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Les cantons règlent des millions de francs de primes maladie impayées

Chaque année, les cantons avancent plusieurs centaines de millions de francs de primes impayées aux caisses maladie. Par la suite, les assureurs leur rétrocèdent les montants qu'ils parviennent à récupérer. Des sommes dérisoires.

Il n'y aura jamais de "trou de la sécu" dans l'assurance maladie en Suisse. Lorsqu'un assuré ne paie pas sa prime, c'est au canton de combler le manque à gagner des caisses à hauteur de 85%.

En 2016, les cantons romands ont ainsi versé 163,7 millions de francs aux assureurs, selon les chiffres recueillis par la RTS. Le montant total des primes impayées en Suisse est quant à lui estimé à 843 millions de francs par l'Office fédéral de la santé publique (OFSP).

Comme elles sont propriétaires de l'acte de défaut de biens, il incombe ensuite aux caisses maladie d'engager des poursuites. Elles restituent 50% des montants qu'elles parviennent à récupérer. Or, en 2016 toujours, seuls 4,6 millions de francs sont revenus dans les caisses des cantons romands.

Budgets plombés

Ce système est le fruit d'un accord passé en 2012 entre les cantons et les assureurs. "La situation d'avant était encore pire", rappelle Mauro Poggia, conseiller d'Etat genevois en charge de la Santé. Avant 2012, les prestations de soins étaient tout simplement suspendues pour ceux dans l'impossibilité de payer leurs primes.

Seulement voilà, ces dépenses viennent plomber toujours davantage les comptes cantonaux. "Entre les primes impayées et les subsides, on a un budget qui augmente chaque année de manière tellement forte qu'il arrivera bientôt un jour où l'on ne pourra plus payer", pronostique Patrick Mazzaferri, directeur du Service de l'assurance maladie du canton de Genève.

>> Voir aussi le sujet de Mise au Point sur les subsides des cantons :

La hausse déprime
La hausse déprime / Mise au point / 16 min. / le 1 octobre 2017

Pas de contrôle

Grâce à "un effet de rattrapage", les montants rétrocédés ont légèrement augmenté ces deux dernières années. Mais ils restent faibles. Et les assureurs n'ont que peu d'intérêts – et pas forcément les moyens – à relancer les poursuites, eux qui touchent déjà la quasi totalité (85%) de la créance. "C'est une gestion énorme qui implique d'importants frais administratifs, observe Patrick Mazzaferri. Ce qui aboutirait encore à une hausse des primes."

De fait, la loi laisse une grande autonomie aux caisses maladie dans leur gestion de l'acte de défaut de biens. "Ce sont elles qui décident si et quand elles veulent relancer en tenant compte des frais et des chances que les créances soient payées", fait savoir Andrea Arcidiacono, porte-parole de l'OFSP. Une demande émanant des cantons romands pour davantage de contrôle avait été envoyée en 2014 à l'OFSP, mais n'avait pas débouché sur une intervention à ce moment-là.

Les assureurs se retrouvent souvent démunis d'informations pour taper juste dans leur relance de poursuite

Olivier Guignard, directeur de l'Office cantonal vaudois de l'assurance-maladie

Aujourd'hui, plusieurs cantons désireraient récupérer la gestion de l'acte de défaut de biens. Une initiative en ce sens a été lancée en Thurgovie. "Les assureurs ne disposent pas des informations nécessaires pour relancer des poursuites, ne sachant pas si les contribuables sont revenus à meilleure fortune", note Olivier Guignard, directeur de l'Office vaudois de l'assurance maladie. "Nous serions plus efficaces", renchérit Patrick Mazzaferri, insistant sur le fait que Genève dispose par exemple d'un système fiscal centralisé permettant d'avoir une vision plus précise de la situation financière d'un contribuable.

Vers un nouvel accord?

Du côté de la faîtière des assureurs Santésuisse, on rappelle que toutes les caisses disposent de leur propre département pour les impayés. "Mais nous ne sommes pas opposés à ce que les cantons reprennent en charge l'acte de défaut de biens", déclare son porte-parole, Christophe Kaempf.

"La question, c'est à quel prix?", lance Mauro Poggia. A Neuchâtel, le prix, c'est 92%: le canton s'acquitte de 92% de la facture (assurance, mais aussi participation aux frais, intérêts de retard et frais de poursuite), mais il gère lui-même la créance. Idem à Bâle-Campagne, où un accord identique a été conclu entre le canton et les assureurs.

S'il est encore "trop tôt" pour tirer un bilan de l'expérience neuchâteloise, Bâle-Campagne a fait les comptes. Le canton dénoncera l'accord à la fin de l'année car "financièrement cela n'en valait pas la peine."

Théo Allegrezza

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