"Fargo", de la neige et du sang

Grand Format

AFP - Gram Filmed Entertainment

Introduction

"Fargo", film produit et réalisé par Joel et Ethan Coen sorti en 1996, avec Frances McDormand dans le rôle principal, raconte sur fond de neige une histoire rocambolesque et dramatique.

Synopsis

Dans cet endroit, où il ne se passe jamais rien, il est train de se passer quelque chose. Jerry Lundegaard engoncé dans sa doudoune, regard bleu, sourire blanc, arrive à "Fargo". Au fond d'un des bars du bled, il a rendez-vous avec un petit moustachu teigneux, et un grand blondin patibulaire.

Jerry Lundegaard est directeur commercial d'une concession automobile. Il est marié, sa femme tricote à la maison devant des soap opera, un fils tranquille, un beau-père riche qui le méprise. Il est couvert de dettes et s'enfonce dans sa vie morne.

Voici qu'il a l'idée du siècle: faire enlever sa propre femme pour toucher une rançon de son beau-père. Mais les deux malfrats, le moustachu et le blondin, recrutés pour l'occasion, sont des ratés de premier plan qui accumulent les bourdes. Rien ne va se passer comme prévu. Les deux voyous se disputent, les cadavres s'accumulent, la neige envahit la campagne.

Chargée de l'enquête, une jeune femme commissaire enceinte de sept mois, Marge Gunderson, découvre tous les tenants de l'histoire.

Une histoire de famille

"Fargo" est une histoire de familles. Tout est toujours une histoire de famille avec les frères Coen. En interview, ils sont toujours les deux. L'un commence une phrase que l'autre termine. Joel et Ethan Coen portent sur le monde le même regard, s'inspirent des mêmes choses.

Les Coen sont américains. Et c'est cette culture américaine, cette culture familiale et familière qu'ils montrent dans leurs films. Biaisée, forcément, tordue, recherchant l'insolite, le bizarre, les gueules. Les Coen montrent leur propre Amérique. Et c'est particulièrement flagrant avec "Fargo". Car le film se déroule dans le Minnesota, là où ils ont grandi. Un endroit un peu sinistre. Les réalisateurs le confirment: "adolescents, on n'avait qu'une idée: partir."

L'élaboration du scénario de "Fargo" se fait à deux têtes et à quatre mains. Après l'échec commercial de leur film précédent, "Le Grand Saut", ils ont comme idée de revenir à quelque chose de plus simple: un polar. Dans la neige.

Basé sur des faits "réels"

"Fargo" est le premier film des frères Coen à se dérouler dans le monde réel, contemporain, plutôt que dans une Amérique alternative. Et même potentiellement dans un monde autobiographique.

"On avait envie de revenir aux sources, disent les frères Coen. Parce qu'on vient du Minnesota. Tout est là, déjà, une communauté fermée jamais vue au cinéma. Ils parlent l'anglais avec un vague accent scandinave, vivent des hivers de Pôle Nord. Les contradictions se règlent à coup de hache, les conversations ont lieu devant des vases à bière, le regard se perd dans la neige. Si on avait fait un polar de fiction, il devraient y avoir des scènes utiles qui font progresser l'action. Le fait que ce soit un événement réel dans un contexte que l'on connaît nous permet de jouer un peu plus."

Très vite, ils esquissent les personnages. Ils écrivent pour les acteurs: Steve Buscemi sera le petit moustachu. Peter Stormare le blondin, et Frances McDormand la policière.

Une scène du film "Fargo" des frères Coen. [AFP - Gram Filmed Entertainment]
Une scène du film "Fargo" des frères Coen. [AFP - Gram Filmed Entertainment]

Ils s'inspirent d'un tout petit fait divers. Et s'amusent à relayer l'information au début de leur film: "ceci est une histoire vraie". Mais tout s'achève par un avertissement: "toute ressemblance entre des personnages vivants ou décédés n'est pas intentionnelle."

Pour les Coen, la vérité est un concept tout relatif. "La vérité est quelque chose de souple, clament-t-il. Dans les films, les personnages ne sont pas ce qu'ils prétendent être, les décors glissent vers le rêve, le conte. Mieux vaut ne se fier à rien."

"Fargo" des frères Coen, en 1996. [AFP - Gram Filmed Entertainment]
"Fargo" des frères Coen, en 1996. [AFP - Gram Filmed Entertainment]

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Les frères Coen

Joel et Ethan Coen naissent dans une ville champignon, une banlieue inerte de Minneapolis dans le Minnesota, à Saint Louis Park. Joel naît le 29 novembre 1954. Ethan, le 21 septembre 1957. Leur père, Edward, Ed, est professeur de sciences économiques à l'université du Minnesota, leur mère Rena enseigne l'histoire de l'art.

A l'école, les deux garçons ne se distinguent pas vraiment. Ils font des études moyennes jusqu'au jour où ils découvrent le cinéma. A la fac, Joel s'inscrit à la New York University, dans le cycle d'études cinématographiques. Ethan choisit la philosophie.

En 1982, sur l'idée de leur ami réalisateur Sam Raimi, Joel et Ethan vont voir l'association de bienfaisance juive Hadassah. Ils se procurent la liste des juifs les plus riches du Minnesota et se mettent à frapper aux portent. Les donateurs, banquiers, dentistes, médecins, musiciens sont impressionnés par leur enthousiasme et achètent des parts de production cinématographiques. "Sang pour Sang", "Blood Simple", peut être tourné. Les voilà lancés. Très vite on les remarque.

Ethan Coen et Joel Coen sur le tournage du film "Hail Caesar !" en 2016. [AFP - Universal Pictures]
Ethan Coen et Joel Coen sur le tournage du film "Hail Caesar !" en 2016. [AFP - Universal Pictures]

Les Coen émigrent alors à New York. Ils écrivent "Arizona Junior". En 1987, à la première projection du film à New York, les Coen ne sont pas dans la salle. Ils préfèrent assister au lancement de "Evil Dead 2" de Sam Raimi.

Hollywood commence à frétiller. Les projets s'enchaînent, empiètent les uns sur les autres.

Les personnages

Les personnages de leurs films sont toujours inspirés de personnes réelles qu'ils ont croisé à un moment donné. Loin de juger ou de se moquer, ils sont naturellement attirés par des groupes ethniques aux traits distinctifs, de même qu'ils utilisent des stéréotypes et c'est ce qui rend leurs personnages si intéressants.

Dans "Fargo", ils les connaissent par cœur, puisqu'il s'agit du monde taciturne aux émotions contenues où ils ont grandis.

"Fargo c'est notre Minnesota" analysent les Coen. La palette des personnages est croquée sur le vif. C'est dans le geste, dans l'attitude que tout se dit. Des personnages simples, pris dans la glace d'une situation inextricable, tel est, en résumé, le secret des frères Coen.

Frances McDormand et John Carroll Lynch dans "Fargo". [AFP - PolyGram Filmed Entertainment]
Frances McDormand et John Carroll Lynch dans "Fargo". [AFP - PolyGram Filmed Entertainment]

Le tournage

Le tournage de "Fargo" débute dans le Minnesota, État natal des frères Coen, à Fargo, le 23 janvier 1995, puis à Brainerd, la ville d'à-côté.

"Fargo" doit initialement restituer les paysages immaculés et déprimants du Minnesota hivernal que les deux frères connaissent si bien, ce moment lugubre où il devient difficile de discerner la frontières entre la terre couverte de neige et le ciel rendu opaque par le blizzard, l'horizon disparaît.

Ils montent dans le Dakota pour trouver de la neige. Trichent un peu avec les paysages de terre désolée pour les besoins de la cause. Sur le plateau de tournage, il n'y a que des amis.

Frances McDormand dans "Fargo" en 1996. [AFP - Archives du 7eme Art]
Frances McDormand dans "Fargo" en 1996. [AFP - Archives du 7eme Art]

"Fargo" rassemble la petite troupe des Coen Brothers: Steve Buscemi et Peter Stormare, Frances McDormand (Madame Joel Coen). Elle avoue en riant: "pour avoir ce rôle, j'ai dû coucher avec le réalisateur".

Dans "Fargo", elle est donc complètement et entièrement Marge Gunderson. Elle reçoit d’ailleurs l’Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle.

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La sortie

"Fargo" sort aux Etats-Unis le 8 mars 1996. Très vite, son univers particulier plaît tant à la critique qu'au public. Les récompenses pleuvent.

A Cannes, en l'absence des réalisateurs, Frances McDormand traverse la salle du palais des festivals sous les applaudissements nourris pour recevoir le Prix de la mise en scène.

L'affiche du film "Fargo" des frères Coen. [AFP - PolyGram Filmed Entertainment]
L'affiche du film "Fargo" des frères Coen. [AFP - PolyGram Filmed Entertainment]

Joel Coen reçoit un Bafta du meilleur réalisateur aux oscars britanniques. Un Saturne Awards pour le meilleur film d'action, et deux Oscars: un pour la meilleure actrice, l'autre pour le meilleur scénario original. Du coup, dans la foulée, ils sont bien obligés d'avouer que Roderick James, nominé aux Oscars pour le montage, est en réalité leur pseudonyme. On les acclame. On leur demande des explications sur leur cinéma, sur ce film en particulier.

Les cinéastes refusent d'attribuer la moindre signification à leurs œuvres. "Ce n'est qu'un film" disent-ils. Un film, mais qui contient chaque fois une part de leur univers, de leurs mythes inventés et marginaux.

Caractéristiques des films des deux frères, un humour singulier, pince sans rire, à résonance européenne. Tout tient à la teneur du texte, ridicule, presque banal, direct. Le mariage du film noir et de la dérision.

Du film culte à la série

"Fargo" devient un film culte. Le succès du film est tel que les gens viennent du monde entier à Brainerd où se passe l'action. Les frères Coen eux sont déjà repartis et enchaînent avec "The Big Lebowski".

En 1998, on leur propose de l'adapter en série. Ils refusent poliment. Mais le producteur Warren Littlefield revient à la charge 18 ans plus tard. La série ne sera pas tout à fait un remake, ni vraiment une adaptation. Cette fois, les Coen acceptent une casquette de producteurs exécutifs. Pas question pour eux d'écrire ni de tourner la moindre scène, mais ils accompagnent Noah Hawley, jeune scénariste.

Le pari de Littlefield et Hawley est couronné de succès: critique unanime, rendez-vous est pris pour une deuxième et une troisième saison.

"Fargo" entre également dans la légende télévisuelle.

Crédits

Proposition et texte: Catherine Fattebert

Réalisation web: Lara Donnet

Références:

ASSOULY, Julie, "L’Amérique des frères Coen", Biblis, CNRS Editions, 2012

NATHAN, "Ian, Ethan et Joel Coen, Collection : Maîtres du cinéma", Cahiers du cinéma, 2012

RTS Culture

Décembre 2017