Nous les jeunes! Ceux qu'on appelle "Génération Y"

Grand Format

RTS

Introduction

Nouvelles manières de travailler, de vivre ou de consommer, six jeunes entre 24 et 33 ans livrent leur vision de la société.

#Millennials #DigitalNatives

Hyper connectée, capricieuse, perdue ou encore individualiste, la "génération Y" génère un nombre important de stéréotypes. Qu'on les appelle "millennials", pour enfants du millénaire, ou "digital natives", pour enfants du numérique, le constat demeure le même.

Si de nombreuses études ont tenté de définir ce qui caractérise ces jeunes, aucun consensus n'a été trouvé autour de leur tranche d'âge. On admet cependant qu'ils ont entre 22 et 35 ans environ et on les oppose souvent à la génération de leurs parents, les "baby boomers".

Décrits comme des questionneurs permanents, d'où la dénomination "Y" pour "why" ("pourquoi" en français), les jeunes de cette génération doivent-ils être considérés comme un ensemble uniforme composé uniquement de doux rêveurs? Eléments de réponse avec six jeunes "Y".

Caroline, voyageuse à plein temps

DR - Caroline

"On n'a qu'une vie, il faut en profiter"

Qui n'a jamais rêvé de tout quitter pour partir à l'autre bout du monde? Caroline, 24 ans, l'a fait il y a trois ans, en quittant son emploi de secrétaire médicale. Aujourd'hui, elle se revendique voyageuse à plein temps.

Avide d'évasion, elle parcourt le monde quand elle en a envie et travaille quand elle en a besoin, avec comme objectif de gagner suffisamment d'argent pour repartir. "C'est une sorte de routine de voyageur", explique-t-elle.

Pour gagner sa vie, elle travaille en ce moment dans un bar à Châtel-Saint-Denis (FR). Elle vit en colocation et limite ses dépenses. Sa vision de la vie: au jour le jour.

>> Son portrait en vidéo :

Portrait de Caroline, voyageuse à plein temps
Info en vidéos - Publié le 8 juin 2017

La tendance backpacker

Les voyageurs existent depuis toujours. Mais depuis quelques années, les prix des billets d'avion ont baissé, alors les jeunes en profitent pour découvrir le monde.

Aujourd'hui, c'est très facile de voyager. On a Internet quasiment partout, on peut donc tout réserver depuis son smartphone

Caroline, adepte du voyage en solitaire

On les appelle les backpackers. Ils partent avec leur sac à dos et leur petit budget, en dormant dans des auberges de jeunesse ou en louant un van aménagé. Leurs destinations de prédilection: l'Australie, l'Asie du Sud-Est ou encore l'Amérique du Sud.

Les smartphones et les applications liées au voyage (cartes, bons plans d'autres voyageurs, réservation de billets d'avion/hôtels) leur facilitent la vie. "Aujourd'hui, c'est très facile de voyager. On a Internet quasiment partout, on peut donc tout réserver depuis son smartphone", explique Caroline.

Dur retour à la "vie normale"

Si la plupart des jeunes backpackers voyagent durant plusieurs mois, voire une année, Caroline, elle, a décidé d'en faire son mode de vie.

"Le retour à une vie normale est trop difficile. Une vie où on a juste nos week-end et nos cinq semaines par an, ce n'est plus suffisant pour moi", explique la jeune baroudeuse.

Fred a fait un break pour vivre sa passion

RTS

"J'avais l'impression de passer à côté de ma vie"

Fred a 32 ans et un parcours professionnel qui peut faire rêver. Après des études en droit à Genève, ce Valaisan a obtenu facilement son brevet d'avocat. Il est ensuite devenu greffier juge suppléant et a exercé pendant trois ans et demi au tribunal de district de Sierre.

Un parcours sans embûches, une place de travail attractive trouvée rapidement, un très bon salaire et un statut social valorisant et respecté aux yeux de la société.

Pourtant, Fred a démissionné il y a neuf mois. Il avait envie de faire du golf. "Quand je serai sur mon lit de mort et que je regarderai en arrière, j'aimerais être plutôt satisfait de ma vie, et pour moi, cela ne passe pas par la carrière professionnelle", explique ce sportif.

>> Son portrait en vidéo :

Portrait de Fred, l'épicurien qui a fait une pause durant sa carrière
Info en vidéos - Publié le 8 juin 2017

Travailler moins

Selon une étude de Manpower sur la génération Y au travail, publiée en 2016, 84% des jeunes Y suisses prévoient de faire des "pauses significatives" durant leur carrière professionnelle. Ils seraient donc beaucoup à vouloir faire comme Fred.

"Les pauses sont de mieux en mieux vues par les patrons. Ce n'est plus un frein pour nous d'envoyer le dossier d'un candidat qui a fait une pause pour prendre du temps pour lui", explique Julien Soubeyrand. Ce conseiller en ressources humaines depuis plus de 10 ans voit des jeunes Y tous les jours en entretien.

La crainte d'être potentiellement remplacé par un robot un jour, ne permet pas de se projeter sur du long terme

Julien Soubeyrand, conseiller en ressources humaines

Plus de temps pour soi

Selon lui, les jeunes pensent plus à leur bien-être aujourd'hui. "Ils réfléchissent beaucoup plus à court terme aussi, ils n'arrivent plus à se projeter sur 10 ans car l'avenir est très incertain", ajoute-il.

Pour ce conseiller en ressources humaines, le discours des jeunes Y a évolué avec le temps. Ils s'inquiéteraient aussi beaucoup pour l'avenir, à cause des crises, du chômage des seniors et des évolutions technologiques. "La crainte d'être potentiellement remplacé par un robot un jour ne permet pas de se projeter sur du long terme", explique Julien Soubeyrand.

Les jeunes Y seraient, selon lui, beaucoup à rechercher du travail à temps partiel pour "profiter de la vie à côté du travail" et "avoir plus de temps" pour leurs loisirs, leur famille ou leurs amis.

Problème de riches

La Suisse est un pays développé avec un taux de chômage relativement bas comparé à d'autres pays européens. Par conséquent, se questionner sur le sens de la vie ou sur les nouvelles manières de travailler serait-il un problème de riches?

"Je pense que ces remises en question, on les a seulement en Occident", explique Fred. "Quand tu dois subvenir à tes besoins primaires, je pense que tu te poses moins de questions", conclut-il.

Stéphane, carriériste et exigeant

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"J'ai toujours voulu gravir les échelons rapidement"

Stéphane a 29 ans, il parle quatre langues (français, allemand, italien et anglais) et il est cadre dans une entreprise dans le canton de Berne. Parmi les jeunes de la génération Y, on trouve aussi des amoureux du travail.

Ce "quality manager" (responsable qualité) travaille à 100% dans l'industrie automobile et il a beaucoup d'ambitions. Son rêve: devenir un grand patron.

"J'aimerais vraiment être reconnu un jour pour ce que j'ai accompli. J'attache beaucoup d'importance au mérite", explique ce jeune cadre dynamique.

>> Son portrait en vidéo :

Portrait de Stéphane, carriériste qui a toujours voulu gravir les échelons rapidement
Info en vidéos - Publié le 8 juin 2017

Tout, tout de suite

Selon l'étude de Manpower sur la génération Y, les 22-35 ans "envisagent le travail de manière différente" et ils ont plus besoin d'être stimulés que les générations précédentes.

"Les carriéristes ont tendance à se lasser plus vite qu'avant", explique Julien Soubeyrand, conseiller en ressources humaines. Mais ce n'est pas une généralité. On trouve encore des jeunes qui restent pendant dix ans dans la même entreprise.

Amandine, mère célibataire, se bat pour offrir un avenir à sa fille

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"Je voudrais bien travailler moins, mais il faut bien manger"

Mère célibataire, Amandine pense avant tout à avoir suffisamment d'argent à la fin du mois. Cette femme de 33 ans travaille à 100% et quand elle ne travaille pas, elle pratique la boxe thaï et se consacre à sa fille, Louane, 4 ans et demi.

"A une époque, j'ai dû enchaîner quatre jobs de serveuse en même temps. J'ai toujours refusé d'aller frapper à la porte du social", explique Amandine.

Aujourd'hui, la restauration, c'est terminé pour Amandine. Depuis trois mois, elle fait tout pour se reconvertir et devenir ambulancière.

>> Son portrait en vidéo :

Portrait d'Amandine, qui se bat pour offrir un avenir à sa fille
Info en vidéos - Publié le 12 juin 2017

Pas de différences entre les générations

Amandine ne voit pas de différences entre les générations. Pour elle, à part l'ouverture sur le monde grâce à Internet, la vie reste la même. "Tout le monde doit se lever pour aller travailler", explique-t-elle.

La jeune femme se qualifie d'ambitieuse. Elle attache beaucoup d'importance au travail. "J'ai toujours aimé être serveuse. Aujourd'hui, je change pour offrir une vie meilleure à ma fille mais aussi parce que j'avais fait le tour de la restauration. J'avais envie de changer", explique-t-elle.

Positive sur tout

"Quand on veut, on peut, c'est ma philosophie et il n'y a pas d'âge pour changer", clame Amandine, qui reste toujours positive, quoi qu'il arrive.

Nina et David, cultivent leur jardin bio en permaculture

DR - David

"Etre autosuffisant à côté du travail, aujourd'hui c'est possible"

Nina et David ont 27 ans tous les deux et sont en couple depuis deux ans et demi. Ils travaillent tous les deux à 100%: Nina est graphiste à Lausanne et David, chargé de communication à Genève.

Le soir, en rentrant du travail, ils s'occupent de leur jardin biologique qu'ils ont conçu cette année en permaculture.

>> Leur portrait en vidéo :

Portrait de Nina et David, qui cultivent leur jardin bio en permaculture
Info en vidéos - Publié le 12 juin 2017

Conscience écologique grandissante

Selon la sociologue Cornelia Hummel, l'inquiétude écologique se retrouve très clairement chez les jeunes aujourd'hui.

"On peut la mesurer car c'est un phénomène qui ne date pas d'hier. On a l'impression qu'on se préoccupe de l'écologie uniquement depuis quelques années, mais on a commencé à en parler au début des années 1970", précise la sociologue.

Plusieurs générations ont donc été influencées par les chocs pétroliers et les problèmes environnementaux, et "cela rend l'avenir plus incertain pour les jeunes", ajoute-t-elle.

Souci de soi

Selon elle, le "manger bio" n'est pas une réponse à la crise écologique mais une réponse "au souci de soi".

Cette génération a intégré le fait qu'elle est responsable de beaucoup d'aspects de sa vie, notamment de sa santé

Cornelia Hummel, sociologue

Pour Nina et David, c'est une question de "reprendre ses responsabilités". "On nous a déresponsabilisés depuis la naissance, on ne nous apprend plus à se débrouiller par nous-même", souligne David. "Alors que moi aujourd'hui, je suis responsable de ce que je mange et donc de ma santé", précise-t-il.

"Cette génération a intégré le fait qu'elle est responsable de beaucoup d'aspects de sa vie, notamment de sa santé", explique Cornelia Hummel. L'enjeu pour la sociologue est de voir si la conscience écologique ou le souci de sa santé "se diffusent dans tous les milieux sociaux et engendrent des changements majeurs dans la société", conclut-elle.

L'AVIS DE LA SOCIOLOGUE

Il faut prendre les études sur les générations avec prudence

Cornelia Hummel, sociologue à l'Université de Genève

RTSinfo: Cornelia Hummel, d’où viennent les termes de "génération X,Y,Z"?

Cornelia Hummel: Il faudrait faire un historique sur ce sujet, mais ce qui est sûr c'est que ces termes sont nés dans le monde du marketing et du sondage d'opinion et pas dans le monde de la recherche scientifique.

Quand un sociologue étudie les générations, il fera des études de temps longs et il utilisera plutôt des fourchettes d'âge de cinq ou dix ans. Un sociologue ne pourra étudier les jeunes de cette génération seulement dans vingt ou trente ans.

RTSinfo: Pourquoi cela plaît aux milieux du marketing de catégoriser la génération Y?

Cornelia Hummel: Ils ont envie de définir cette génération car cela leur permet de s’adresser à un consommateur spécifique en lui disant : "Vous êtes la génération écolo, achetez mon yaourt bio" C’est très prosaïque.

Tant qu'on ne voit pas la méthodologie, il faut prendre ces études sur la génération Y avec prudence. Souvent, dans l'échantillon, on trouve surtout des gens qui peuvent payer quelque chose ou des jeunes urbains éduqués.

RTSinfo: Est-ce que les crises économiques et écologiques influencent la vision du monde des jeunes?

Cornelia Hummel: Oui. Je pense que les jeunes sont extrêmement conscients qu'ils n’auront pas les mêmes conditions d'accès à plein de choses que la génération de leurs parents ou de leurs grands-parents.

Les jeunes vont avoir des conditions de vie beaucoup plus compliquées et plus aléatoires et des parcours professionnels en pointillés

Cornelia Hummel, sociologue

Entre 1950 et 1980-85, nous avons vécu une parenthèse enchantée, qui est une vraie exception historique, et la fête est terminée. Aujourd'hui, les licenciements étant partout, les jeunes s'adaptent à un monde du travail qui change et qui n'offre plus à l'employé une insertion dans le temps long.

Les jeunes vont donc avoir des conditions de vie beaucoup plus compliquées et plus aléatoires qu'avant, des parcours géographiques avec plein de virages et des parcours professionnels en pointillés.

RTSinfo: L’arrivée d’Internet a-t-elle eu une influence sur cette génération?

Cornelia Hummel: C’est difficile à dire aujourd'hui. Dans mon quotidien à l'Université, je ne vois pas plus de curiosité sur le monde chez les jeunes d'aujourd’hui, que chez les jeunes d'il y a vingt ans.

Ce qui change surtout, c'est la précarité. Les inégalités sociales tendent à se renforcer beaucoup plus chez les jeunes d'aujourd'hui, notamment dans certains pays européens comme l’Espagne, la Grèce ou la France.

Pour un jeune qui vit dans une région où il y a 30% de chômage, se questionner sur le sens de la vie ou sur ce qu'il va manger pour améliorer sa santé n'est pas la priorité

Cornelia Hummel, sociologue

Les jeunes qui vivent dans la précarité n'ont pas du tout la même vie, les mêmes aspirations, les mêmes rêves qu'un jeune issu de classe moyenne avec des parents en emploi, un bon réseau social et un certain nombre de capitaux. Ils n'ont pas le même champ des possibles.

Pour un jeune qui vit dans une région où il y a 30% de chômage, se questionner sur le sens de la vie ou sur ce qu'il va manger pour améliorer sa santé n'est pas la priorité. Le travail reste encore aujourd'hui le meilleur moyen d'intégration de quelqu'un dans la société. Le travail reste une dimension majeure qui n'a pas changé.

RTSinfo: Existent-ils d'autres changements majeurs, en plus de la précarité ?

Il y a des changements majeurs mais encore une fois on ne peut pas les mesurer. Il y a des changements de valeurs profondes, organisatrices de nos sociétés, par exemple dans les années 1970, le très fort assouplissement des normes en matière de famille, de couple, d'éducation et de sexualité.

Globalement, cela a touché tout le monde, car il y a eu des changements législatifs comme la légalisation de la pilule. On peut donc dire aujourd'hui que ce genre de changement historique a touché toute une génération de manière durable.

Ce qu'il faut comprendre, c'est que ne sommes pas dans des systèmes de révolution, où c'est une génération qui va tout révolutionner. C'est toujours relativement lent.

Participez à notre enquête en ligne

#GénérationWhat

La RTS produit une grande enquête en ligne sur la génération Y. Répondez aux questions, explorez les résultats suisses et comparez vos réponses avec celles d'autres jeunes européens en cliquant ici:

Génération What?

questionnaire generation what

Crédits

Textes et vidéos: Christelle Travelletti

Juin 2017