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"L'initiative Marche blanche relève du slogan", selon Carlo Sommaruga

Carlo Sommaruga est l'un des rares parlementaires à affirmer son opposition à l'initiative de la Marche Blanche. [Keystone - Lukas Lehmann]
Carlo Sommaruga est l'un des rares parlementaires à affirmer son opposition à l'initiative de la Marche Blanche. - [Keystone - Lukas Lehmann]
Carlo Sommaruga (PS/GE) est l'un des rares opposants affirmés à l'initiative "pour que les pédophiles ne travaillent plus avec le enfants". Selon lui, la révision du Code pénal fournit des instruments de protection plus efficaces.

RTSinfo: Combattre une initiative contre la pédophilie peut choquer. Pourquoi êtes-vous opposé au texte de la Marche blanche ?

Je suis engagé depuis longtemps dans la lutte contre la pédophilie et souhaite que des moyens efficaces soient mis en place pour protéger les enfants. Or, je considère que le texte de la Marche blanche n'est pas efficace. Il relève du slogan et donne l'illusion de la protection.

Pourtant, sur la base d’une motion que j’ai déposée en 2008, le Parlement a adapté le code pénal pour disposer, dès le 1er janvier2015, d’instruments efficaces qui vont bien au-delà de ce que prévoit l’initiative, dans le respect de l’Etat de droit.

Une initiative slogan, c'est-à-dire ?

Dans notre société, la protection de l'enfant est au centre des préoccupations. Nous sommes tous d'accord sur ce point. Le titre de l'initiative est tel que personne ne peut s'opposer à l'idée générale qu'elle défend. Mais si l'on examine attentivement le texte, on constate qu'il ne parle pas de pédophile et sanctionne des mineurs et des jeunes adultes qui ne sont pas des pédophiles.

En quoi la révision de la loi, qui fait office de contre-projet indirect, diffère-t-elle de l'initiative ?

Contrairement à ce qui prévaut dans le Code pénal actuel et qui est à l'origine de situations choquantes, le contre-projet indirect prévoit une interdiction de travailler avec des enfants, même si le délit n'a pas eu lieu sur le lieu de travail.

Il ne concerne pas uniquement les infractions sexuelles envers des mineurs et des personnes dépendantes, mais aussi les atteintes à leur intégrité physique. La révision de la loi introduit des instruments comme l'interdiction de contact, l'interdiction géographique ou l'usage de GPS.

Un extrait spécial du casier judiciaire permet aussi à l'employeur ou à une association de contrôler à l'engagement si un candidat fait l'objet d'une interdiction. Mais la grande différence avec l’initiative, c’est que le contre-projet respecte le principe de proportionnalité.

Peut-on vraiment appliquer la proportionnalité à des cas de pédophilie ?

Chaque comportement doit être sanctionné en fonction de la gravité des faits et de la culpabilité. Les responsables de cas "bagatelle" sans intention criminelle ne doivent pas être traités de la même manière que les prédateurs sexuels ayant fait des dizaines de victimes.

Le contre-projet indirect propose une interdiction à vie, si cela se justifie. Elle est d’abord prévue pour 10 ans, en cas de peine privative de liberté de 6 mois ou de 180 jours-amende, puis renouvelée de cinq ans en cinq ans si nécessaire.

L'initiative prévoit une interdiction à vie pour tous les condamnés sans distinction. Elle sanctionnerait donc de la même manière un garçon de 19 ans ayant eu des caresses intimes avec une jeune fille de 15 ans et un prédateur sexuel ayant abusé de dizaines de victimes...

L’obstination à maintenir cette initiative est incompréhensible, alors que l’on répond à sa préoccupation dans la révision de la loi.

Selon vous, les initiants vont trop loin dans la "tolérance zéro"?

Notre société exige la tolérance zéro. Si je suis critique sur cette approche, en matière de pédophilie, je n'ai aucun problème à dire qu'il faut faire preuve de tolérance zéro, ou de réduction maximale du risque. Ici, l'enjeu majeur est celui de la détection précoce des criminels primaires. Or, l’initiative n’y répond pas.

Son texte a été conçu et déposé postérieurement à la motion de 2008, qui a très vite été adoptée par les Chambres et dont la modification du Code pénal proposée a été mise en oeuvre sans tarder par le Conseil fédéral.

Ne craignez-vous pas d'être accusé de soutenir les pédophiles?

On m’a déjà accusé, notamment sur internet,d'être du côté des pédophiles. Mais cela ne me touche pas ! Je suis heureux de voir que le débat, tel qu’il a lieu aujourd'hui, n’est pas, comme le disaient les initiants, entre amis et ennemis des pédophiles. Il cherche la meilleure manière de protéger les enfants dans le respect de notre état de droit.

Les premiers sondages donnent 80% de oui à l’initiative. La bataille s’annonce difficile…

Aucune bataille politique n’est simple. Je suis convaincu que mon engagement et celui de certains de mes collègues pour la protection et la défense des enfants face aux prédateurs sexuels, telle que nous la menons, est juste et efficace. Et je me battrai jusqu’au bout pour que les enfants puissent bénéficier d'un dispositif légal qui les protège de manière réelle. Au surplus, actuellement, beaucoup d'initiatives sur lesquelles nous votons minent notre état de droit. Nous devons dire stop.

Propos recueillis par Jessica Vial

Lire aussi l'interview du démocrate-chrétien valaisan Christophe Darbellay: "La pédophilie n'est pas guérissable"

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L'initiative en bref

Les Suisses sont appelés, le 18 mai prochain, à se prononcer sur l'initiative de la Marche blanche visant à interdire à vie aux pédophiles condamnés de travailler avec des enfants.

Lancée par l'association Marche blanche, le texte vise les pédocrimininels, mais également les personnes coupables d'abus sexuels sur une personne dépendante. La mesure concerne les activités professionnelles ainsi que bénévoles.

La pédophilie n'étant pas guérissable, selon les initiants, la protection des enfants passe avant les intérêts des agresseurs. Ils estiment la mesure proportionnée, et rappellent que des sanctions similaires existent dans d'autres professions (médecins, avocats).

Le Conseil fédéral a appelé à rejeter cette initiative. Le Parlement n'a pas donné de mot d'ordre, les deux Chambres n'ayant pu se mettre d'accord.

La principale critique avancée contre l'initiative de la Marche blanche est sa nature anticonstitutionnelle. D'autres se sont opposés au fond du projet, le jugeant imprécis, disproportionné et superflu. Superflu, car une révision de la loi entrera en effet en vigueur en janvier 2015, plus complète que l'initiative selon la ministre de la Justice Simonetta Sommaruga.

L'UDC et le PBD ont été seuls à se prononcer pour le "oui". PS, PLR, PDC et Verts préconisent le "non".