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Les Suisses, bourreaux de travail?

Travailleurs d'usine, 1966. [RTS]
Travailleurs d'usine, 1966. - [RTS]
Le 5 décembre 1976, le peuple suisse rejetait une initiative réclamant l’introduction généralisée de la semaine de travail de 40 heures. Depuis lors, toutes les initiatives visant à diminuer le temps de travail ou à augmenter celui des vacances ont été systématiquement refusées dans notre pays. Les Suisses seraient-ils des bourreaux de travail ?

La valeur travail en Suisse

En 1964, dans le cadre de l’exposition nationale de Lausanne, un sondage inédit est réalisé auprès de plus d'un demi-million de visiteurs. Au travers de questions touchant à des domaines aussi divers que l'éducation, la défense nationale, la démocratie ou le statut des femmes,  on tente pour la première fois de brosser un portrait du Suisse moyen.

Peut-on être bon Suisse et se lever après 9 heures du matin? Non, répondent 80% des personnes interrogées.

Sondage d'opinion réalisé à l'Expo 64 de Lausanne

Parmi les questions posées, un certain nombre portent sur le travail. Les résultats du sondage sont éloquents : le travail constitue bien un pan central de l'identité helvétique.

Visiteuse de l'Expo 64 répondant au questionnaire sur les Suisses. [RTS]
Culte du travail / Continents sans visa / 3 min. / le 1 octobre 1964

Le paysan représente une figure quasi mythologique dans le paysage national. Persévérant et dur à la tâche, il incarne à lui seul les qualités qu'on aime attribuer au travailleur suisse.

Paysan suisse en 1966. [RTS]
Une vie de labeur / Continents sans visa / 3 min. / le 29 septembre 1966

Le travail : oui, mais...

Le vocabulaire et l’imagerie changent lorsqu’on s’approche des usines et des chaînes de production. Pénibilité, routine, stress, exploitation, voire aliénation. Le tableau idéalisé du travailleur suisse se cogne aux dures réalités de la condition ouvrière.

La pointeuse, un rituel parfois humiliant pour l'ouvrier. [RTS]
Le travail des ouvriers / Continents sans visa / 5 min. / le 19 mai 1966

Mai 68. Un vent de révolte souffle sur la jeunesse occidentale. Cette dernière remet en question les valeurs de leurs aînés. Durant les « trente glorieuses », l’équation « travailler pour consommer » était une source suffisante de motivation. La jeune génération est en quête d’un autre idéal…

Ils ne veulent plus passer leur vie à la gagner. Des jeunes suisses en 1971. [RTS]
Le travail? Non merci! / Regards / 5 min. / le 5 octobre 1971

Si la réduction des horaires de travail fait partie du combat syndical depuis le début du 20e siècle, les mutations sociétales d'après-mai 68 contribueront également à créer un terrain favorable à l'émergence de nouvelles revendications. 

La semaine des 40 heures

Au mois de novembre 1973, les Organisations progressistes de Suisse (POCH), soutenues par la Ligue marxiste révolutionnaire (LMR) déposent une initiative visant à généraliser les 40 heures hebdomadaires de travail. Trois ans plus tard, lors d'un débat télévisé qui a lieu quelques jours avant le vote, Michel Thévenaz, le bouillant représentant de la LMR, affirme que les conditions sont réunies en Suisse pour une mise en oeuvre rapide de cette initiative.

Michel Thévenaz, représentant de la Ligue marxiste-révolutionnaire, en 1976. [RTS]
Oui aux 40 heures / Votations / 1 min. / le 30 novembre 1976

Dans le clan du non, on n'attaque pas de front le principe des 40 heures, mais on refuse son inscription dans la constitution au nom du réalisme économique. La politique ne peut dicter son rythme au marché. On privilégie la recherche de solution secteur par secteur. Ces arguments feront mouche, puisque 78% de la population va rejeter l'initiative le 5 décembre 1976.

En août 1984, une nouvelle initiative est lancée, cette fois-ci par l’Union syndicale suisse. Dans une allocution prononcée deux semaines avant le scrutin, le conseiller fédéral Jean-Pascal Delamuraz invite les Suisses à voter non.

Jean-Pascal Delamuraz s'adresse au peuple suisse en 1988. [RTS]
Non au 40 heures / Allocutions, déclarations / 3 min. / le 22 novembre 1988

Lors de la votation qui eut lieu le 4 décembre 1988, 65,7% des citoyens suisses se rallieront à cette position.

Enfin, en 2002 , l'Union syndicale suisse repart en guerre avec une initiative encore plus ambitieuse, puisqu'elle demande la réduction du temps de travail à 36 heures. Sans grande surprise, seuls 34,3% des Suisses l'approuveront.

Les vacances

Concernant les vacances, les Suisses semblent moins rigoristes. Si en 1964 le code du travail fixe un minima à deux semaines, on accorde aux cantons la possibilité d'en rajouter une. Et à part Obwald, tous le feront.

Le 10 mars 1985, le peuple refuse l'initiative du Parti socialiste réclamant un minimum de quatre semaines de congés payés et d'une cinquième semaine pour les travailleurs de moins de vingt ans et de plus de quarante ans. Par contre, il accepte un contre-projet indirect, qui porte à quatre le nombre minimum de vacances pour toutes les classes d'âge.

27 ans plus tard, en 2012, une initiative réclamant six semaines de vacances est soumise au vote populaire. Peu avant l'échéance, une équipe de Mise au Point prend la température à Cerniat, la commune romande qui en 1985 avait refusé à 92% les quatre semaines de vacances pour tous. Les Suisses ne désavoueront pas l'esprit du village gruérien, puisque le 11 mars 2012, l'initiative sera rejetée par 66, 5% des votants.

Monsieur Charrière, retraité à Cerniat en 2012. [RTS]
J'aime pas les vacances / Mise au point / 3 min. / le 26 février 2012

Un constat nuancé

Les 40 heures de travail hebdomadaires et les cinq, voire six, semaines de vacances n'ont jamais été inscrits en lettres d'or dans la Constitution suisse. Tous les Helvètes ne bénéficient pas des mêmes conditions, mais au fil des ans de nombreux accords ont été négociés entre partenaires sociaux. Selon des chiffres de l'Office fédéral de la statistique datant de 2015, les salariés suisses travaillent en moyenne 41,9 heures par semaine et disposent de 4,9 semaines de vacances par an. Si les résultats de votations semblent démontrer un attachement atavique des Suisses au travail, la réalité du terrain apporte donc quelques nuances au tableau.

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