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La chanteuse de jazz Nina Simone sublime le théâtre en Suisse romande

La chanteuse de jazz américaine Nina Simone en juillet 1969 lors d'un concert au festival panafricain d'Alger. [AFP - Eleonore Bakhtadze]
Spectacles: Nina Simone, voix de…théâtre / Vertigo / 4 min. / le 20 février 2018
Elle est partout, la voix de la chanteuse américaine Nina Simone. Au théâtre, elle sublime trois spectacles joués ces jours-ci en Suisse romande. Une pièce lui est même entièrement consacrée: "Je ne suis pas la fille de Nina Simone".

Quand tout va mal et que vous jouez à fond les ballons la chanson "Feeling good", il y a deux interprétations possibles: vous êtes tombé dans le puits le plus noir du cynisme ou alors vous êtes un indécrottable optimiste. Penchons pour la première dans le cas du metteur en scène hongrois Kornel Mundruczo. Jouée à Vidy-Lausanne devant un parterre subjugué, sa pièce "Imitation of life" raconte l'expulsion d'une vieille femme de son appartement budapestois.

Qui connaît la fin de vie de Nina Simone, seule, dépressive dans sa maison dévastée du sud de la France, saisira immédiatement le lien. "Feeling Good" est un chant du cygne sur un tas d'immondices. Quinze ans après sa mort, le spectre de Nina Simone souffle une brise glacée sur Vidy.

Nina Simone en bande-sonore

Nous voici toujours à Lausanne, dans un autre théâtre. La metteuse en scène Emilie Charriot présente sa pièce "King Kong Théorie" à l'Arsenic. Inspirée de l'essai de Virginie Despentes, voici un spectacle en forme de réquisitoire contre l'inégalité des sexes et la violence masculine qu'elle soit physique ou sociale.

Lorsque tout semble avoir été dit sur le plateau apparaît la voix de Nina Simone. Elle chante "Ain't got no – I got Life". Pas la version sautillante du single des années 1960. Là, elle choisit un tempo toute en gravité, en dignité. Là aussi, qui connaît la vie de Nina Simone, son combat pour les droits civiques des Afro-Américains saisira immédiatement le lien. "Ain't got no – I got Life" possède la force d'une harangue poing levé. Un vent de colère traversera l'Arsenic.

Une pièce à son nom

Nina Simone ne se contente pas d'être la bande-son du théâtre ces jours-ci. Elle a également une pièce à son nom: "Je ne suis pas la fille de Nina Simone". Texte de l'auteure-scénariste Julie Gilbert, mise en scène de Jérôme Richer, à découvrir au Théâtre Pitoëff de Genève. Une pièce en forme d'hommage, de manifeste même, pour cette artiste qui a marqué la vie de Julie Gilbert et Jérôme Richer.

Une scène du spectacle "Je ne suis pas la fille de Nina Simone". [facebook.com/theatrepitoeff]
Une scène du spectacle "Je ne suis pas la fille de Nina Simone". [facebook.com/theatrepitoeff]

Nina Simone, sans cesse évoquée, invoquée, est quasi le troisième personnage de cette histoire de couple. Un couple en voyage à Atlantic City. Là où tout a commencé pour Nina Simone, plutôt mal que bien, d'ailleurs: elle a dû renoncer à une carrière de pianiste classique parce qu'elle est noire et jouer désormais dans les cabarets comme chanteuse. Coincé dans une sinistre chambre de motel, ce couple en pèlerinage va exploser. Lui c'est Nico. Elle, c'est… Nina, car sa mère aimait, bien sûr, follement Nina Simone.

Un symbole fier et tragique

Comment expliquer cette "Ninamania" au théâtre? Elle représente une figure féminine tragique, l'expression d'une révolte pour l'égalité des droits et le symbole d'une ambition réprimée. Et bien sûr, il y a sa voix, immense. Dans "Je ne suis pas la fille de Nina Simone", la chanteuse incarne le destin souvent contrarié des femmes: elles rêvent d'une carrière, et se voient assigner une place inférieure. Nina Simone se révolte, milite et finalement se fracasse dans l'alcool et la dépression.

Sur le plateau de "Je ne suis pas la fille de Nina Simone", l'autre Nina, incarnée par la comédienne Olivia Csiky Trnka se révolte aussi et choisit de quitter son mec pour mener sa barque à sa guise. Au final, on sort de cette pièce punchy comme une chanson soul, avec une seule envie: réentendre cette voix. Encore et encore.

Thierry Sartoretti/ld

>> "Je ne suis pas la fille de Nina Simone", jusqu'au 23 février au Théâtre Pitoeff à Genève, puis le 8 mars au Théâtre de l'Echandole à Yverdon-les-Bains (VD).
>> "King Kong Théorie", du 6 au 10 mars à l'Arsenic à Lausanne.
>> "Imitation of life", était à voir du 14 au 15 février 2018 au Théâtre Vidy-Lausanne.

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