Publié

"L'Avare" au Théâtre de Vidy, un Molière qui flingue à tout va

"L'Avare" de Molière, dans la mise en scène de Ludovic Lagarde. [vidy.ch - Pascal Gély]
Théâtre: "L'Avare", façon Tarantino / Vertigo / 4 min. / le 23 novembre 2017
C’est la pièce la plus jouée de Molière et probablement l’oeuvre la plus jouée de tout le théâtre francophone: "L’Avare", alias Harpagon. Le spectacle qui est à l’affiche de Vidy-Lausanne jusqu’au 3 décembre dépote.

Oubliez les perruques et les costumes du 17e siècle, cet "Avare" est téléporté dans une sorte de port-franc ou de dépôt d’import-export. Il y a des caisses, des emballages entassés. Du personnel passe en silence en poussant des transpalettes et chacune, chacun porte une blouse beige frappée du sigle de l’entreprise: H, comme Harpagon, lequel accumule les richesses, mais ne lâche pas un sou sauf s'il peut lui rapporter au minimum le double.

Une comédie sur les avaricieux, mais aussi un drame

Dans le rôle-titre, le comédien Laurent Poitrenaux est aussi généreux que son personnage est pingre. Mieux, il joue à merveille entre le chaud et le glacé, le drôle et le menaçant. "L’Avare", c’est une comédie sur les avaricieux. Poitrenaux est alors un croisement entre Jerry Lewis et Peter Sellers: gauche, tordu, maladroit, pourvu d'une moustache idiote et frappé de tics nerveux en cascade dès qu'il est question de lâcher un fifrelin. "L’Avare", c’est aussi un drame: ce père veuf tyrannique veut marier ses enfants contre leur gré et souhaite épouser une jeune fille, précisément cette Marianne que le fils d'Harpagon, Cléante, aime déjà en secret.

Tout faire sauter

Et là, Harpagon devient Harpagnon. Laurent Poitrenaux arpente la scène-entrepôt comme un ring de combat clandestin. Il boxe, devient sadique, imprévisible, torturant ses enfants et son personnel, maniant le fusil comme un forcené qui veut faire tout sauter. C’est Jack Nicholson dans "Shining", James Cagney dans "White Heat", Harvey Keitel dans "Reservoir Dogs". Le sang coule, les comédiens hurlent de douleur, vomissent leurs tripes et s’engueulent comme des gangsters une nuit de règlement de comptes.

Proche du cinéma de genre

Pour cet "Avare" à toute berzingue, le metteur en scène français Ludovic Lagarde a suivi une ligne proche du cinéma de genre à l’américaine. Il y a même une scène qui est du pur Quentin Tarantino: quand le père, enragé, bouffe l’oreille de son fils et la recrache par terre. Les collégiens du parterre ont apprécié. Tout comme une scène olé olé entre les soupirants Valère et Elise, cette dernière se taguant sur le ventre un "Free Fuck" au rouge à lèvre pour protester contre son père Harpagon qui veut la marier, ou plutôt la vendre, au plus offrant.

Le texte, tabou ultime

Revisité façon polar, cet "Avare" est magnifiquement joué, quand bien même les comédiens en font parfois des tonnes. Un seul regret peut-être: ce spectacle qui a fêté sa centième représentation mercredi soir à Vidy-Lausanne, ose toutes les audaces et pourtant s’arrête avant le tabou ultime: le texte! Molière est ici comme un maillot de foot. Le metteur en scène attrape le tricot et le tire dans tous les sens. La maille a beau s’étirer à l’extrême, elle résiste.

(Presque) l’intégralité du texte est bien là, tricotée comme à la lecture de la pièce en classe, par les nombreux collégiens présents. Cet "Avare" aurait pu être réinterprété, réinventé. Molière est une matière vivante, un terrain de jeu, pas un musée. Si on veut le rendre contemporain, autant y aller à fond. Il n'y a que les Allemands, Vincent Macaigne et quelques Suisses dont Marthaler, pour oser toucher les classiques. Et bien sûr Hollywood il faut bien l’avouer, pas toujours pour le meilleur.

Thierry Sartoretti/mh

"L'Avare" de Molière mis en scène par Ludovic Lagarde, Théâtre de Vidy-Lausanne, jusqu'au 3 décembre 2017.

Publié