Publié

Les femmes mènent la danse dans le nouveau roman de Pierre Lemaitre

Pierre Lemaitre [albin-michel.fr - Roberto Frankenberg]
Pierre Lemaitre: "Couleurs de lʹincendie" / Caractères / 59 min. / le 21 janvier 2018
Après les hommes d'"Au Revoir là-haut" (Goncourt 2013), les femmes sont à l'honneur du nouvel ouvrage de l'écrivain français Pierre Lemaitre, "Couleurs de l'incendie".

Après le succès populaire d'"Au Revoir là-haut" (Albin Michel) et le Goncourt qui lui a été décerné en 2013, les lecteurs de Pierre Lemaitre attendaient la suite avec ferveur. Patience récompensée, le romancier n’a rien perdu de sa verve.

"Au Revoir là-haut" se fermait sur la mort annoncée du banquier Péricourt. "Couleurs de l’incendie" s'ouvre, en 1927, sur ses funérailles et, rapidement, surgit une image forte: l'envol de Paul, sept ans, fils de Madeleine Péricourt, qui s’élance du balcon de la demeure familiale pour venir s'écraser sur le cercueil de son grand-père, rappelant ainsi la chute de son oncle Edouard, le soldat à la gueule cassée.

"Névrose familiale", relève sobrement Pierre Lemaitre au micro de la RTS. Mais pas seulement. L'enfant survivra, restera lourdement handicapé et deviendra pour sa mère un sujet de préoccupation et de culpabilité.

Histoire d'une revanche et d'une vengeance

Madeleine Péricourt, figure secondaire et effacée d'"Au Revoir là-haut", occupe une place centrale dans "Couleurs de l'incendie" qui doit son titre à un vers d'Aragon. Madeleine naît à elle-même et à un siècle qui a "renvoyé les femmes à la cuisine après la Première guerre".

En suivant son cheminement et celles de quelques autres, dont une cantatrice aussi triste qu'héroïque, c’est l'histoire des femmes dans les années trente que revisite l’auteur. Voilà Madeleine, destinée au seul mariage, désormais divorcée de l'affreux Pradelle qui croupit en prison, héritière de la banque et de la fortune de son père et mère d’un garçon en chaise roulante. Femme de trente-six ans entourée d'hommes qui guettent sa chute et qui découvre un monde fait de coups tordus, de jalousie et de rapports de classe.

Leur principale inquiétude était que cette femme, forte de son droit, ait le désir de présider la banque. [...] Ils applaudissaient parce qu'elle n'y connaissait rien et saurait rester à sa place.

Pierre Lemaitre, "Couleurs de l'incendie" (Albin Michel)

Puiser dans des faits réels

Pierre Lemaitre revendique les infidélités de ses romans à "l'histoire vraie". Pourtant, il a cette fois fait appel à une historienne car "l'époque est compliquée" et le romancier tenait à sonner juste en faisant revivre les mentalités de l’époque. Tout en puisant dans des faits réels, divers et historiques. Par exemple, les agissements frauduleux de l'Union bancaire de Winterthour ressemblent comme deux gouttes d'eau à ceux –avérés- de la banque commerciale de Bâle.

Reste que Pierre Lemaitre construit ses romans à partir des personnages qui donnent le ton et suscitent l’émotion. Faire passer un bon moment au lecteur est le but avoué de l'entreprise. Mais si, au passage, l'auteur parvient à distiller quelques remarques sur l'époque qui viendraient faire écho à notre monde d'aujourd'hui c’est tant mieux. Le citoyen ne s'en cache pas, la "macronite aigüe" très peu pour lui qui voterait plutôt Mélanchon.

>> Ecouter Pierre Lemaitre évoquer le succès de "Au Revoir là-haut" :

Pierre Lemaitre en interview
Pierre Lemaitre en interview / RTSculture / 2 min. / le 22 janvier 2018

Le bonheur d’écrire

"Au Revoir là-haut" et "Couleurs de l'incendie" sont les deux premiers volumes de ce qui deviendra un triptyque. Ce n'était pas prévu ainsi, mais emporté par le bonheur d'écrire en toute liberté – loin des contraintes du roman policier, ses premières amours – Pierre Lemaitre a décidé de couvrir de ses mots l'entre-deux guerre, des années vingt jusqu'aux années quarante, celles de l’exode.

Point n'est besoin cependant d'avoir lu le premier pour s'attaquer au deuxième (mais ce serait dommage!). En écrivain influencé par les feuilletonistes du 19e siècle, Pierre Lemaitre sait guider son lecteur, établissant du même coup une joyeuse connivence. A quand le troisième volet? L’écrivain demeure évasif mais travaille d’arrache-pied.

Anik Schuin/mh

Pierre Lemaitre, "Couleurs de l'incendie", Albin Michel, 2018

Publié