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"La COP21 est l'objet d'une danse macabre de lobbies très puissants"

Jean-Joseph Boillot, conseiller au club du Centre français de recherche sur l’économie internationale (CEPII). [AFP - Palluau - Leemage]
Jean-Joseph Boillot, conseiller au club du CEPII / Le Journal du matin / 23 min. / le 23 novembre 2015
A la veille de la conférence sur le climat à Paris, l'expert en économie internationale Jean-Joseph Boillot s'est montré très critique lundi face aux objectifs environnementaux mondiaux, contrecarrés par des "intérêts puissants".

Limiter le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés, tel est l'objectif mondial du grand rassemblement sur le climat qui se tiendra du 30 novembre au 11 décembre prochains à Paris (COP21). Si quelque 160 pays ont officialisé leur contribution, un rapport de l'ONU relève déjà que ces engagements ne sont pas suffisants pour atteindre ce but. Alors la COP21 n'est-elle qu'une mascarade? Invité lundi de RTS La Première, Jean-Joseph Boillot, conseiller au Centre français de recherche sur l'économie internationale et spécialiste des pays émergents, n'est pas si sévère, mais dresse un sombre tableau de ces engagements politiques.

Les pays développés ne font pas les efforts nécessaires et les pays émergents jouent sur cette hypocrisie.

Jean-Joseph Boillot, conseiller au club du CEPII

"On s'engage clairement vers une sorte de succès diplomatique, que les attentats de Paris vont évidemment renforcer, puisque qu'on parlera plus de terrorisme que de climat. Et dans les engagements réels, je crains qu'il y ait une sorte de donnant-donnant: les pays développés ne font pas les efforts nécessaires et les pays émergents jouent sur cette hypocrisie pour faire des engagements qui ne conduisent certainement pas aux objectifs de réduction des émissions à l'horizon 2050, mais à une dérive vers le fossile", résume d'emblée l'expert.

L'Inde, "laboratoire écologique de la planète"

Troisième consommateur mondial de charbon, l'Inde prévoit une réduction de ses gaz à effet de serre d'ici 2030. Sur ce point, Jean-Joseph Boillot précise que même si le pays prévoit de réduire d'un tiers l'intensité des émissions de CO2, la hausse des émissions se poursuit: "A l'horizon 2030, l'Inde va émettre près de 6 milliards de tonnes de CO2, c'est-à dire à peu près le niveau actuel des Etats-Unis".

Le président Hollande et les négociateurs veulent absolument faire de la COP21 un succès diplomatique quelle que soit la réalité des enjeux.

Jean-Joseph Boillot

Alors pourquoi l'objectif de New Delhi a été largement salué? "Le président Hollande et les négociateurs veulent absolument faire de la COP21 un succès diplomatique quelle que soit la réalité des enjeux", déplore-t-il. Même critique envers la Chine: "Regardez les engagements de la Chine, ils ont été applaudis. Mais la Chine s'engage à quoi? A laisser ces émissions continuer d'augmenter jusqu'en 2030, c'est ça la réalité!", dit-il.

"Modifier les modes de consommation"

"Vous ne ralentissez pas quelque chose qui est accumulé depuis 20 ans. (...) Nous avons déjà dépassé les 2 degrés, la dérive est là. Nous devons maintenant éviter les 5 degrés de réchauffement", souligne Jean-Joseph Boillot.

Les pays développés doivent donner l'exemple selon lui, "en modifiant profondément nos modes de consommation" sur le front de la mobilité, mais aussi des habitudes alimentaires, en particulier de la consommation de viande, précise-t-il.

Frapper au porte-monnaie, c'est la meilleure incitation.

Jean-Joseph Boillot

La transition écologique a un énorme coût rappelle-t-il. Les taxes sont une excellente incitation selon lui: "Il faut taxer toute machine qui produit du CO2, à des niveaux qui intègrent le coût pour la planète du réchauffement climatique".

Des "intérêts puissants"

Le problème majeur c'est que les Etats n'osent pas se servir du levier des sanctions, des taxes, explique Jean-Joseph Boillot. Il évoque le cas de la Chine: "Nous importons massivement du Made in China. Qu'est-ce qui empêche la communauté internationale de cesser d'importer des produits chinois si des engagements climatiques n'ont pas été tenus? Ou alors ces produits seront taxés autant que nous coûte le réchauffement climatique?"

"Frapper au porte-monnaie, c'est la meilleure incitation", estime-t-il, mais "la COP21 est l'objet d'une danse macabre de lobbies extrêmement puissants", qui imposent leurs intérêts, conclut-il.

mo

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