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Des juges genevois auditionnés suite à une dénonciation d'Yves Bouvier

Le marchand d'art Yves Bouvier. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Le marchand d'art Yves Bouvier. - [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Dénonçant un prétendu projet de corruption de magistrats dans le cadre du divorce de Dmitri Rybolovlev, le marchand d'art genevois Yves Bouvier a provoqué une enquête qui a mené à l'audition inédite de juges genevois, a appris la RTS. La procédure du Ministère public genevois va être classée.

L'affaire Rybolovlev-Bouvier, du nom de l'oligarque russe et du marchand d'art genevois qui se déchirent devant les tribunaux depuis 2015, a fait trembler les murs de la justice genevoise.

Yves Bouvier s'est présenté face à un procureur à Genève en septembre 2015 pour dénoncer des agissements supposés de Dmitri Rybolovlev et de son avocate.

Divorce très médiatique

Le marchand d'art a affirmé que son ex-client - et désormais adversaire russe (voir encadré) - l'avait chargé de corrompre les magistrats de la chambre civile de la Cour de justice de Genève dans le cadre de son médiatique divorce, une information également publiée par la Tribune de Genève et 24 heures ce samedi.

Pour rappel, dans un premier jugement de mai 2014, la justice genevoise avait attribué 4 milliards à l'ancienne épouse de l'oligarque, une décision finalement cassée en appel par la Cour de justice, qui avait limité cette somme à 564 millions. Le couple a depuis trouvé une solution à l'amiable.

Les juges auditionnés

Selon nos nouvelles informations, l'enquête a mené à l'audition de plusieurs juges genevois, entendus comme témoins. De telles convocations sont sans précédent pour la justice genevoise, nous a confié un fin connaisseur du monde judiciaire, qui n'a pas souvenir de cas similaires. "Cela est inédit", a-t-il déclaré.

Le Ministère public genevois a confirmé à la RTS que, suite aux graves accusations d'Yves Bouvier, une procédure pénale a été ouverte "visant de possibles actes ou tentatives d'actes de corruption ou de contrainte (…) Toutes les personnes concernées ont été entendues, y compris des magistrats".

Une liste de noms de juges au centre de l'affaire

La dénonciation d'Yves Bouvier se fondait sur un document qu'il a transmis à la justice, une liste de noms de juges risquant d'être amenés à statuer en deuxième instance sur le fameux divorce.

Cette liste, une simple impression papier des compositions de la cour publiée par l'Etat de Genève, lui a été fournie en octobre 2014 par l'avocate de Dmitri Rybolovlev. Les deux parties s'accordent sur ce point, mais les versions divergent à partir de là entre les anciens partenaires en affaires.

Yves Bouvier a assuré avoir reçu l'instruction orale de trouver des moyens d'influencer les magistrats dont le nom figure sur le document. Il assure s'y être refusé mais a attendu près d'un an avant de dénoncer les faits, en septembre 2015.

Durant ces onze mois, la relation entre Dmitri Rybolovlev et Yves Bouvier s'est dégradée. En février 2015, le marchand d'art a été arrêté à Monaco, accusé d'escroquerie par le milliardaire russe.

Accord secret entre Yves Bouvier et l'ex-épouse Rybolovlev

Au printemps de cette même année 2015, Yves Bouvier a signé un accord secret avec l'ex-femme de Dmitri Rybolovlev. Dans cet accord, elle renonçait à toutes éventuelles poursuites contre le Genevois pour ces agissements lorsqu'il était actif dans le camp adverse. En échange, le marchand d'art partageait des informations pouvant la servir.

Cet accord l'aurait-il poussé à dégainer la liste? Contacté par la RTS, Yves Bouvier a affirmé par la voix de son porte-parole que l'accord n’avait rien à voir avec sa dénonciation, l'accord se limitant à déterminer le patrimoine. Il a par ailleurs assuré maintenir sa version de faits quant à sa déposition.

Du coté de Dmitri Rybolovlev, on affirme que cette liste devait seulement permettre à Yves Bouvier de s'assurer que les juges qui auraient pu être chargés d'examiner l'appel ne soient pas liés à la partie adverse.

La liste des juges "a été remise par une avocate de Dmitri Rybolovlev à Yves Bouvier, à la demande de ce dernier", affirme le porte-parole du milliardaire russe, qui ajoute qu'Yves Bouvier "avait proposé à Dmitri Rybolovlev d'identifier d'éventuels motifs de récusation (des juges, ndlr)", en particulier de supposés liens entre certains juges et Marc Bonnant, avocat de l'ex-épouse de l'homme d'affaires russe.

Une affaire bientôt classée

Le Ministère public refuse de commenter l'état d'une affaire en cours. Toutefois, nous avons pu consulter un avis de prochaine clôture annonçant le classement de la procédure, envoyé par le procureur Stéphane Grodecki.

Cette clôture effacerait ainsi tout soupçon sur les magistrats genevois, qui, selon nos informations, ont tous assuré ne jamais avoir été contactés par quiconque dans le but de les corrompre.

Pour Dmitri Rybolovlev, cette décision démontre "après une instruction approfondie, qu'aucune infraction n'a été commise, ni par lui, ni par son avocate". "Cet acte de procédure met ainsi un terme aux accusations calomnieuses portées à leur endroit par Monsieur Yves Bouvier", ajoute son porte-parole.

Plainte pour dénonciation calomnieuse

Le milliardaire russe et son avocate ont chacun déposé plainte pour dénonciation calomnieuse à Genève contre Yves Bouvier.

Le parquet genevois mène toujours l'enquête dans l'affaire de l'escroquerie supposée lors de l'acquisition des œuvres d'art. Dossier pour lequel Yves Bouvier a été entendu par le Ministère public genevois en qualité de prévenu en février 2018.

Marc Renfer et Tybalt Félix

Sujet traité dans le Journal de 22h30 sur La Première

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L’affaire Bouvier-Rybolovlev

Yves Bouvier servait d’intermédiaire à Dmitri Rybolovlev dans l’achat de tableaux de grande valeur, y compris à plusieurs dizaines de millions, afin de permette la constitution d’une collection privée.

Leur relation d’affaires va toutefois tourner à la bataille juridique internationale à partir de février 2015: le milliardaire russe accuse le Suisse de lui avoir menti sur la valeur d’acquisition des tableaux, empochant de substantielles marges. Concrètement, il affirme que le Genevois faisait artificiellement monter le prix d’oeuvre qu'il avait lui-même acquises.

Selon Dmitri Rybolovlev, l’escroquerie porterait sur un montant de plus d’un milliard de francs. Yves Bouvier a toujours nié les accusations.