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Leo McCarey, grand cinéaste oublié, revit au Festival de Locarno

Cary Grant et Deborah Kerr dans "An Affair to remember". [afp - Archives du 7eme Art]
Leo McCarey, grand cinéaste oublié, revit à Locarno / Anticyclone / 16 min. / le 1 août 2018
Du burlesque au mélodrame, de Laurel et Hardy à "Elle et lui", on peut voir tout Leo McCarey (1898-1969) à l'occasion de la grande rétrospective que lui consacre le 71e Festival de Locarno.

Sur une bonne centaine de films, courts ou longs, Leo McCarey a laissé d’inoubliables chefs-d'oeuvre: "L'Extravagant Mr.Ruggles", "Place aux jeunes" et bien sûr les deux versions de "Elle et lui", en 1939, puis en 1957, célèbre auto-remake tourné en couleurs et avec de nouveaux acteurs. L'un des plus beaux mélodrames de l'histoire du cinéma.

Assistant de Tod Browning ("Freaks") à ses débuts, McCarey ne se destinait aucunement au cinéma. Il a d'abord fait des études de droit, il a été boxeur, rugbyman, "script-girl" et songwriter avant de réaliser des films et de connaître une période très faste au temps du muet.

Il a dirigé Harold Lloyd ou les Marx Brothers ("La Soupe au canard"). On raconte aussi que c'est lui qui a eu l'idée de réunir Laurel et Hardy. Leo McCarey a connu de grands succès de son vivant. Il a reçu trois Oscars. Un pour "Cette sacrée vérité" (1938), magnifique comédie de remariage avec Irene Dunne et Cary Grant, deux pour "La Route semée d’étoiles", comédie musicale avec Bing Crosby. Pourtant, aujourd'hui, son oeuvre a été un peu oubliée.

Injustement oublié

"McCarey n'est pas l'un des grands auteurs hollywoodiens dont on parle et c'est très injuste. La raison est simple: à part une poignée de chefs-d'œuvre, beaucoup de ses films restent inaccessibles, explique Charlotte Garson, critique de cinéma, l'une des auteures de l'ouvrage "Leo McCarey" qui paraît chez Capricci à l'occasion de la rétrospective de Locarno. Le Festival tessinois est donc une occasion rare de combler les manques.

"De plus, son oeuvre n'est pas réductible à un seul genre, poursuit-elle. Il a commencé comme gagman à la période du muet. Puis, il a nuancé sa vision burlesque du cinéma pour l'amener vers la comédie romantique et le mélodrame. Du coup, il est difficile de cerner une personnalité. Enfin, son style se fonde moins sur une empreinte visuelle que sur un rapport rythmique aux séquences."

Leo McCarey avait une très bonne oreille, il jouait du piano, il écrivait certaines chansons de ses films. Et son approche du cinéma était résolument musicale. "Pendant le tournage, il improvisait beaucoup avec ses acteurs, il se mettait au piano et la musique l’inspirait pour des idées de mise en scène. Il a donc gardé un sens rythmique du cinéma, ce qui se voit moins à l’image", reprend Charlotte Garson.

Le mythe Laurel et Hardy

Leo McCarey se targuait d'avoir eu l'idée de réunir le couple Laurel et Hardy durant sa période du muet. "Il semble en effet que quand il était gagman, il ait eu l'idée d'appareiller ces deux comiques", commente Charlotte Garson.

"Oeil pur oeil" avec Stan Laurel et Oliver Hardy en 1929. [afp - Archives du 7eme Art]
"Oeil pur oeil" avec Stan Laurel et Oliver Hardy en 1929. [afp - Archives du 7eme Art]

Mais ce qui est plus important, dans son travail avec Laurel et Hardy ou avec les Marx Brothers, c'est qu'il a changé le "slapstick", ce comique burlesque fondé sur la chute des personnages. Il y a introduit un sens du timing différent. Ce qu'on a appelé le "slowburn", cette idée qu'un gag peut arriver à force de répétition et de ralenti et non plus d’accélération.

Ce qu'il faut retenir aussi, c’est que Laurel et Hardy forment un couple. "Et le couple deviendra un personnage très important dans tous les films de McCarey qui suivront. Qu'ils soient burlesques ou non."

Je t’aime, moi non plus

Un couple qui tourne à plein régime, c'est Cary Grant et Irene Dunne dans "Cette sacrée vérité", l'une des premières comédies de remariage - ces comédies loufoques des années trente dans lesquelles les couples se disputent, rompent, mais finissent par se remettre ensemble après avoir évolué, s’être transformé.

"C'est un magnifique exemple de comédie de couple, estime Charlotte Garson. Le film montre comment, même divorcé, même en fréquentant d'autres partenaires, le mari et la femme ne vont cesser de penser à l'autre. On y trouve des thèmes chers à McCarey: la force de la mémoire, de l’habitude, de ce qui nous lie à l'autre."

Le couple est également au centre de "Love Affair/Elle et lui" en 1938, avec Charles Boyer et Irene Dunne. Les deux personnages, engagés ailleurs, se rencontrent sur un transatlantique qui les mènera à New York. L’histoire d'amour est centrée sur la rencontre. "Comment faire durer cet instant magique de la rencontre, comment se fabriquer des souvenirs et non pas jouir de l’instant de manière hédoniste, voilà ce qui est au cœur de "Elle et lui", relate Charlotte Garson.

Joan Collins dans "La Brune brûlante" de Leo McCarey. [afp - Jerry Tavin/Archives du 7e art]
Joan Collins dans "La Brune brûlante" de Leo McCarey. [afp - Jerry Tavin/Archives du 7e art]

Du burlesque au mélodrame

La question de la mémoire est si fondamentale chez McCarey qu'il refera ce film en 1957 ("An Affair to remember"), "sans doute parce qu'il voulait parler d’amour à une autre génération", estime-t-elle. Le film se tourne avec un nouveau casting (Cary Grant et Deborah Kerr), dans un format cinémascope et en couleurs.

"Les deux films se sont des voyages de la comédie de la plus loufoque basée sur des gags corporels et des conversations piquantes avec des bons mots, vers le mélodrame, vers les secondes chances qui peuvent se manquer. Les rendez-vous manqués du destin lui permettent de travailler une matière mélodramatique."

On a reproché à McCarey son puritanisme catholique et son anticommunisme primaire. Un exemple, "My Son John" (1952). "Le film reste très intéressant et tient malgré tout, explique Charlotte Garson. Il ne faut pas le voir pour son discours idéologique, mais pour la question de la transmission, présente dans de nombreux films de McCarey, pour cette mère qui regarde partir son fils."

Ce fils, justement, est joué par Robert Walker, un acteur qui interprétait le méchant dans "L'Inconnu du Nord Express", d’Alfred Hitchcock. L'anecdote est fameuse: Robert Walker, alors âgé de 32 ans, meurt à la fin du tournage.

Un raccord à la Frankenstein

McCarey a dû faire des acrobaties pour que le film reste crédible. Il double lui-même la voix manquante de son acteur disparu. Il emprunte à Hitchcock une scène de "L'Inconnu du Nord Express" qu'il met dans son film. "C'est un raccord étrange, un peu Frankenstein. Mais qui fait écho à cette idée de le mémoire et des morts qui vivent en nous."

En son temps, Leo McCarey a été admiré par de nombreux cinéastes, dont Jean Renoir. "Renoir disait que McCarey était le cinéaste des gens, celui qui filmait le mieux l’humain à Hollywood", raconte Charlotte Garson.

"Peut-être que Franck Capra avait aussi cette intuition-là, mais il avait derrière une idéologie individualiste, une conception précise de la démocratie, alors que McCarey s'intéressait à la sphère du couple, à la sphère familiale et à la subtilité des relations entre les gens. Et pour cela, il n'avait pas d'égal à Hollywood."

Raphaele Bouchet/boi

Le 71e Festival de Locarno a lieu du 1er au 11 août. A la rentrée, la Cinémathèque suisse, à Lausanne, et les Cinémas du Grütli, à Genève, reprendront une partie de la rétrospective McCarey.

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