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La sécurité privée gagne des parts du "marché des prisonniers"

Les agents de sécurité privés sont également employés dans plusieurs prisons et institutions publiques suisses
Les agents de sécurité privés sont également employés dans plusieurs prisons et institutions publiques suisses / 19h30 / 2 min. / le 15 février 2013
Les cantons romands font de plus en plus recours à des sociétés de sécurité privées pour le transfert de prévenus, mais aussi pour la surveillance dans les prisons, sans cadre juridique formel.

Des prévenus accompagnés par des hommes sans uniforme de la police, des prisons arpentées par des surveillants armés flanqués du logo Securitas: les administrations pénitentiaires romandes font de plus en plus recours à des compagnies de sécurité privées, selon une enquête de la RTS.

Mis en place en 2001, le programme "Jail Train System" (JTS) ayant pour but la privatisation du transport de prisonniers entre cantons n'a cessé de voir ses activités augmenter. Ainsi, après avoir assuré le déplacement de 10'104 personnes l'année de son lancement, le JTS en a convoyé plus de 16'000 en 2012. Un marché qui rapporte 7,3 millions de francs aux agences de sécurité privées.

Pas de contact direct

Arrivés à la case prison, les détenus rapportent encore des millions aux agences privées. Les cantons sous-traitent une partie de la surveillance dans les pénitenciers. Protectas, numéro 2 du secteur en Suisse, assure aux Etablissements pénitentiaires de l’Orbe (EPO) et à la prison de la Croisée plusieurs missions. Concrètement, des agents privés patrouillent avec des chiens et des armes à feu dans l'enceinte de ces deux pénitentiaires vaudois sans pour autant qu'ils aient de contact direct avec les détenus. Coût annuel de ces opérations: 2,8 millions de francs. Une pratique qui existe désormais dans tous les cantons romands, Jura excepté.

Expert dans le domaine pénitentiaire, Benjamin Brägger, de l'Université de Lausanne, analyse cette tendance à la privatisation du secteur carcéral: "Il manque des centaines de gardiens de prison, mais les parlements cantonaux refusent toute augmentation. Les services pénitenciers n’ont pas le choix, ils trouvent du personnel par d’autres moyens."

La solution vient des petites lignes des budgets "frais de surveillance, prestation de service par des tiers, etc." "On ne parle plus de postes de travail, mais de missions sous-traitées. Des missions qui cachent des agents de sécurité qui n’apparaissent plus en tant que tel. Ils sont inscrits au budget ordinaire d’exploitation d’une prison", ajoute Benjamin Brägger.

Pas de cadre juridique clair

En août dernier en Argovie, un détenu s’est fait la belle sous les yeux de l’agent de sécurité privée durant sa promenade. Aucun tir, pas de blessé, mais un cas qui soulève un problème de fond: que peut faire un agent de sécurité privée dont la formation n’est soumise à aucun contrôle étatique concret?

A cette question, ni les services pénitentiaires, ni les cantons, ni les experts n’ont pu apporter de réponse claire. Les agents de sécurité n’ont pas plus de droit qu’un citoyen lambda à user de la force. "On est dans une zone grise juridique", concède Valérie Gianoli, cheffe du Service pénitentiaire de Neuchâtel.

Aucun canton n'est pour l'heure doté d'une loi formelle encadrant le travail de ces agents privés en prison. C'est par conséquent sans cadre légal solide que l’Etat sous-traite de plus en plus à des agences privées des activités dans le domaine carcéral.

François Ruchti/gax

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