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Cesla Amarelle (PS/VD): "Le texte de l'UDC instaurerait un climat de peur"

La conseillère nationale Cesla Amarelle (PS-VD) en décembre 2015. [Gaetan Bally]
La conseillère nationale Cesla Amarelle (PS-VD) en décembre 2015. - [Gaetan Bally]
Pour la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS/VD), l'initiative de mise en oeuvre de l'UDC instaurerait un climat de peur au sein de la population étrangère du pays. Elle estime que le texte est disproportionné et n'apporte aucune solution.

Cinq ans après l'adoption de l'initiative "Pour le renvoi des étrangers criminels", l'UDC revient à la charge avec un second texte strict et détaillé, lancé en 2012 et soumis à votation le 28 février prochain.

Le Parlement a adopté en mars dernier une loi d'application de la première initiative, laissant une marge de manoeuvre aux juges prononçant les renvois. Si le peuple refuse le second texte de l'UDC, la loi élaborée par les élus s'appliquera.

RTSinfo: L’UDC affirme que l’initiative sur laquelle le peuple se prononcera en février constitue une réponse proportionnelle au problème des criminels étrangers, car elle prend en considération la gravité des actes et la présence d’antécédents. Que répondez-vous à cela?

Cesla Amarelle: L’initiative ne respecte pas le principe de proportionnalité en ce sens qu'elle décrète que certaines infractions, dont des infractions mineures, conduisent à un renvoi automatique. L'UDC fait une confusion entre la sanction et l’expulsion. Il y a des personnes qui doivent être sanctionnées. Mais quand l’infraction est de faible gravité, cela ne devrait pas conduire à une expulsion parce que c’est disproportionné.  Par exemple, une insulte à fonctionnaire suivie dans une séquence de dix ans d’un tag sur un mur ou du vol d’une bouteille de schnaps dans la caravane du voisin, cela suffit pour provoquer l’expulsion automatique.

Des infractions graves sont également mentionnées dans le texte de l'UDC...

Dans le catalogue des infractions graves, il y a notamment l’abus à l’aide sociale. Dans ce domaine, un simple oubli suffit à provoquer l'expulsion automatique. Prenons l'exemple de quelqu'un qui perçoit des allocations familiales et qui oublie de déclarer un changement de situation, disons son enfant n’est plus en apprentissage car il a pris une année sabbatique. Cet oubli sur plusieurs mois est constitutif d’un abus à l’aide sociale et conduit à une expulsion automatique. Ce texte instaurerait un climat de peur permanent au sein de la population étrangère de Suisse !

Selon l'UDC, le Parlement a refusé de respecter la volonté du peuple en laissant une marge de manoeuvre aux juges dans la loi d'application de la première initiative. Qu'en pensez-vous?

C’est totalement faux ! Le Parlement avait le mandat du peuple de faire une loi et c'est ce qu'il a fait. C'était lui qui était tenu de proposer quelles infractions étaient concernées, puisque la première initiative était très vague à ce sujet. Le Parlement a choisi la manière forte, c'est-à-dire un catalogue d'infractions extrêmement fourni.  Par ailleurs, il a comme mandat de respecter la Constitution. Et c'est ce qu'il a fait en intégrant la clause de rigueur. Il nous paraissait essentiel de donner une marge de manoeuvre aux juges dans les cas exceptionnels, et seulement les cas exceptionnels, en particulier pour les personnes qui sont nées en Suisse ou qui ont toujours vécu en Suisse. Le juge pourra ainsi mettre en balance l'intérêt public de renvoyer une personne avec son intérêt individuel à pouvoir rester, parce que par exemple cette personne a ses enfants en Suisse ou parce qu'elle ne connaît même pas la langue du pays dans lequel elle va être renvoyée.

N'est-ce au fond pas un débat de juristes face à des préoccupations concrètes et pleines d'émotion de la population (sécurité, immigration…) ?

Mais ce que j'explique est plein d'émotion ! Nombreux sont ceux qui connaissent une mère de famille étrangère qui pourrait être concernée. Près de la moitié des Suisses ont une personne étrangère dans leur propre famille. Veut-on vraiment que les gens de notre propre famille vivent à long terme dans une peur permanente de se faire expulser ?

Il y a également l'argument économique. La détention des criminels étrangers dans les prisons suisses a un coût. Que répondez-vous à cela ?

L'UDC n’apporte aucune réponse. Si cette initiative est acceptée, le 29 février, il n'y aura pas de résolution des problèmes majeurs qui existent dans le pays concernant l'expulsion des vrais criminels. Le problème aujourd'hui, c’est l'exécution des renvois. Avec ce texte, nous allons créer un désordre social majeur en Suisse avec une augmentation du nombre de décisions de renvoi qui est évalué à plus de 10'000 par an. Ces personnes ne seront pas toutes expulsées de fait, parce que si elles proviennent de certains pays comme l'Algérie ou le Maroc, l'Etat d’origine refuse le retour au pays. La Suisse ne peut pas faire de vols spéciaux avec des ressortissants algériens parce qu'elle n'obtient pas les laissez-passer pour poser l'avion sur la piste. C’est la même chose au Maroc, car le pays n'a pas d'intérêt majeur à collaborer avec nous sur cette question.

La campagne a débuté dans un contexte particulier après les agressions du Nouvel An à Cologne. Craignez-vous que cela porte préjudice au camp du « non » ?

C'est évident. Je suis encore sous le choc de toute cette affaire. C'est absolument affreux ce qui s’est passé à Cologne. C'est un enjeu majeur de faire en sorte que cela ne se reproduise plus.

Comprenez-vous que les Suisses se sentent concernés et fassent le lien avec cette initiative ?

Oui, mais le rôle du politique est de trouver des solutions et dans le domaine des migrations, les choses sont très différentes les unes des autres. Il semblerait qu'à Cologne les principaux suspects soient d’origine maghrébine selon les éléments connus, sans vouloir les stigmatiser. Et de nouveau, le problème c'est que nous n'arrivons pas à renvoyer ces personnes. L'UDC peut continuer à taper sur la chaise contre laquelle nous nous cognons tous, mais le parti n'apporte aucune solution.

Propos recueillis par Tamara Muncanovic

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