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Le groupe djihadiste EI "nie un patrimoine culturel antérieur à l'islam"

Une pièce de musée détruite lors de la bataille de Mossoul en Irak en 2015. [Reuters - Thaier Al-Sudani]
Les assassins de l’Histoire / Geopolitis / 16 min. / le 11 juin 2017
Invité de Géopolitis, le directeur des Musées d'art et d'histoire de Genève Jean-Yves Marin évoque les destructions de biens culturels par le groupe Etat islamique en Syrie, en Libye ou au Yémen. Une volonté de "nier une culture pré-islamique".

Pourquoi les mouvements djihadistes mettent-ils en scène la destruction de monuments qui appartiennent au patrimoine de l'humanité? On se souvient du dynamitage des bouddhas géants de Bamiyan en Afghanistan, déjà en 2001, du saccage du musée de Mossoul en Irak ou les ravages sur la cité de Palmyre en Syrie.

Le directeur des Musées d'art et d'histoire de Genève Jean-Yves Marin parle d'une "rupture de civilisation": "Avant on s'attaquait au patrimoine de l'autre, mais rarement au sien. Or, Daech (ou groupe Etat islamique, ndlr) s'attaque à un patrimoine qui lui est extrêmement proche. Il nie un patrimoine antérieur à l'islam". Et d'ajouter: "Par ces abus insensés, Daech a montré combien il était utile que tout le monde s'empare d'un sujet comme celui-ci".

Le trafic se nourrit du chaos

A côté de ces destructions, des milliers d'objets antiques sont arrachés chaque jour à leur pays d'origine et alimentent les réseaux internationaux du trafic d'art. Ce commerce illégal génère chaque année des milliards de francs.

Le phénomène s'amplifie ces dernières années parce qu'il se nourrit du chaos et prospère en zones de conflits. Yémen, Mali, Syrie ou Libye, les terrains sont multiples. Selon certains spécialistes, la gravité des pillages actuels dépasse les ravages de la colonisation.

C'est tragique pour la connaissance de notre civilisation

Jean-Yves Marin, directeur des Musées d'art et d'histoire de Genève

"On a commencé à prendre en compte le pillage après la Seconde Guerre mondiale. (...) Aujourd'hui on est au coeur de cela avec le Moyen-Orient. C'est là qu'il y a le plus de patrimoine. Cela devient tragique pour la connaissance de notre civilisation", s'inquiète Jean-Yves Marin.

Les objets pillés empruntent aujourd'hui les routes "traditionnelles" d'autres trafics, comme celui de la drogue ou des armes. Certaines zones de transit sont donc privilégiées et correspondent le plus souvent aux pays qui disposent de plusieurs ports francs, comme au Qatar, aux Emirats arabes unis, à Singapour et en Suisse bien sûr. Les Ports francs de Genève ont été au centre de plusieurs affaires de trafics illégaux.

Saisie exceptionnelle à Genève

Présentation au Musée d'art et d'histoire de Genève de neuf pièces antiques soustraite au trafic illicite. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]
Présentation au Musée d'art et d'histoire de Genève de neuf pièces antiques soustraite au trafic illicite. [Keystone - Salvatore Di Nolfi]

Neuf pièces issues du pillage sont actuellement présentées aux Musées d'art et d'histoire de Genève. Stèles funéraires du Yémen, bas-reliefs de Palmyre ou statue libyenne, tous ont emprunté un chemin tortueux et très difficile à retracer, avant d'être retrouvés aux Ports francs genevois, puis saisis par la justice en 2016. "Nous sommes les gardiens de ces pièces. Nous essayons de les restaurer, de les étudier, de les entretenir. Et le jour venu, idéalement, il faudrait qu'elles repartent dans leur pays", souligne Jean-Yves Marin.

La Suisse, plaque tournante, souhaite aujourd'hui se positionner comme l'un des centres mondiaux de lutte contre le trafic d'art. Une nouvelle fondation, présidée par l'ancien ministre français Jack Lang, a pris ses quartiers à Genève en mars 2017. Dotée de 100 millions de francs, elle vise le sauvetage des biens culturels menacés dans les pays en guerre.

>> Lire : Grâce à Jack Lang, Genève devient la capitale des oeuvres d'art menacées

Mélanie Ohayon

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