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Cholestérol, la controverse où chacun défend son bout de gras

Les lipoprotéines de basse densité (LDL), aussi appelées "mauvais"cholestérol. [AFP - JUAN GAERTNER / SCIENCE PHOTO LIBR / JGT / SCIENCE PHOTO LIBRARY]
Les lipoprotéines de basse densité (LDL), aussi appelées "mauvais"cholestérol. - [AFP - JUAN GAERTNER / SCIENCE PHOTO LIBR / JGT / SCIENCE PHOTO LIBRARY]
Doit-on à tout prix prescrire des statines pour réduire le risque de maladies cardiovasculaires? Le documentaire "Cholestérol, le grand bluff" soulève une nouvelle fois la question. En Suisse, des médecins s'interrogent.

"J'ai ouvert les yeux au milieu des années 2000 face à une de mes patientes: 50 ans, régime alimentaire sain, non fumeuse... Un confrère lui avait prescrit des statines car son taux de cholestérol était trop élevé, et elle en était devenue malade", raconte le cardiologue Mikael Rabaeus.

Ce médecin, qui exerce à Clarens et Genève, témoigne dans le documentaire "Cholestérol, le grand bluff", diffusé mercredi 4 septembre 2019 par la RTS.

Ce qui faisait souffrir cette femme? La perspective d'avaler à vie un comprimé de ce médicament qui inhibe la production de cholestérol par l'organisme alors qu'elle n'avait aucun symptôme.

Mais la prise de conscience de Mikael Rabaeus va au-delà, car plus de 220 millions de personnes prennent des statines dans le monde (lire encadré)."Comme le docteur Knock, j'ai compris que pour l'industrie pharmaceutique, tout individu en bonne santé est un malade qui s'ignore", explique le cardiologue interrogé par la RTS.

Batailles scientifiques

Dans "Cholestérol, le grand bluff", la réalisatrice Anne Georget revient sur 60 ans de batailles scientifiques féroces autour du cholestérol, le tout sur fond de bénéfices colossaux pour les industries agro-alimentaire et pharmaceutique.

Je n'ai pas peur de traiter ces gens de 'criminels'

François Mach, chef du service de cardiologie des HUG

Donnant la parole aux "cholestérosceptiques", elle démontre comment s'est peu à peu imposée, au gré d'études plus ou moins sérieuses, "l'hypothèse du régime du coeur", établissant un lien entre alimentation et maladies cardiovasculaires, au lendemain du traumatisme créé aux Etats-Unis par la crise cardiaque du président Eisenhower, contraint de délaisser le Bureau ovale de la Maison Blanche pendant dix jours, en 1955.

D'essais cliniques tronqués en statistiques douteuses, ce documentaire engagé démonte le "dogme du cholestérol", amenant à se demander s'il est bien raisonnable de faire du cholestérol l'ennemi numéro un de nos artères bouchées. "L'hypothèse selon laquelle le cholestérol est mauvais pour la santé est basée sur des études fausses", résume le docteur Mikael Rabeaus joint par téléphone.

Le cholestérol, un facteur de risque

De quoi faire bondir le chef du service de cardiologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) François Mach, également contacté par la RTS. "Je n'ai pas peur de traiter ces gens de 'criminels'! Le cholestérol est un facteur de risque des maladies cardiovasculaires au même titre que le tabac, l'hypertension, le diabète, le surpoids ou la sédentarité", défend-il.

"Récemment, de nombreuses études de génétique, non soutenues par l'industrie pharmaceutique, avec des suivis de 20-30 ans, ont très clairement démontré que si le taux de cholestérol est élevé, ou abaissé par des mutations, ceci se traduit par une augmentation ou diminution du risque d'événements cardiovasculaires, notamment l'infarctus aigu du myocarde", ajoute le professeur.

"On sait qu'il y a des sujets controversés, mais cela va trop loin dans la négation de certaines études, y compris de celles soutenues par des agences gouvernementales comme le Canadian Institute of Health Research", renchérit le professeur Nicolas Rodondi, chef de la polyclinique médicale à l'Hôpital de l'Ile, à Berne.

Jusqu'à 50% des patients à bas risques cardiovasculaires en Suisse ont pris des statines alors qu'il n'était pas prouvé que c'était nécessaire

Nicolas Rodondi, chef de la polyclinique médicale à l'Hôpital de l'Ile, à Berne

Le spécialiste, engagé dans la lutte contre la surmédicalisation, concède toutefois pour la RTS qu'il y a eu des abus dans le passé. "Jusqu'à 50% des patients à bas risques cardiovasculaires en Suisse ont pris des statines alors qu'il n'était pas prouvé que c'était nécessaire", reconnaît-il.

L'exemple américain?

C'est que, depuis 20 ans, les médecins suisses ont suivi les prescriptions de l'American College of Cardiology pour déterminer quel était le taux normal de cholestérol, et celui à partir duquel il était jugé trop élevé. Or ce seuil a sans cesse été revu à la baisse entraînant forcément une hausse du nombre de personnes à traiter.

Face à ce constat, le Groupe de travail lipides et athérosclérose (de la Société suisse de cardiologie) a décidé en 2014 de ne plus suivre les recommandations américaines. "Nous avons eu de grandes discussions", se souvient Nicolas Rodondi. "Avec les dernières lignes directrices, le nombre de personnes concernées pourrait presque doubler, cela nous a semblé exagéré", précise-t-il.

Car en matière de statines, il importe de distinguer trois groupes de patients. Ceux qui souffrent d'une maladie cardiovasculaire ou d'une maladie génétique qui augmente leur taux de cholestérol dans le sang et qui doivent être traités à un âge jeune pour éviter un infarctus, et les autres, chez lesquels d'autres moyens de prévention devraient être privilégiés.

Changer ses habitudes d'abord

"En Suisse, une personne sur 200 souffre d'hypercholestérolémie. Ces patients-là doivent être traités", martèle le professeur François Mach, las de voir des individus cesser tout traitement du jour au lendemain "alors qu'ils en ont vraiment besoin" (lire second encadré).

Alors, avant de tout remettre en cause, le professeur genevois encourage à aller en parler à son médecin. "En prescrivant des statines, on ne fait de mal à personne" souligne-t-il. Et d'inviter toutes personnes dont le taux de cholestérol est trop élevé à modifier quelques habitudes de vie avant de passer à un traitement médicamenteux: arrêter de fumer, manger sainement ou bouger. Et sur ce point - au moins - tous les médecins sont d'accord.

>> Réécouter l'émission CQFD, avec Bertrand Kiefer de la Revue médicale suisse :

Représentation de la molécule du cholestérol.
Zerbor
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Cholestérol: l'accès aux données brutes des essais cliniques / CQFD / 12 min. / le 27 septembre 2016

Juliette Galeazzi

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Les bénéfices des statines supérieurs aux effets indésirables

Les bénéfices des statines, des médicaments anti-cholestérol très largement prescrits, ont été sous-estimés et leurs effets indésirables exagérés, affirme dans la revue The Lancet la dernière étude en date sur le sujet. Elle pourrait contribuer à calmer la polémique ayant conduit des patients à arrêter ces traitements.

"Nos résultats montrent que le nombre de gens qui évitent des infarctus et des accidents vasculaires cérébraux est beaucoup plus important que le nombre de gens qui ont des effets secondaires", indique le Pr Rory Collins, de l'Université d'Oxford, qui avec d'autres chercheurs, a passé en revue 30 études incluant 140'000 personnes.

Interpreting the evidence for the efficacy and safety of statins - major review out today https://t.co/6wC12wPfkE pic.twitter.com/lpf52exniv

— The Lancet (@TheLancet) 9 septembre 2016

Arrêter les statines peut être dangereux

La controverse sur la nocivité ou l'inefficacité des statines à titre préventif s'est développée rapidement dans plusieurs pays ces dernières années. C'est notamment le cas au Royaume-Uni où 20'0000 patients ont arrêté d'en prendre, ce qui pourrait, selon les chercheurs, entraîner entre 2000 et 6000 incidents cardiovasculaires au cours de la prochaine décennie.

En France, où plus de 5 millions de personnes prennent des statines, soit un marché évalué à 2 milliards d'euros, plusieurs médecins ont lancé des offensives contre ces médicaments.

L'une d'entre elles - un livre publié en 2012 intitulé "Guide des 4000 médicaments utiles, inutiles ou dangereux" remettant en cause les statines dans la prévention du cholestérol - est accusé d'avoir fait 10'000 morts, selon une étude du professeur Nicholas Moore, spécialisé en cardiologie et pharmacologie à l'Université de Bordeaux, parue dans la revue Archives of Cardiovascular Diseases. Les deux auteurs Philippe Even et Bernard Debré avaient été d'interdits d'exercer la médecine en France pendant un an.