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Les droits humains ne sont pas la priorité des entreprises suisses

Notre invitée: Chantal Peyer, Cheffe d'équipe "Pain pour le Prochain"
Notre invitée: Chantal Peyer, Cheffe d'équipe "Pain pour le Prochain" / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 5 min. / le 4 avril 2016
Peu d'entreprises suisses ont des politiques de droits humains qui s'appliquent à leurs filiales et à leurs fournisseurs, affirme une étude de Pain pour le prochain. L'ONG plaide pour un cadre légal plus strict.

Travail des enfants, utilisation de produits toxiques pour la santé, déplacement forcé de populations: autant de fléaux que cherchent à combattre les "Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme" adoptés en juin 2011 dans le cadre de l'ONU (lire encadré).

Cinq ans plus tard, les entreprises suisses peinent à les appliquer, selon les conclusions du rapport "Politique de droits humains et entreprises suisses: un état des lieux", révélée lundi dans TTC.

Trois entreprises sur cinq (61,5%) des 200 plus grandes sociétés installées en Suisses n'ont développé aucune politique des droits humains ou ne communiquent absolument rien à ce sujet, indique l'étude. Ce chiffre augmente à 73% pour les entreprises non cotées en Bourse et descend à 50% pour celles qui le sont, révélant le poids des marchés.

Un quart des entreprises auscultées (27,5%) possèdent un code de conduite pour leurs fournisseurs. Mais celui-ci s'applique uniquement aux droits du travail et n'intégre pas l'ensemble des droits humains qui concernent l'ensemble de la société.

Seules 22 entreprises (11%) font explicitement référence aux principes onusiens: huit sont des filiales de groupes étrangers et 14 des sociétés dont le siège principal se trouve en Suisse. Parmi elles se trouvent des géants comme ABB, Nestlé, UBS, Holcim ou encore Syngenta, soit des sociétés qui ont pour la plupart dû affronter ces dernières années la pression de l'opinion publique, note l'auteure, Chantal Peyer.

Droits humains et culture d'entreprise

En matière d'intégration des droits humains dans le processus décisionnel et la culture d'entreprise, Pain pour le prochain dénonce l'insuffisance de compétences spécifiquement liées à cette problématique au sein des conseils d'administration. Parmi les quatorze sociétés établies en Suisse et suivant les principes de l'ONU, de nouvelles pratiques émergent toutefois.

>> L'interview de Chantal Peyer, chef d'équipe à Pain pour le prochain :

Notre invitée: Chantal Peyer, Cheffe d'équipe "Pain pour le Prochain"
Notre invitée: Chantal Peyer, Cheffe d'équipe "Pain pour le Prochain" / T.T.C. (Toutes taxes comprises) / 5 min. / le 4 avril 2016

Nestlé a, par exemple, mis sur pied un groupe de travail "droits humains", réunissant les directeurs de différents départements (RH, relations publiques, achats et fournisseurs, santé et environnement ou encore gestion des risques). L'objectif du numéro un mondial de l'agroalimentaire, basé à Vevey, est d'accroître ainsi la cohérence entre ses politiques et d'analyser les tensions entre les objectifs financiers et non financiers.

Des études d'impact encore insuffisantes

De même, les principes de l'ONU ont conduit certaines entreprises à revoir leur approche de la gestion des risques en y intégrant des études d'impact sur le risque encouru par les individus et la société. Il s'agit par exemple d'évaluer si les émanations toxiques d'une usine vont affecter la santé des populations alentours et, le cas échéant, prévoir des actions correctives et communiquer à ce sujet.

Or, regrette Pain pour le prochain, "les informations publiées par la majorité des firmes ne permettent pas d'évaluer l'efficacité de leurs politiques de droits humains".

L'exemple de Kuoni au Kerala

Seul Kuoni, le groupe spécialisé dans l'organisation de voyages, a fait le choix d'une communication complètement transparente en publiant des exemples précis d'impacts négatifs de son activité en matière de droits humains, selon l'étude de Chantal Peyer.

Le tourisme dans les maisons flottantes au Kerala, en Inde, a engendré une pollution des eaux qui a entraîné une diminution du nombre de poissons et donc des revenus de la pêche, une augmentation du prix du riz et l'éviction de certains habitants pour permettre la construction de certains hôtels. Face à ce constat, la firme suisse a établi une liste précise de mesures mises en oeuvre pour répondre à ces violations des droits humains et, une fois par an, elle rend compte des progrès effectués.

C'est sur cet exemple prometteur, qui met en évidence des pratiques novatrices, que Pain pour le prochain conclut son étude, profitant de l'occasion pour rappeler son engagement politique.

Par le biais d'une initiative, l'ONG demande au Conseil fédéral de rendre obligatoire le devoir de diligence en matière de droits humains.

>> Lire : Initiative populaire lancée pour responsabiliser les multinationales

Juliette Galeazzi

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Le devoir de diligence, une procédure de base établie à l'ONU

Adoptés à l'unanimité en juin 2011 par le Conseil des droits de l'Homme de l'ONU, les "Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'Homme" représentent le consensus international quant au rôle et aux responsabilités des entreprises en matière de droits humains.

Leur objectif est de lutter contre des violations telles que le travail des enfants, l'utilisation de produits toxiques nocifs pour la santé ou encore le déplacement forcé de populations commises par des entreprises, leurs filiales à l'étranger et - aussi - leurs partenaires commerciaux.

Pour cela, une procédure de base a été établie. Il s'agit du devoir de diligence. En résumé, l'entreprise doit évaluer les risques de violation des droits humains, prendre des mesures pour minimiser l'impact négatif, vérifier l'efficacité de ces actions correctives et communiquer à ce sujet.