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Du football au théâtre, trois minutes additionnelles pour tout changer

Eric Devanthery. [DR - Patou Uhlmann]
L'invité: Eric Devanthéry, le foot mondialisé : les nouveaux négriers? / Vertigo / 40 min. / le 26 février 2018
Entre voyage en terre de football, fantasmes de gloire et désillusions, le spectacle "Trois minutes de temps additionnel" proposé à Genève raconte l’aventure de deux jeunes Guinéens qui vont découvrir la grisaille anglaise.

Une pièce de théâtre sur le foot? Entrer sur le terrain du ballon rond, c’est un pari sportif et le moyen d’aborder l’essentiel: le jeu, l’amitié, le rêve et… l’argent. A l’affiche du Théâtre Am Stram Gram de Genève jusqu’au 4 mars, ce spectacle signé Sylvain Levey et Eric Devanthéry raconte l’histoire de deux jeunes Guinéens recrutés par un club de foot anglais. Tellement bon qu’on réclame des prolongations.

De la Guinée jusqu’à Bradford

Ce sont encore des gamins. Inséparables, rieurs, rêveurs. Mafany centre et passe. Kouam trouve toujours le chemin de la lucarne. Comme si leurs pieds étaient accordés. Ils jouent pour l’équipe de Boké en Guinée. C’est loin de tout, mais pas du regard des scouts et autres chasseurs de têtes européens. Ils sont deux ce jour-là sur les bords du terrain poussiéreux. Un Allemand qui prend des notes et une Anglaise, juriste en mission. C’est elle qui emporte le morceau.

Pas cher: un petit salaire, des primes en cas de victoire et quelques billets d’avion pour la famille. L’Anglaise ne voulait que le buteur, Kouam. Les deux refusent de se séparer. Pas grave, ils sont tellement bon marché. Les voici envolés pour la troisième division anglaise. Bradford City n’est pas Manchester. Qu’importe, leur rêve est à quelques buts de-là, ils en sont persuadés.

Le rêve devient cauchemar

A Bradford, il fait froid, il pleut souvent. Les collègues de l’équipe ne sont pas des collègues. La nourriture est atroce et les gradins peuplés d'hooligans qui imitent les singes dès que Kouam et Mafany foulent la pelouse glissante. La déprime pointe, les échecs suivent et le rêve devient cauchemar.

"Trois minutes de temps additionnel", c’est le foot vu des vestiaires, du banc, du terrain d’entraînement et de l’appartement en HLM fourni par le club. C’est la réalité des footballeurs africains recrutés avec des méthodes qui rappellent la traite. Il y a un salaire, certes. Mais également cette logique implacable: pour un joueur qui perce, des dizaines s’écrasent dans les filets, bons pour la case retour.

Deux comédiens romands foncent au but

Signé Sylvain Levey et mis en scène par Eric Devanthéry, ce texte est véloce comme un une-deux en finale de championnat. Avec un short de rigueur, deux comédiens romands, Miami Thémo et Cédric Djedje lancés à fond dans le double-jeu. C’est que dans ce spectacle, il faut à la fois parler et savoir jongler avec le ballon.

Dans le rôle de la juriste anglaise qui "n’aime pas les enfants quand c’est pas les siens", Valérie Liengme est impressionnante de froideur et de cynisme. "Trois minutes de temps additionnel" est une fiction qui a la saveur du documentaire et le parfum d’un fait divers.

Le plateau aussi respire football

Comment mettre en scène le foot, alors qu’il est déjà une sorte de mise en scène, particulièrement à la télévision? En lui faisant de la place. Imaginé par la scénographe Elissa Bier, le plateau du théâtre Am Stram Gram est d’abord nu comme un terrain vague, simplement bordé d’un mur en fond de scène qui va se couvrir de graffitis pour illustrer les propos de Kouam et Mafany. Finalement, on bascule: un immense drapeau anglais, des sièges en plastique bleu, nous voici dans un stade du Yorkshire. Et on y croit.

"Trois minutes de temps additionnel" s’adresse à tous les publics dès 8 ans. Il devrait figurer au programme obligatoire des écoles.

Thierry Sartoretti/jd

"Trois minutes de temps additionnel" au Théâtre Am Stram Gram de Genève, vendredi 2, samedi 3 et dimanche 4 mars 2018.

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