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"Une caisse publique engendrerait une dette et des délais d'attente"

Isabelle Moret. [Lukas Lehmann]
Isabelle Moret. - [Lukas Lehmann]
La conseillère nationale Isabelle Moret (PLR/VD) s'oppose à la caisse publique, craignant une étatisation de l'assurance de base, qui engendrerait selon elle une forte dette pour la Suisse et des délais d'attente pour les patients.

RTSinfo: La solution d’une caisse publique unique n’est-elle pas plus simple?

Isabelle Moret: Non, car il faudra créer entièrement un nouveau système. On le voit dans d'autres pays, aucun système étatique ne fonctionne aussi bien que le nôtre. En France par exemple, la Sécurité sociale compte une dette de 115 milliards d’euros. Au Canada, les gens meurent sur les listes d’attente. En Grande-Bretagne on observe à la fois une dette et des délais d’attente.

Une seule caisse ne serait-elle tout de même pas plus pratique pour les assurés par rapport aux 61 actuelles?

Au contraire! Pour rappel, 80% des gens ont des assurances complémentaires et 80% de ces mêmes personnes n'ont qu'une seule caisse maladie pour la base et les complémentaires. Or, le nouveau système les obligerait à contracter une 2e caisse pour la base.

Un argument central des initiants est le frein à la hausse des primes...

Ce n'est plus un argument depuis que certains initiants tels que Liliane Maury-Pasquier (conseillère aux Etats PS/GE) admettent ouvertement que ce système ne stoppera pas une hausse.

Il n'y aura donc aucun effet sur les primes selon vous?

Je crains surtout que les primes n'augmentent, car il est prévu que soient représentés, au sein de la caisse publique, des représentants de tous les prestataires de soins et donc une addition d’intérêts particuliers.

Il n'y aura plus, comme c'est le cas actuellement, de caisses privées qui négocient avec ces prestataires pour obtenir les meilleurs prix et, ainsi,empêcher les primes d'augmenter trop vite. Cette absence de pression va inévitablement mener à une explosion des coûts de la santé.

Le Conseil fédéral estime pourtant les économies annuelles à 180 millions de francs et les initiants à 350 millions...

Les initiants parlent d'une baisse de dépenses, notamment dans la publicité. Ils oublient tout le coût de changement du système, estimé deux milliards avec, par exemple, la création d'un nouveau informatique.

Le fait de réunir tout sur un même support, avec une direction, un département RH etc., ne réduirait-il pas forcément les coûts?

Avec 26 agences, soit une par canton comme le prévoit le texte, il y aura de toute façon 26 directeurs. On n'économise donc pas grand-chose.

Peut-on parler de gaspillage lorsque les primes sont utilisées par les caisses pour financer la publicité?

Ces coûts font partie des 5% de frais administratifs généraux des caisses, tout comme les salaires. Les économies avec les frais de publicité sont donc une goutte d’eau sur les 26 milliards de coûts annuels de la santé qui sont à la charge de l’assurance de base. A titre de comparaison, la SUVA a des frais administratifs de 11%.

A propos de coûts, combien les opposants ont-ils investi dans leur campagne contre la caisse publique?

Environ 5 millions, investis notamment par EconomieSuisse.

La caisse publique veut mettre tous les acteurs de la santé autour de la même table. N'est-ce pas une solution pour une meilleure coordination des soins?

Cette coordination peut très bien se faire dans le système actuel, par le biais de cabinets groupés par exemple. C'est à notre médecin en qui l’on a confiance de nous soigner, pas à une assurance étatique. Lorsque les initiants parlent de coordination des soins, ils veulent le modèle de la SUVA qui ne permet de choisir ni son médecin ni l'hôpital de rééducation.

Or, les Suisses ont montré, lors des votations de 2012, qu’ils étaient attachés au libre choix de leur médecin.

Le système actuel n’encourage-t-il pas les caisses à viser une clientèle peu coûteuse au détriment des personnes âgées et des malades chroniques?

C'est vrai que certaines caisses maladie ont basé leur modèle sur une chasse aux bons risques. C'est pourquoi le Parlement a récemment introduit un nouveau système de compensation des risques. Celui-ci prévoit que les caisses ayant beaucoup d’assurés en bonne santé soient obligées de payer une compensation aux caisses qui ont des assurés en moins bonne santé.

Ce nouveau système, qui débutera en janvier2015 et qui entrera en vigueur en 2017, mettra fin à la sélection des risques.

Y a-t-il d’autres améliorations possibles du système actuel selon vous?

Oui. La loi sur la surveillance de l’assurance maladie, qui sera débattue en septembre prochain. Celle-ci permettra à l’OFSP d’obliger les caisses à baisser les primes lorsque les réserves sont trop élevées.

Beaucoup de médecins se disent en faveur de la caisse publique, estimant qu'elle réduira la bureaucratie engendrée par le système actuel...

L'aspect administratif ne changera pas. Avec la caisse publique, il y aura toujours des vérifications des factures. Je relève d'ailleurs que ces vérifications permettent d'économiser 10% sur les primes chaque année.

Je signale qu’en Suisse allemande, les médecins sont au contraire plutôt opposés à la caisse publique parce qu’ils ont peur de devenir des fonctionnaires de l’Etat.

En parlant de différence entre les Romands et les Alémaniques, comment expliquez-vous le nouveau Röstigraben qui ressort du dernier sondage?

Le fait d’étatiser 26 milliards, qui est un système à la française, fait d’emblée peur en Suisse allemande. Côté romand, nous avons eu beaucoup de problèmes, notamment avec la caisse EGK qui avait doublé ses primes en cours d’année, ou Assura/Supra dont les assurés avaient dû changer de caisses pour les complémentaires.

La confiance des Romands dans notre système est ébranlée. D’où l’importance de la nouvelle loi sur la surveillance qui donnera plus de compétence de surveillance à l’Etat et apportera plus de transparence y compris sur la question des salaires des dirigeants des caisses.

Au vu de ce sondage qui donne 51% des Suisses opposés à la caisse publique, vous êtes sans doute confiante?

Je tiens surtout à pouvoir à expliquer en Suisse romande (55% des Romands seraient pour la caisse publique, selon le sondage SSR publié le 22 août, ndlr.) les dangers de la caisse unique.

Propos recueillis par Mathieu Henderson

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