"La vie serait tellement plus belle si tout le monde s'exprimait avec la voix de Fanny Ardant", lançait Nicolas Bedos lors de la 27e Nuits des Molières.
Cette voix d'alto, à la fois rauque et aérienne, au phrasé funambule, fut pourtant un handicap au début de sa carrière. Mais aujourd'hui, quand dans un souffle qu'on croirait nocturne, elle dit "Bonjour", c'est comme une déclaration d'amour.
Sous le charme de sa voix
Elle sait encore faire rougir, Fanny Ardant! N'est-ce pas Nicolas Bedos? N'est-ce pas Vincent Delerm? N'est-ce pas Darius Rochebin, sous le charme lors d'un "Pardonnez-moi" de septembre 2015, alors que Fanny Ardant évoquait son travail dans "Cassandre", l'opéra parlé du compositeur genevois Michael Jarrell, mis en scène par Hervé Loichemol, à la Comédie de Genève?
A écouter l'entretien de Fanny Ardant et l'équipe de Cassandre dans Magnétique:
Instrument au sein d'un orchestre
Et bien justement, ce spectacle éblouissant revient les 10,11 et 12 octobre dans cette même Comédie de Genève. Inspiré du texte de l'Allemande de l'est Christa Wolf, "Cassandre" a été créé pour la première fois en 1994 au Théâtre du Châtelet à Paris avec Marthe Keller en récitante.
Le spectacle a été monté depuis par d'autres metteurs en scène, dont Christoph Marthaler, traduit et joué partout dans le monde. C'est l'oeuvre la plus connue du compositeur genevois Michael Jarrell qui écrit en ce moment un opéra sur la "Bérénice" de Racine, à découvrir en 2018 à l'opéra Garnier, à Paris.
Lectrice compulsive et grande admiratrice des Grecs, Fanny Ardant ne pouvait que se passionner pour la figure de Cassandre. La plus belle des filles de Priam et d'Hécube reçoit d'Apollon le don de prédire l'avenir. Mais comme elle se refuse à lui, il lui crache dans la bouche ce qui l'empêchera à jamais de se faire comprendre ou d'être crue. La prophétesse est ainsi condamnée à une lucidité sans partage.
La guerre de Troie vue des vaincus
Avec ce texte qui a marqué l'Allemagne, Christa Wolf offre un autre point de vue sur la guerre de Troie, celui des vaincus. Elle prend le contre-pied du récit homérien. Sous sa plume, Achille n'est qu'un boucher et les raisons qui poussent à la guerre, loin d'être héroïques, ne sont que mensonges. Elle s'interroge aussi sur la place des femmes dans l'Histoire.
Au micro de Magnétique, Fanny Ardant, Michael Jarrell et Hervé Loichemol racontent chacun leur Cassandre. Les trois tombent d'accord sur ce qui les passionne dans ce texte d'une rare intelligence: une réflexion sur la défaite et sur la grandeur de la défaite.
Instrumentiste et comédienne
Pour Michael Jarrell, il est apparu assez tôt que pour rendre la solitude extrême d’une femme en attente de la mort, il aurait été ridicule de la faire chanter. Ce qu'a parfaitement compris Fanny Ardant qui conçoit son rôle comme faisant partie du dispositif musical.
Ma gageure? Etre à la fois comédienne et instrumentiste.
Une humilité identique anime Hervé Loichemol qui a dû surélever l'orchestre en raison d'une scène trop étriquée, poussant ainsi l'héroïne dans un goulot d'étranglement. "L'important était de se caler à la partition: tout le travail de la mise en scène consiste en un mouvement vers la mort", dit-il.
Réduire à l'essentiel
Magnétique demande également son avis à Philippe Albèra, professeur de musique, fondateur de Contrechamps et d'Archipel, à Genève: "Tout ce qu’eût entraîné un opéra – les choeurs, l’orchestre, les différents rôles – est ici abandonné au profit d’une réduction à l’essentiel. À travers la voix parlée, modulée et amplifiée, la force du texte reste intacte: l’intime de la confession et le cri de la révolte sont donnés pour tels, sans sublimation esthétique".
Propos recueillis par Anya Leveillé et Benoît Perrier/Marie-Claude Martin
"Cassandre", mune musique de Michael Jarrell, mise en scène d'Hervé Loichemol, avec Fanny Ardant, les 10, 11 et 12 octobre, à 19heures, à la Comédie de Genève