnées par Groupe homosexuel genevois, la création en 1982 de Dialogai marque un tournant. Sensible à la détresse exprimée par des gays vivant souvent des existences clandestines hors des centres urbains, l'association se veut un lieu d'aide et d'écoute. Une permanence téléphonique est créée, avec un succès immédiat. Dialogai sera en première ligne au moment de l'apparition du virus du sida. Dès 1985, l'association deviendra l'antenne locale de l'Aide suisse contre le sida.
En 1990, Dialogai invite des militants français d'Act up pour une table ronde. L'association genevoise dénonce la frilosité des autorités suisses en matière de lutte contre le sida.
En 1992, on célèbre à Genève les 10 ans de l'existence du centre Dialogai. L'occasion pour la journaliste Nadia Braendle d'en rencontrer les membres.
360°
En 1997, un collectif proche du squat Chez Brigitte organise la première Pride de Suisse romande. Dans la foulée naît l’idée d’une association composée d'un pôle social, d'un magazine (360°) et d'un pôle festif (360fever). En cette aube du 21e siècle, 360° s’inscrit dans un esprit de mixité entre gays et lesbiennes et veut porter la voix de groupes souvent ignorés et discriminés comme les bi.e.s et les trans*. Si l’association et la rédaction de la revue tiennent arcade rue de la Navigation, l’esprit 360 souffle sur Genève depuis plus de 20 ans à travers des soirées organisées dans différents lieux de la ville.
Lestime
Après avoir occupé des locaux dans différents endroits de la ville, de Champel au quartier du Lignon, les lesbiennes s'installent en 2002 au coeur du quartier des Grottes. Après "Centre femmes", puis "Centre femmes Natalie Barney", l'association se choisit un nouveau nom : Lestime. Désormais durablement subventionnée, Lestime assume sa visibilité, et sa première présidente, Catherine Gaillard (qui siège au Conseil municipal et en sera même la présidente) sera une des premières figures politiques de Suisse romande à faire son coming-out.
Extrait du documentaire "Qui a peur des Amazones ?", produit par Lestime et réalisé par Carole Roussopoulos en 2003:
Chapitre 04 Bars et boîtes de nuit
En mars 1980, le magazine d'informations Tell Quel consacre son émission aux cafés, boîtes de nuit et autres lieux de rencontre pour homosexuels qui commencent à se développer en Suisse romande. A Genève, La Garçonnière accueille des spectacles de travestis qui attirent une clientèle dépassant largement la communauté gay. Cette dernière serait-elle en passe de sortir de son ghetto ? La situation n'est pas si rose. Comme le constate un gérant, les bars gays existent aussi parce que les homosexuels sont refoulés ailleurs.
La Bretelle et Chez Brigitte
Les ghettos, c'est précisément ce que veut briser Marie-Claire lorsqu'elle ouvre en 1979 La Bretelle à la rue des Etuves. Le miracle a lieu : à la Bretelle, lesbiennes, gays, bi.e.s, trans* se fréquentent et rencontrent les habitués du quartier. Plus tard, avec l'émergence du mouvement squat, d'autres bars voient le jour. Plus alternatifs, mais cultivant le même désir de métissage et de diversité. C'est le cas de Chez Brigitte, bar attenant au squat éponyme.
Chapitre 05 Fiertés
La première Pride de Suisse romande
Les défilés de la Pride ou Marche des fiertés commémorent les émeutes qui se sont produites en 1969 à New York, il y a tout juste 50 ans, suite à une descente de police particulièrement violente dans un bar gay, le Stonewall Inn.
Pionnière, Genève accueille le 5 juillet 1997 la première Pride de Suisse romande. Le Téléjournal ne manque pas l'événement. Joyeux cortège bigarré, excentrique, voire provocateur, la Pride constitue aussi une tribune pour exposer des revendications. Cette année-là, on se mobilise pour un projet de partenariat civil entre personnes de même sexe.
L'amour s'affiche
En 2004, Dialogai débute une campagne qui souhaite offrir une meilleure visibilité aux gays et aux lesbiennes. On pourra désormais voir dans la ville des affiches montrant des couples homosexuels s'embrassant. La journaliste de la TSR Genevière Dentan recueille les réactions de la population genevoise. Si la voix de l'ouverture et de la bienveillance est présente, les préjugés semblent encore chez certains bien tenaces.
Chapitre 06 Conclusion
Au fil des ans, grâce aux travail des associations et le soutien des pouvoirs publics, une partie de la population LGBTIQ+ de Genève, particulièrement les gays et les lesbiennes, ont réussi à faire entendre leurs voix et à faire respecter leurs droits. Cette reconnaissance ne doit cependant pas masquer le fait que les discriminations touchent encore de plein fouet les personnes trans* et les personnes non binaires (ne se situant pas dans les catégories de genre socialement reconnues), dont les revendications ne sont encore que peu entendues. La rue, le monde du travail, l'administration représentent encore pour elles des espaces violents, non sûrs. Les combats ne sont donc pas terminés et restent encore nombreux.
Chapitre 07 Sources
Sources vidéos RTS :
Occupation d’un bistrot aux Grottes / Un jour, une Heure / 04.05.1976
Manifestation MLF / Ouvertures / 14.05.1980
Festival de cinéma gay / Un jour, Une Heure / 02.11.1978
Les gays sortent du placard / L’Antenne est à vous / GHOG Groupe Homosexuel de Genève 27.02.1980
La goudou-Manif / Téléjournal / 22.05.1982
Dialogai contre le Sida / Journal Romand / 01.02.1990
10 ans de Dialogai / Télé journal / 28.07.1992
360 degrés / Mise au Point / Le fond de l’air est gay / 14.06.1998
Bars et boîtes pour homosexuels / Tell Quel / Le gay printemps / 20.03.1980
La Bretelle et Brigitte / Genève Région / 04.07.1997
Première Gay Pride à Genève / Le téléjournal / 05.07.1997
Une meilleure visibilité / TJ / 18.04.2004
Source vidéos externe:
Lestime / Extrait du documentaire "Qui a peur des Amazones ?", réalisé par Carole Roussopoulos, 2003. Merci à Lestime, qui a produit ce documentaire pour avoir mis à notre disposition cet extrait.
Sources photos :
Captures d'écran émissions RTS / RTS
Fonds photos RTS Orphea
Photographie de la banner : La Goudou-Manif, Genève, 1982 : Slogan « Hors de la nuit des normes, hors de l’énorme ennui ». Merci à Marie de Montmollin pour avoir mis à notre disposition cette photo de son fonds privé.
Sources affiche :
Centre Femmes : Affiche du Bal des Chattes sauvages, Fonds d’archives de l’association Lestime.