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A l'école, dans la rue ou les magasins, des caméras vous surveillent partout

Souriez, vous êtes suspects
Souriez, vous êtes suspects / Temps présent / 54 min. / le 17 novembre 2016
L'évaluation du projet de vidéosurveillance dans le quartier des Pâquis à Genève le montre: les caméras ne font pas baisser la criminalité, même si elles rassurent la population. Entre sécurité et protection de la sphère privée, Temps Présent a enquêté.

Dans les transports mais aussi les rues passantes, les magasins, les halls d'immeuble ou même les cours d'école, les caméras de vidéosurveillance ont envahi l'espace public en Suisse. En quinze ans, leur nombre a triplé. Selon une estimation de l'Institut de géographie de l'Université de Neuchâtel, il y en aurait entre 100'000 et 150'000 sur tout le territoire suisse, dont au moins 21'000 surveillent directement l'espace public.

Aujourd'hui, avec les menaces d'attentats et le sentiment d'insécurité ambiant, presque plus personne ne s'en offusque, comme le montre le reportage de Temps Présent, diffusé jeudi soir. Cependant, la multiplication de ces installations pose des questions quant à la protection de la personnalité et de la sphère privée. D'autant plus que nombre de ces caméras sont directement accessibles en ligne en deux clics, comme le révélait la RTS en 2014. Le site qui les recense permet d'en visionner 298 aujourd'hui en Suisse.

Je suis père d'une fille de 16 ans et j'ai peur de ce qui pourrait lui arriver s'il n'y avait pas ces installations.

Un voyageur à la gare Cornavin, interrogé par Temps Présent

La peur semble donc justifier auprès de la population, l'installation toujours plus fréquente de caméras. Mais contrairement aux idées reçues, les caméras ne permettent pas toujours de dissuader les voleurs ou d'arrêter a posteriori les coupables lorsqu'on ne sait pas forcément ce que l'on cherche dans des heures et des heures d'images. "Parfois, on a pas la bonne image pour retrouver le voleur, et c'est frustrant", témoigne un policier genevois dans Temps Présent.

J'ai pas l'impression d'être intrusif, mais c'est clair qu'on voit la scène comme si on était un témoin direct. En même temps, ça ne remplace pas les patrouilles.

Un agent de sécurité engagé pour surveiller les caméras des Pâquis

Dans la rue

A Genève, dans le quartier des Pâquis, 29 caméras, derrière lesquelles des agents de sécurité visionnent en direct et 24h sur 24 les images, ont été installées pour une expérience-pilote de 2 ans. Le rapport d'évaluation, publié mardi (lire: Bilan mitigé après deux ans de vidéosurveillance aux Pâquis à Genève), montre que leur installation n'a pas permis une baisse significative de la criminalité (celle-ci a baissé de 19% directement sous les caméras mais a augmenté de manière générale dans le quartier de 15%). Le problème le plus important, celui du trafic de stupéfiant, s'est seulement trouvé déplacé. Qui plus est devant l'école du quartier des Pâquis, comme le dévoile les images de la RTS, ce qui devait a priori être évité à tout prix.

Les caméras permettent de comprendre les réseaux de deal mais elles ne chassent pas le dealers. Il faut de la présence policière.

Pierre Maudet, conseiller d'Etat genevois en charge de la sécurité

En charge du rapport d'évaluation commandé par l'Etat de Genève, le professeur à l'Institut de géographie de l'Université de Neuchâtel, Francesco Klauser, note que l'approbation des caméras au Pâquis est généralisée dans la population. "Si on leur laisse le choix, la présence policière et l'éclairage public est toutefois préféré à l'installation de caméras", explique-t-il.

Si on dit qu'on est d'accord de se faire filmer parce qu'on a rien à se reprocher, alors on peut mettre des caméras dans les chambres à coucher parce que statistiquement, c'est là où il y a le plus de violences.

Francesco Klauser, professeur à l'Unine

A l'école

Surveiller une cour d'école pendant les heures scolaires est interdit par la loi sur la protection des données. Au Grand-Saconnex (GE) cependant, ni les parents, ni le directeur de l'école en place depuis six mois ne se sont inquiétés de ces cinq petits appareils noirs filmant leurs chères têtes blondes âgées de 6 à 9 ans.

Interrogés par Temps Présent sur leur présence, les parents se disent "contents de savoir qu'il y a des caméras parce qu'il y a beaucoup d'histoires entre les enfants".

"C'est sécurisant", explique une Maman. Après vérification, les caméras se révèlent toutefois être là pour la surveillance des bâtiments eux-mêmes et pas du tout pour la sécurité des enfants.

Selon la loi, ces caméras ne devraient pas être enclenchées pendant les heures d'école, mais il se trouve qu'elles tournent 24h sur 24. Pionnière dans l'installation de caméras, la commune a mis en place un arrêté avant même que la loi genevoise sur l’information du public, l’accès aux documents et la protection des données personnelles n'entre en vigueur. La commune aurait dû se mettre en conformité depuis, mais elle ne l'a visiblement pas fait.

A la décharge

Première commune genevoise à avoir mis en place une vidéosurveillance à large échelle, Grand-Saconnex possède désormais 72 caméras. L'une des dernières à avoir été installée surveille un éco-point où les habitants peuvent déposer leurs ordures.

Grâce à ces films, on a pu trouver le numéro de plaques de voitures et amender des personnes qui avaient déposé des encombrants qui n'avaient rien à y faire.

Bertrand Favre, conseiller administratif au Grand-Saconnex

Celui-ci n'y voit pas un usage disproportionné de la vidéosurveillance. Le préposé fédéral à la protection des données Jean-Philippe Walter estime lui que "c'est un problème de société de luxe que de mettre des caméras sur une déchetterie", une pratique qui se répand pourtant dans plusieurs cantons (lire aussi: La vidéosurveillance des déchetteries en question dans l'Arc jurassien).

Dans les magasins

Malgré la loi fédérale sur la protection des données, et les lois cantonales, Berne ne dispose pas d'une armada d'inspecteurs pour surveiller l'ensemble du territoire suisse et la faire appliquer.

Dans les magasins cependant, la surveillance est plus constante, afin de protéger les travailleurs contre une atteinte de leurs droits.

Temps Présent a suivi la tournée d'un inspecteur du travail. Résultat? En une matinée de travail, le 100% des entreprises contrôlées étaient en infraction à la loi du travail et utilisaient des caméras pour surveiller plus ou moins directement le travail de leur personnel.

Sophie Badoux

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