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"Investir aujourd'hui, c'est réduire les coûts pour tous à long terme"

Jean-François Steiert, conseiller national depuis 2007, défend l'initiative "pour une caisse maladie publique" soumise au peuple le 28 septembre. [Peter Klaunzer]
Jean-François Steiert, conseiller national depuis 2007, défend l'initiative "pour une caisse maladie publique" soumise au peuple le 28 septembre. - [Peter Klaunzer]
Conseiller national depuis 2007, Jean-François Steiert (PS/FR) milite pour l'adoption de l'initiative sur la caisse publique d'assurance maladie en votation le 28 septembre. Interview.

RTSinfo: C'est la quatrième fois que vous revenez à la charge auprès du peuple avec un projet de caisse publique. Pourquoi celui-ci aurait-il plus de chances d'aboutir?

Jean-François Steiert: D'une part, nous avons évité d'y glisser d'autres revendications politiques. Et de l'autre, en Suisse, il faut savoir demander à plusieurs reprises, sans quoi nous n'aurions pas l'AVS ni le vote des femmes, des progrès que personne ne conteste pourtant aujourd'hui.

Vous seriez donc prêt à proposer de nouvelles initiatives sur ce thème si le non l'emporte le 28 septembre?

Oui, dans la mesure où les problèmes auxquels on s'attaque continueraient de se poser. Notamment ceux de la transparence du système d'assurance, de la gestion des primes et de cet attrait de la chasse aux bons risques.

Mais les premiers effets de l'initiative se font déjà sentir puisqu'elle exerce une pression sur le Parlement qui a accepté une loi sur la compensation des risques (permettant d'enrayer cette chasse aux assurés qui coûtent les moins chers, ndlr) et qui doit discuter en septembre de l'adoption de la loi sur la surveillance de l'assurance obligatoire.

Les mesures du Parlement pour renforcer la surveillance ne sont-elles dès lors pas suffisantes?

Elles vont dans la bonne direction mais elles ne suffisent pas, car elles restent partielles. La chasse aux assurés les moins chers continuera ainsi que le lobbying politique au Parlement, payé avec nos primes. Au niveau démocratique, je trouve cela très problématique. C'est comme si on laissait des voleurs définir les lois sur l'emprisonnement des voleurs. Il y a des conflits d'intérêts plus qu'évidents.

Ce qui ne sera pas le cas avec la caisse unique malgré la représentation des pouvoirs publics, des prestataires de soins et des assurés en son sein?

Beaucoup moins. Une certaine neutralité pourra être assurée par la représentativité des différents intérêts autour d'une même table. C'est un système qui a fait ses preuves à la SUVA, l'assurance accident, qui propose une politique intéressante, car elle investit sur le long terme.

C'est-à-dire?

C'est une caisse publique qui n'est pas en concurrence et qui ne doit donc pas assurer le rendement de chaque franc investi au 31 décembre chaque année. Elle peut, au contraire, investir à long terme sur la santé d'un patient, ce que ne fera jamais une caisse maladie privée car elle ne calcule qu'à court terme.

Les assureurs ne paient qu'une fois que les gens sont déjà gravement malades, alors qu'on sait qu'il vaut mieux investir tôt autant pour la qualité de vie du patient que pour réduire les coûts sur le long terme.

Avez-vous un exemple concret?

Dans les années 1995, 85% des femmes atteintes d'un cancer du sein en mourraient, aujourd'hui on est à 15%. Mais les cantons ont dû se battre pour que les assureurs remboursent enfin les frais de dépistage, alors qu'on évite de nombreux cas de cancers graves et des coûts de traitement à long terme. Le diagnostic précoce, que ce soit pour l'oncologie ou la détection de démence comme Alzheimer, est essentiel.

Mais ce diagnostic présuppose le financement de mesures de dépistage, ce que les assureurs ne sont pas prêts à payer. N'oublions pas que les maladies chroniques forment le 80 à 90% des coûts du système de santé.

Mais la caisse unique sera-t-elle réellement capable de freiner l'augmentation des primes à long terme?

Même si c'est difficile à chiffrer, certains ont parlé d'un potentiel de deux milliards de francs d'économies à long terme avec des investissements dans la prévention et la promotion de la santé. Investir aujourd'hui, c'est gagner de l'argent sur d'autres prestations futures et améliorer la qualité de vie du malade.

Et à court terme?

Avec la caisse unique, ce sont 300 à 400 millions économisés directement pour la publicité, les démarcheurs et les frais de changements de caisses. La gestion des prestations en serait aussi simplifiée puisque les médecins et les hôpitaux n'auraient plus à négocier avec 61 caisses différentes. Car malgré la loi, on constate de plus en plus de différences dans les remboursements d'une caisse à une autre, ce qui est profondément injuste.

Par contre, passer de 61 caisses à une seule supprimerait 2800 emplois selon les assureurs. En tant que socialiste, cela ne vous pose-t-il pas de problème de toucher à l'emploi?

Le personnel de base des caisses, qui répond à la clientèle, ne serait pas touché. Des emplois de cadres, dans les ressources humaines, la direction, l'informatique ou le secteur financier, tomberaient en effet. Mais ce sont des gens bien formés qui retrouveraient facilement un travail. Concernant les démarcheurs, qui reçoivent souvent des cadeaux payés avec nos primes, ce sont des postes qui ne doivent pas exister si c'est au détriment de la collectivité.

La transition d'un système à l'autre pourrait prendre au moins dix ans et coûter jusqu'à 2 milliards...

Une fusion, dans le domaine bancaire, réjouit beaucoup en général. On sait en effet que cela va coûter un peu au début mais qu'ensuite ce sera rentabilisé... Il n'y a que dans le domaine de l'assurance où les économistes semblent dire qu'une fusion va coûter de l'argent, c'est un peu bizarre.

L'initiative a surtout été portée par des personnalités romandes, avec peu de chances de convaincre au niveau suisse, comme le montre le dernier sondage SSR (59% de "non" en Suisse alémanique mais 55% de "oui" en Suisse romande), comment expliquez-vous ce nouveau Röstigraben?

Il y a une solution en cas de "oui" de la population romande à une caisse publique le 28 septembre. Il faudra voir au Parlement si c'est possible de laisser une partie du pays choisir le modèle qui lui convient: celui de la caisse publique en Suisse romande et celui des assureurs privés en Suisse alémanique. On pourrait changer la loi fédérale si on obtient une majorité au Parlement.

Vous restez donc confiant?

Les sondages ne sont pas réjouissants. Mais il faut encore attendre de voir quel sera l'effet de l'augmentation définitive des primes pour 2015. Quand une famille moyenne verra sa facture augmenter de mille francs, elle réfléchira peut-être sur la bonne marche du système actuel.

Propos recueillis par Sophie Badoux

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La votation sur la caisse publique en bref

Sept ans après un net refus, les citoyens suisses votent à nouveau le 28 septembre prochain sur l'idée d'une caisse maladie publique. L'initiative populaire "Pour une caisse publique d'assurance maladie", lancée par une vingtaine d'organisations et de partis dont le PS, les Verts, des associations de patients et un comité de médecins, propose de remplacer les 61 caisses actuelles par une institution nationale d'assurance maladie unique.

Le Conseil fédéral, dont le contre-projet a été enterré au Parlement, estime que le système actuel a fait ses preuves et recommande le non.

Les initiants évoquent trois raisons de dire oui à une caisse publique. Premièrement, celle-ci mettrait fin à la "pseudo-concurrence" que pratiquent les caisses, éliminant la chasse aux bons risques à laquelle elles s'adonnent et offrant une plus grande transparence sur l'utilisation des primes.

Deuxièmement, la caisse publique permettrait d'économiser 300 millions par an en frais de publicité, démarchage ou lobbying politique. Les coûts liés aux changements de caisses (estimés à 100 millions) seraient aussi réduits.

Enfin, l'argent épargné irait à l'amélioration du système de santé, notamment dans la prévention, permettant des économies à long terme de 2 milliards.

Selon les opposants à la caisse publique, partis de droite en tête, un oui à l'initiative ne diminuerait ni les coûts de la santé ni les primes, mais "sonnerait le glas de la diversité, de l'innovation et de la qualité".

L'UDC, le PLR, le PDC, le PBD et les Vert'libéraux défendent le statu quo vis-à-vis d'un système qui a fait ses preuves.

Outre la fin de la liberté de choix et une institution trop lente et colossale car dirigée par Berne, ils évoquent les coûts de la transition entre les deux systèmes (estimés à 2 mrds selon eux).