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Project Veritas, une organisation en croisade contre les médias américains

Le Washington Post a fait l'objet d'une tentative de manipulation par l'organisation conservatrice Project Veritas, qui veut discréditer les grands médias américains jugés partiaux. [Reuters - Gary Cameron]
Le Washington Post a fait l'objet d'une tentative de manipulation par l'organisation conservatrice Project Veritas, qui veut discréditer les grands médias américains jugés partiaux. - [Reuters - Gary Cameron]
Project Veritas, organisation controversée adoubée par Donald Trump, s'est donné pour mission de mettre au jour la "malhonnêteté" des grands médias américains. Elle vient d'être prise en flagrant délit de "fake news".

L'histoire montre une fois de plus combien l'information est devenue un enjeu aux Etats-Unis, et combien le fossé entre certains milieux conservateurs américains et les médias est grande.

Dans une série d'articles parus cette semaine, le Washington Post raconte comment il est parvenu à démasquer une fausse informatrice qui prétendait avoir eu une relation avec le candidat républicain au Sénat en Alabama, Roy Moore, visé par des accusations de harcèlement sexuel.

Le quotidien américain, à l'origine des premières révélations sur Roy Moore, a découvert que l'accusatrice travaillait en réalité pour Project Veritas, une organisation conservatrice aux pratiques douteuses qui s'est donné pour mission de discréditer les grands médias en les piégeant, afin d'exposer au grand jour leur supposé biais pro-démocrate et anti-Trump.

En l'espèce, l'objectif était, selon le rédacteur en chef du Washington Post, de "nous tromper et nous mettre dans l'embarras". "L'intention de Project Veritas était clairement de diffuser la conversation au cas où nous serions tombés dans le piège", explique-t-il.

>> Voir le sujet du 19h30 sur la tentative de discréditation du Washington Post :

Etats-Unis: l'information est devenue un enjeu politique
Etats-Unis: l'information est devenue un enjeu politique / 19h30 / 2 min. / le 30 novembre 2017

Plusieurs médias piégés

Si cette fois la supercherie n'a pas fonctionné, Project Veritas n'en est pas à son coup d'essai. Ses méthodes: fausses identités, caméras cachées, vidéos coupées et sorties de leur contexte. Plusieurs grands médias et organisations ont déjà été bernés.

Il y a un mois, le New York Times a fait les frais de l'organisation. Cette dernière a filmé en caméra cachée un de ses jeunes reporters en train d'ironiser sur la notion de journalisme objectif.

Selon le Washington Post, avant ses fausses accusations sur Roy Moore, l'affabulatrice a essayé durant des mois d'infiltrer le journal par d'autres moyens, notamment en tentant de s'immiscer dans les cercles privés de certains journalistes sous une fausse identité.

En se faisant passer pour des documentaristes, deux autres membres de Project Veritas ont par ailleurs filmé à son insu un journaliste du quotidien de Washington, alors qu'il critiquait la ligne éditoriale "sensationnaliste" de son employeur. Cette vidéo a été diffusée sur le site de l'organisation en guise de réponse, quelques heures après les premières révélations du journal lundi.

James O'Keefe, un leader controversé

A la tête du groupement, James O'Keefe, un militant conservateur de 33 ans. Il se définit lui-même sur son site comme un "fouineur" dont la mission est de "révéler la corruption, la malhonnêteté (...) et les mauvais comportements (....) pour aboutir à une société plus éthique et plus transparente".

Très controversé, il est coutumier des coups montés depuis plusieurs années et certaines de ses opérations lui ont valu des démêlés judiciaires. Comme le rappelle Business Insider, O'Keefe a été condamné en 2010 après avoir tenté d'enregistrer illégalement les conversations téléphoniques d'une ancienne sénatrice démocrate.

En 2013, il a versé 100'000 dollars pour mettre fin à une plainte d'un membre de l'organisation en faveur des droits civiques ACORN, qu'il avait accusé à tort d'être impliqué dans des activités criminelles - causant la perte de ladite association.

Selon The Intercept, James O'Keefe et une de ses collaboratrices sont visés depuis septembre par une plainte d'un syndicat d'enseignants du Michigan, pour intrusion, espionnage et vol de données privées confidentielles.

Bénédiction de Donald Trump

Reste que Project Veritas bénéficie de la bienveillance de l'administration Trump, toujours prompte à accuser tous les médias autres que Fox News et Breitbart de "fake news".

Le Guardian rappelle que la fondation de Donald Trump a fait deux donations de 10'000 dollars à l'organisation de James O'Keefe en 2015, et qu'il a déjà relayé ou cité des contenus à la véracité discutable produits par Project Veritas: une fois pendant la campagne, lors du débat final face à Hillary Clinton; et une fois en juin dernier, lorsqu'il a relayé sur son compte Instagram une caméra cachée d'un employé de CNN.

Lundi encore, tandis que le Washington Post révélait la tentative de manipulation dont il avait fait l'objet, Donald Trump suggérait de son côté sur Twitter de décerner un "prix de la 'fake news'" à "la plus malhonnête" des chaînes, "y compris CNN et à l'exception de Fox News".

Pauline Turuban

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