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L'écrivain Alain Claude Sulzer se dévoile dans un récit sur sa jeunesse

L'écrivain Alain Claude Sulzer. [actes-sud.fr - Julia Baier]
Alain Claude Sulzer: "La Jeunesse est un pays étranger" / Caractères / 60 min. / le 20 mai 2018
Révélé au public francophone en 2008 par le Médicis étranger puis par le Prix des auditeurs de la RSR, l’auteur alémanique Alain Claude Sulzer dévoile son enfance et son adolescence à travers un récit autobiographique fragmentaire.

Une jeunesse passée dans une petite ville de la périphérie bâloise au cours des années 1950-60. C’est cela que raconte Alain Claude Sulzer en cinquante textes brefs dans "La jeunesse est un pays étranger" paru aux éditions Jacqueline Chambon. On connaissait jusque-là son talent de romancier de l’intime. Mais c’est la première fois que l’auteur d' "Un garçon parfait" se livre personnellement en réunissant des éclats de mémoire. Avec une tendresse pleine de malice.

Ceci n’est ni un roman ni une autobiographie. Le livre n’a ni début ni fin, car je ne me souviens pas du début et la fin m’est inconnue. Il se compose de lacunes et de souvenirs, de non-dits et de dits, et aussi, je le précise, de choses passées sous silence.

Alain Claude Sulzer, "La jeunesse est un pays étranger"

Une panne d’écriture est à l’origine de cet album lié à la jeunesse de l’auteur. Alors qu’il était incapable de poursuivre un roman en cours, Alain Claude Sulzer a retrouvé quelques textes autobiographiques publiés antérieurement dans différents quotidiens et magazines alémaniques. A leur relecture s’est alors imposée l’idée d’étoffer un tel travail de mémoire et de réunir ces chroniques d’un autre temps au sein d’un même recueil.

Une double culture héritée de ses parents

Avant de décrire son enfance, Alain Claude Sulzer évoque avec pudeur ses origines familiales. Un père alémanique aux idées avant-gardistes, une mère fribourgeoise agrippée à la langue française comme à ses principes rigoureux. Au point que celle-ci n’a jamais daigné s’exprimer en allemand au long des quelque septante années qu’elle a vécu à Bâle.

Un terrain d’entente tout de même: la volonté de vivre en retrait de la société, dans la plus grande discrétion. Etonnant pour un couple qui s’était rencontré dans des circonstances romanesques. Elle était infirmière dans une clinique psychiatrique alors que lui y résidait en tant que patient…

Tandis que ma mère se décida en faveur du repli sur soi et de l’isolement, ce qui ne lui valut que des inconvénients, je bénéficiais du privilège d’avoir une deuxième langue sans avoir eu la peine de l’apprendre.

Alain Claude Sulzer, "La jeunesse est un pays étranger"

Dans ses fragments de souvenirs, l’auteur évoque à plusieurs reprises la double culture héritée de ses parents. Le français fut sa langue maternelle, la seule qu’il ait parlée jusqu’à l’âge de trois ans. Dans un texte très justement intitulé "Mon moi est un puzzle", il révèle que c’est plus tard qu’il a établi un lien exclusif avec la langue allemande. Ainsi, aujourd’hui Alain Claude Sulzer écrit uniquement en allemand et ne prétend pas être parfaitement bilingue. Les quelques erreurs qui jalonnent sa conversation française attestent sa prédilection pour l’allemand.

Un garçon différent des autres

"La jeunesse est un pays étranger" s’apparente à un récit de formation. Plusieurs textes font référence à la conviction précoce d’un enfant sensible qu’il deviendrait un jour écrivain. "Je n’ai jamais douté que je le deviendrais, confirme l’auteur interviewé par la RTS, au moins depuis l’école primaire. Je me souviens du très beau livre de Sartre "Les Mots" qui a nourri cette conviction." Sartre justement et quelques autres furent à l’âge de l’adolescence le motif d’une fugue à Paris avec un ami proche.

Paris était le seul refuge que nous envisagions à cause de nos modèles. Ils se nommaient Albert Camus, Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre. (…) Plus que leurs livres, c’était la liberté de leurs mœurs qui m’impressionnait.

Alain Claude Sulzer, "La jeunesse est un pays étranger"

Pas facile en effet de vivre pleinement son attirance pour les garçons lorsqu’on vit dans une bourgade alémanique au cours des années 1960. A la conviction précoce qu’un jour il serait écrivain, Alain Claude Sulzer ajoute celle d’être différent. Dans un très beau texte situé à la fin du recueil, il évoque sa rencontre fortuite avec un danseur prenant sa douche. Innocence perdue.

Une époque révolue

"Ce livre est le souvenir d’une société qui n’existe plus. D’une certaine façon, c’est un témoignage historique" conclut Alain Claude Sulzer. Il est vrai que la Suisse d’après-guerre qu’il décrit, étriquée et confite dans ses certitudes, a disparu.

Ces éclats de mémoire agencés avec tendresse et humour constituent ainsi le portrait d’un pays et d’une époque devenus étrangers: en ce temps-là, le premier magasin Migros était l’objet de curiosité, on collectionnait les points Silva et les soirées en famille étaient bercées par les émissions de Beromünster…

Jean-Marie Félix/aq

"La jeunesse est un pays étranger", Claude Alain Sulzer, éditions Jacqueline Chambon

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