L'odyssée du folk irlandais

Grand Format

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Introduction

Festivals dédiés, bandes originales de films, spectacles de danse: de l'imaginaire celtique aux scènes internationales, coup d’oeil sur les ingrédients du succès du folk irlandais.

Une tradition qui s’exporte

Il n’est pas nécessaire de séjourner longtemps en Irlande pour se rendre compte de la place importante qu’y occupent les musiques traditionnelles et leurs développements contemporains. Chaque année, des milliers de touristes sillonnent le pays dans l’espoir d’assister, dans le décor typique d’un "pub", à quelques "sessions" animées par des musiciens folk. Plus nombreux que dans n’importe quel autre pays d’Europe, ceux-ci doivent bien vite s’exporter et être reconnus par la diaspora irlando-américaine s'ils veulent faire carrière.

C’est que la musique irlandaise a séduit le monde entier, au point que des festivals dédiés continuent à se créer sur tous les continents. La Suisse s’y est d’ailleurs mise très tôt : avant de devenir la manifestation multiculturelle que l’on connaît aujourd’hui, le Paléo Festival s'est d'abord appelé "Festival Folk de Nyon".

>> Des images du "Festival Folk de Nyon" :

Paléologie - 1976 à 1982
RTSculture - Publié le 13 juillet 2015

Aujourd’hui encore, parmi les événements musicaux de l’été romand, le "Guinness Irish Festival" passe pour un des plus importants du genre en Europe, hors Irlande.

A l’origine de ce succès, des instruments qui séduisent, mais aussi l'exceptionnelle vitalité d’un genre qui, depuis les années 1960, ne cesse de se renouveler.

Des instruments qui font rêver

Sur les monnaies du pays depuis les premières heures de l'indépendance, la harpe ("cláirseach" en gaélique) est l’emblème de l'Irlande. Déjà décrite au Moyen-Âge, elle est jusqu’au 18ème siècle l'instrument de prédilection des musiciens de cour, héritiers des bardes antiques. Les compositions de cette époque, dont celles du harpiste aveugle Turlough O’Carolan, sont des éléments importants de l’identité nationale.

Presque aussi emblématique, l’"uilleann pipe" est une cornemuse dont on gonfle le sac à l’aide d’un soufflet actionné par le coude ("uillin" en gaélique) et dont on peut sélectionner et actionner ou non les différents bourdons. Depuis les années 1950, son jeu s’est énormément développé, notamment parmi les "travellers", les gens du voyage.

Introduit depuis l’Ecosse, le violon se popularise en Irlande à travers un jeu riche en harmoniques - on parle d’ailleurs de "fiddle", par opposition au violon classique - et participe au développement de styles régionaux bien typés, souvent associé à deux différents genres de flûtes: la "timber flute", flûte traversière en bois, et les "tin" et "low whistles", flûtes droites métalliques, dont le jeu s’est également épanoui à partir des années 60.

Ingrédients essentiels des B.O. de "Titanic", du "Seigneur des anneaux" ou du "Hobbit", tous ces instruments traditionnels - auxquels il faut encore ajouter le "bodhran", un tambour sur cadre au jeu spécifique - se sont fait une place de choix dans le paysage de la "World Music". Dans l'imaginaire collectif, ils sont définitivement associés au druidisme, au monde celte et, désormais, à l’univers de "l’heroic fantasy".

Le folk revival irlandais

En Irlande, depuis le 19ème siècle, l'intérêt pour la culture traditionnelle va de pair avec le développement du nationalisme. C’est l’époque des premiers collectages, de la remise en valeur de la langue gaélique et, dès 1897, d’un premier festival annuel de musique, le "Feis Ceoil". Mais la tendance reste très classique: le clergé catholique irlandais n’aime ni la danse, ni la musique à danser. Sous sa pression, musiques instrumentales et chansons sont longtemps reléguées aux arrières-cours des campagnes les plus retirées.

Aux Etats-Unis, en revanche, la diaspora irlandaise apprécie et valorise ses musiciens traditionnels. C’est donc là, paradoxalement, que vont se transmettre et s’épanouir les traditions de chansons et de musiques à danser. Au début des années 60, les Clancy Brothers, immigrés dans les années 1950, incarnent la dimension irlandaise du "folk revival" américain. Réveillées par leur succès, de nouvelles vocations éclosent en Irlande et c’est le début de groupes désormais légendaires: The Chieftains (1962), The Dubliners (1962), The Wolf Tones (1963)…

Dans ces formations, la musique instrumentale garde pourtant ses distances du "folksong". Ce n’est qu’en 1972 qu’un nouveau groupe, Planxty, s’autorise pour la première fois à mêler les genres, au grand dam des sociétés musicales et des critiques de l’époque. Le succès est pourtant immédiat et va tout de suite influencer toute la création musicale irlandaise.

Planxty ou la révolution du folk irlandais

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L'histoire commence dans un pub du village de Prosperous, dans le Comté de Kildare, où plusieurs musiciens ont leurs habitudes. Réunis pour enregistrer le deuxième disque du chanteur Christy Moore, il y a là un ami d’enfance, Dónal Lunny, récemment converti au jeu du bouzouki dont il va vite faire un instrument emblématique de cette nouvelle vague folk; Andy Irvine, émule de Woody Guthrie, chanteur et mandoliniste de talent; Liam O’Flynn, un des meilleurs joueurs d’"uilleann pipe" de sa génération, élève entre autres de Séamus Ennis et Wilie Clancy, les références incontournables de cette époque.

Ensemble, ces quatre-là créent littéralement un son nouveau, juxtaposant dans une même pièce une chanson et une suite instrumentale et tissant sous les mélodies de flûtes des entrelacs inédits de mandoline, guitare et bouzouki.

Leur première apparition publique à Donovan, dans le Comté de Galway, marque un tournant dans l'histoire de la musique irlandaise. Le succès est digne des meilleurs groupes de rock de l’époque, au point que Polydor Records propose au groupe un contrat. Le premier disque, intitulé simplement "Planxty", sort en 1973. Six autres suivront jusqu’en 1983, date à laquelle Christy, Andy, Dónal et Liam se séparent pour se consacrer à leurs propres projets.

>> Planxty ou l'invention du folk irlandais dans "Versus-écouter" :

Planxty - Donal Lunny, Andy Irvine, Liam O'Flyn & Paddy Glackin [wikipedia]wikipedia
Versus-écouter - Publié le 21 février 2017

Ouverture et développement

AFP - Artur Widak

Cette période des années 1972 à 1986 est marquée par une créativité et un dynamisme extraordinaires. Deux ensembles, notamment, vont alors achever de transformer le folk irlandais. Dans le sillage immédiat de Planxty, le Bothy Band (1974-1979) en approfondit encore la démarche et érige définitivement en modèle l’association des ballades et de suites instrumentales de plus en plus virtuoses. Quelques années plus tard, Moving Hearts (1980-1986) se rapproche du rock, ouvrant de nouvelles voies dans lesquelles les musiciens traditionnels irlandais n'auront plus peur de s’aventurer.

Au sein de chacun de ces groupes, c’est presque sans surprise qu’on retrouve Dónal Lunny dont le talent de producteur, en plus de ses qualités d’instrumentiste et d’arrangeur, est de plus en plus remarqué hors des milieux folk. Après la dissolution de Moving Hearts, il produit des albums pour Kate Bush, Clannad, Paul Brady, Elvis Costello, Rod Stewart ou Sinéad O’Connor.

Aujourd’hui, 45 ans après la création de Planxty, son oeuvre continue à influencer profondément les nouvelles générations de musiciens folk irlandais, en Irlande comme aux USA.

Crédits

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Proposition et texte: Vincent Zanetti

Réalisation web: Melissa Härtel