Kathryn Bigelow, une cinéaste d'action

Grand Format

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Introduction

Son nouveau film, "Detroit" revient sur les émeutes qui ont éclaté dans la ville du Michigan durant l’été 1967. Seule cinéaste femme oscarisée, Kathryn Bigelow a signé dix longs-métrages dominés par les codes du cinéma de genre, polar, action et fantastique.

Une pionnière

Je ne crois pas trop au concept de film féminin ou masculin. Pour moi, il y a avant tout des cinéastes… Par ailleurs, considérer les films d'action comme masculins et les films intimistes comme féminins, c'est peut-être un cliché qu'il faut battre en brèche et j'y travaille.

Kathryn Bigelow, réalisatrice de "Detroit" au journal les Inrockuptibles

Kathryn Bigelow est l'une des rares cinéastes à s'être consacrée à un cinéma d'habitude réservé à ses collègues masculins. De "Point Break" à "Strange Days", en passant par "Démineurs" et "Zero Dark Thirty", ses films s'appuient sur l'action plus que sur la psychologie dans des histoires dominées par la violence.

Grande admiratrice du cinéaste Sam Peckinpah, notamment son western "La horde sauvage" qu'elle présentait en personne lors de la rétrospective du festival de Locarno en 1997, Kathryn Bigelow n'a pourtant pas commencé sa carrière artistique derrière la caméra.

Née en 1951 en Californie, elle commence par s'intéresser à la peinture et étudie au San Francisco Art Institute durant deux ans. Elle obtient, à 20 ans, une bourse qui lui permet d'intégrer le collectif d'artistes avant-gardistes et conceptuels Art & Language. Elle choisit alors de bifurquer vers le cinéma et étudie à l'université Columbia, dont elle sort diplômée en 1979.

Extrait de "Point Break", un film de Kathryn Bigelow sorti en 1991. [AFP - Archives du 7eme Art]
Extrait de "Point Break", un film de Kathryn Bigelow sorti en 1991. [AFP - Archives du 7eme Art]

Mon passage de la peinture au cinéma a été très conscient. La peinture est une forme d'expression raréfiée qui touche une audience limitée, le film, un extraordinaire outil social qui atteint des foules énormes.

Kathryn Bigelow, réalisatrice de "Detroit"

Bigelow en action

Du haut de son mètre 82, Kathryn Bigelow co-signe son premier long-métrage avec le futur producteur de David Lynch, Monty Montgomery. Sorti en 1982, "The Loveless" s'affirme comme un hommage à "L'équipée sauvage" et suit une bande de motards dirigés par Willem Dafoe. Les habitants d'une petite ville de Floride regardent de travers ce groupe de marginaux qui s'arrête chez eux, quelque part dans les années 1950.

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Extrait du film "Aux Frontières de l'aube" réalisé par Kathryn Bigelow en 1987. [AFP - Near Dark Joint Venture]
Extrait du film "Aux Frontières de l'aube" réalisé par Kathryn Bigelow en 1987. [AFP - Near Dark Joint Venture]

Confrontation entre la société dite "normale" et ceux qui défient les règles de cette même société, le film, à cheval entre cinéma d'avant-garde et film de motards, passe relativement inaperçu. Bigelow digère encore ses influences warholiennes et expérimentales. Son film suivant s'inscrira plus nettement dans le cinéma de genre.

Kathryn Bigelow souhaite réaliser un western, mais le genre est passé de mode. Elle opte alors pour le film de vampires avec "Aux frontières de l'aube" (1987), dont les accents désertiques du Sud des États-Unis rappellent les codes du western. Là encore, deux mondes s'entrechoquent: les fermiers aux allur es de cow-boys anachroniques et une fausse "famille" de vampires qui écument les routes dans des voitures volées. Mordu par une des jeunes vampires dont il est amoureux, l'un de ces fermiers passe de la normalité à la marginalité dans cette franche réussite, brutale et baroque, accompagnée par la musique rock électronique de Tangerine Dream. Le film rencontre un succès d'estime et ouvre les portes d'un cinéma plus commercial à Kathryn Bigelow.

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La fascination du masculin

Dès ses débuts, la fascination de Kathryn Bigelow à l'égard de la masculinité et de la virilité saute aux yeux. Les motards en cuir et cheveux gominés de "The Loveless" trahissent une ambiguïté sexuelle évidente. Le héros d'"Aux frontières de l'aube", sorte de cow-boy très "mâle", passe du statut de prédateur à celui de proie. Et avec "Blue Steel" (1990), son premier budget important, elle interroge la masculinité à travers l'obsession des armes à feu spécifique aux États-Unis. L'histoire suit une jeune policière new-yorkaise (Jamie Lee Curtis) harcelée par un trader psychopathe qui tue au hasard à l'aide d'un pistolet dérobé. Systématiquement renvoyée à son statut de femme, l'héroïne est confrontée à un fantasme de meurtre qui rejoint ici une expression pathologique de la virilité.

Jamie Lee Curtis dans "Blue Steel" réalisé par Kathryn Bigelow en 1990. [AFP - Archives du 7eme Art]
Jamie Lee Curtis dans "Blue Steel" réalisé par Kathryn Bigelow en 1990. [AFP - Archives du 7eme Art]
Extrait du film "Point Break" réalisé par Kathryn Bigelow en 1991. [AFP - Largo Entertainment]
Extrait du film "Point Break" réalisé par Kathryn Bigelow en 1991. [AFP - Largo Entertainment]

En 1991, Kathryn Bigelow réalise son plus gros succès: "Point Break". L'agent du FBI Johnny Utah (Keanu Reeves) est chargé d'infiltrer un groupe de surfeurs. Il se lie d'amitié avec le chef du groupe, un certain Bodhi (Patrick Swayze) qui l'initie à la culture et à la philosophie du surf. Là encore, Bigelow prouve qu'elle est l'une des meilleures réalisatrices de séquence d'action, sublime les corps sculpturaux de ses acteurs, et souligne la relation trouble qui unit Utah et Bodhi.

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Extrait du film "Strange Days" réalisé par Kathryn Bigelow en 1995. [AFP - Twentieth Century Fox]
Extrait du film "Strange Days" réalisé par Kathryn Bigelow en 1995. [AFP - Twentieth Century Fox]

Le film est coproduit par James Cameron ("Titanic", "Terminator") qui sera son mari entre 1989 et 1991. L'univers des deux cinéastes se croisent d'ailleurs régulièrement, notamment lorsque Bigelow reprend, dans "Aux frontières de l'aube", trois comédiens déjà utilisés par Cameron dans "Aliens" (1986): Bill Paxton, Lance Herickson et Jenette Goldstein. Même lorsqu'elle recevra son Oscar de meilleure réalisatrice avec "Démineurs" en 2010, elle concourt face à son ancien époux, nommé pour "Avatar". James Cameron produira et écrira encore, en 1995, le film d'anticipation qui annoncera le tournant plus politique de Kathryn Bigelow: "Strange Days".

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Bigelow, cinéaste politique

Pur film pré-année 2000, "Strange Days" s'apparente à un cyber-polar guidé par deux trames spécifiques: un ancien flic revend illégalement des vidéos extrêmes qui permettent de revivre n'importe quelle situation; un rappeur influent est assassiné par deux policiers corrompus. Kathryn Bigelow introduit dans son film d'anticipation une dimension clairement politique qui s'inspire de l'affaire Rodney King, un afro-américain tabassé par plusieurs policiers à Los Angeles.

Avec "Démineurs" (2009), elle prolonge cette voie politique et immerge le spectateur dans un film extrêmement physique, viscéral, par moments quasi documentaire. Sa caméra colle à un militaire chargé de désamorcer les bombes disséminées en Irak et révèle l'addiction maladive que la guerre peut nourrir chez certains soldats.

Extrait du film "Demineurs", réalisé par Kathryn Bigelow en 2009. [AFP - Voltage Pictures]
Extrait du film "Demineurs", réalisé par Kathryn Bigelow en 2009. [AFP - Voltage Pictures]

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Extrait du film "Zero Dark Thirty" réalisé par Kathryn Bigelow en 2013. [AFP - Annapurna Pictures]
Extrait du film "Zero Dark Thirty" réalisé par Kathryn Bigelow en 2013. [AFP - Annapurna Pictures]

En 2012, elle applique sa mise en scène immersive pour raconter la traque longue et compliquée d'Oussama Ben Laden dans "Zero Dark Thirty". L'un des rares films de Bigelow incarné par une héroïne (en l'occurrence Jessica Chastain). En reconstituant les émeutes qui éclatèrent dans la ville du Michigan en 1967 pour son nouveau long-métrage, "Detroit", la cinéaste dénonce sans détour les violences policières et le racisme qui gangrènent la société américaine.

Nul doute que Kathryn Bigelow a ouvert la voie à toute une génération de réalisatrices qui se sont emparées d'un cinéma d'action, de Patty Jenkins avec "Wonder Woman", à Catherine Hardwicke et "Twilight", en passant par Mimi Leder ("Deep impact", "Le pacificateur"), démontrant au passage qu'adrénaline ne rime pas forcément avec testostérone.

Crédits

Une proposition de Rafael Wolf

Réalisation web: Meili Gernet

RTS Culture

Octobre 2017