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Des déclarations aux chiffres, la nouvelle course aux armements

Dans le sillage de la "hausse historique" voulue par Donald Trump, les principales puissances mondiales ont annoncé une augmentation des dépenses militaires. Les chiffres sont plus nuancés. La perception de la menace s'accroît.

Le président Donald Trump l'a assuré: sous son règne, les Etats-Unis accompliront le "plus grand effort militaire" de leur histoire. La première puissance au monde dispose déjà d'un budget dévolu à la défense trois fois supérieur à celui de la Chine, deuxième puissance mondiale, selon les derniers chiffres de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri).

Ces dernières semaines, les principales puissances ont rivalisé de déclarations annonçant une augmentation du budget qu'elles consacrent à la défense: dépassement historique du seuil des 1000 milliards de yuans de dépenses militaires en Chine, potentiel de l’armée russe "multiplié par quatre d’ici 2021", etc.

"Les dépenses militaires constituent un signal d’alerte indiquant qu'il se passe quelque chose, mais l'agrégat est trop gros pour affirmer qu'on se trouve face à une course aux armements", prévient d’emblée Aude Fleurant. La directrice du Programme de recherche sur les armes et les dépenses militaires du Sipri observe toutefois "une militarisation accrue dans plusieurs régions, en partie expliquée par des conflits ou par des tensions diplomatiques majeures".

Le Pentagone à Washington, siège du Département américain de la défense. [AFP - Ron Sachs/DPA]

Le projet de budget 2018, présenté le 16 mars, prévoit une augmentation de 52 milliards de dollars du budget du Département de la défense, qui s'établira à 639 milliards de dollars, selon les chiffres officiels. Cela correspond à une hausse de 9% par rapport au budget 2017 de 587 milliards de dollars. L'administration Trump veut gonfler les effectifs de l’armée de terre, renforcer le nombre de bateaux de la marine et doter les forces aériennes de 100 avions supplémentaires.

Cette hausse, qui doit encore passer la rampe du Congrès, n'est cependant pas "historique". Il suffit de remonter dix ans en arrière pour trouver une augmentation encore plus importante, de l’ordre de 10.8% entre 2007 et 2008 sous la présidence de George W. Bush. Et deux ans plus tard, le budget du Département de la défense avoisine alors les 700 milliards de dollars, en raison principalement du "Surge", la décision de Barack Obama d'envoyer 30’000 soldats supplémentaires en Afghanistan.

Le drapeau chinois. [AFP - Ahn Young-joon]

La Chine a annoncé qu'elle franchirait en 2018 le seuil historique des 1000 milliards de yuans de dépenses militaires, l’équivalent de 151 milliards de dollars. Cette progression de 7% par rapport à l'année précédente constitue toutefois la hausse la plus faible en 25 ans.

"Les dépenses militaires sont souvent liées à l’augmentation de la croissance, relève Aude Fleurant. Or le PIB de la Chine a crû de manière phénoménale depuis 2000, avant de se tasser légèrement ces dernières années." En 15 ans, la Chine a ainsi multiplié par dix son budget de la Défense. Dans certains domaines, en particulier dans les forces aériennes, elle est sur le point d’atteindre la parité avec l'Occident.

Aux yeux d'Aude Fleurant, cette "modernisation tout azimut" a permis à la Chine de mener une politique étrangère "plus affirmée", conduisant parfois à des situations diplomatiques tendues, en mer de Chine par exemple. Certains pays voisins "perçoivent" la Chine comme un agresseur. "Les importations d’armes du Vietnam ont explosé d’environ 400% au cours des cinq dernières années", note la chercheuse, qui estime que la région est en proie à un phénomène de "build up", une accumulation d'armes.

Un centre de gestion au sein du ministère russe de la Défense. [AFP - Sergej Bobylev / Ministry of defence of the Russi / Sputnik]

Malgré les affirmations de Vladimir Poutine, le budget de l’armée russe est en baisse. Le tournant est intervenu en 2015. "La Russie a commencé à diminuer ses dépenses militaires, alors que son économie faisait l'objet d’un net ralentissement", explique Aude Fleurant. Un ralentissement qui s'explique notamment par les sanctions occidentales et la baisse du prix du baril de pétrole.

Le conflit en Ukraine a eu pour conséquence de générer de l’inquiétude chez les pays voisins de la Russie

Aude Fleurant, directrice du Programme de recherche sur les armes et les dépenses militaires du Sipri

Selon les experts, la baisse va se poursuivre en 2017 et en 2018. Le budget militaire russe ne devrait recommencer à croître qu'à partir de 2019. Ce qui est paradoxal, c'est que la perception de la menace russe reste très élevée. "Le conflit en Ukraine a eu pour conséquence de générer de l'inquiétude chez les pays voisins de la Russie", fait valoir Aude Fleurant.

La Finlande, qui partage 1340 kilomètres de frontière avec la Russie, a annoncé en février qu'elle allait porter ses effectifs de 230’000 à 280’000 hommes. Helsinki craint de tomber dans "la sphère d’influence russe" et estime que la stabilité géopolitique de la mer Baltique s’est dégradée. La Suède, quant à elle, a fait savoir qu'elle rétablirait, dès l’été 2017, le service militaire, supprimé en 2010.

Des troupes saoudiennes en exercice dans les environs de Riyad. [AFP - Fayez Nureldine]

L'Arabie saoudite a ceci de particulier qu'elle est le pays qui consacre le plus d'argent aux dépenses militaires par rapport à son Produit intérieur brut (PIB): plus de 10% en 2016, selon les chiffres du Sipri, là où la Israël et la Russie dépensent respectivement 5,8% et 5,3%, et les Etats-Unis "seulement" 3,3%.

L'autre particularité, c'est l’extrême opacité qui entoure les dépenses militaires réelles de l’Arabie saoudite. "On a des données dont on est loin d'être certain", admet Aude Fleurant. Ce qui semble en revanche plus sûr, c'est que le budget de l’armée saoudienne, impliquée dans la guerre au Yémen, va continuer à croître en 2017. "Les opérations militaires coûtent cher, souligne la chercheuse. Dès qu'on a un pays impliqué dans une guerre, cela se répercute tout de suite."

Le drapeau de l'OTAN. [AFP - Michal Fludra / NurPhoto]

Face aux critiques incessantes de Donald Trump et à la perception de la menace russe, l'Organisation du traité de l'Atlantique nord doit se réformer. Comprendre: investir plus d'argent dans ses capacités militaires. Selon les estimations officielles, seuls quatre pays européens ont franchi le seuil des 2% de leur PIB dévolu à la défense en 2016, engagement pourtant renouvelé par tous les membres de l'OTAN en 2014.

Il est "indispensable" que les membres de l'OTAN fassent plus, a estimé mi-mars son secrétaire général, le Norvégien Jens Stoltenberg. "Le partage des charges au sein de notre Alliance n’est pas toujours équitable", a-t-il souligné. Si les 28 Etats membres venaient à consacrer 2% de leur PIB à la défense, quelle serait l'augmentation du budget de l'OTAN? Contacté, l'état-major de l'OTAN ne veut pas donner de chiffres. "Les pays membres ont pris l'engagement d'atteindre les 2% des PIB d'ici 2024", se borne à rappeler un responsable. Et d'ajouter: "il s'agit d'un engagement, pas d'une exigence."

Théo Allegrezza

A écouter aussi: "Au niveau des dépenses mondiales, on est au-dessus du maximum durant la guerre froide"

Renaud Bellais, économiste de la défense

L'Allemagne reste le plus gros client de l'industrie d'armement helvétique. [Keystone - Christian Beutler]Keystone - Christian Beutler
Comment expliquer l’actuelle course mondiale à l’armement? / Tout un monde / 10 min. / le 27 mars 2017
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Et en Suisse?

Depuis le début des années 90, le budget de l'armée a été réduit de près de 30% en Suisse. Relativement stable ces dernières années, il s'établit actuellement à 4,4 milliards de francs.

Il vient toutefois d'être revu à la hausse. En septembre 2016, les Chambres fédérales ont confirmé, dans le cadre du message sur l'armée, leur décision d'adopter un plafond de dépenses de 20 milliards de francs pour les années 2017 à 2020, soit un budget de 5 milliards par an.

Et l'année prochaine entre en vigueur le projet de Développement de l’armée (DEVA), la nouvelle réforme de l'armée. Elle prévoit, entre autres, une réduction des effectifs de 200'000 à 100'000 soldats avec une capacité de mobiliser 35'000 soldats en dix jours.