"Blade Runner", histoire d'un culte

Grand Format

AFP

Introduction

À l’occasion de la sortie de "Blade Runner 2049", retour sur le classique du réalisateur britannique Ridley Scott et ses multiples versions.

"Blade Runner 2049"

Synopsis:

En 2049, la société a été ravagée par un cataclysme nucléaire. L’écosystème s’est effondré et la Terre n’est plus qu'un champ de ruine. L’histoire de l’humanité, stockée sur disque dur, a été largement effacée par un immense black-out.

C’est dans ce monde apocalyptique que l’agent K (Ryan Gosling), "blade runner" et répliquant lui-même, est chargé d’éradiquer les rebelles d’une nouvelle génération d’androïdes. Une tombe enfouie révèle un secret qui l’emmène sur la piste de Rick Deckard (Harrison Ford).

Il est sans doute trop tôt pour dire si "Blade Runner 2049" s’imposera comme un classique de la science-fiction. Ce qui est sûr, c’est que le résultat est visuellement époustouflant, plus proche par moments du cinéma contemplatif d'un Andreï Tarkovski que de l'étalage d’effets spectaculaires. Denis Villeneuve réussit à prolonger l’univers du premier "Blade Runner", et lui rend au passage quelques hommages en forme de clin d’œil.

>> A voir le reportage cinéma: Blade Runner, ou le mythe de l'homme-machine :

Cinéma: Blade Runner, ou le mythe de l'homme-machine
19h30 - Publié le 3 octobre 2017

Mais plutôt que de singer Ridley Scott, le cinéaste trouve sa propre voie et installe une esthétique personnelle épurée à l’extrême. Certes, on reconnaît le Los Angeles saturé où la neige a remplacé la pluie. Mais le reste est dominé par les paysages désertiques, décolorés, et des décors blanchâtres.

Les questions philosophiques et métaphysiques du premier volet sont mis entre parenthèse au profit d’une intrigue qui se concentre sur une histoire d’amour et de filiation.

Ryan Gosling dans "Blade Runner 2049". [Warner Bros - Stephen Vaughan]
Ryan Gosling dans "Blade Runner 2049". [Warner Bros - Stephen Vaughan]

Blade Runner 2049" pose une intersection magnifique et mélancolique entre passé et présent, humain et androïde, science-fiction et intimisme. Un grand film.Rafael Wolf, critique cinéma

"Blade Runner" 1982

Affiche du film "Blade Runner" de 1982 réalisé par Ridley Scott. [AFP - The Ladd Company]
Affiche du film "Blade Runner" de 1982 réalisé par Ridley Scott. [AFP - The Ladd Company]

Los Angeles, 2019. Un groupe de répliquants – des androïdes utilisés comme des esclaves – arrivent sur Terre dans le but de trouver leur créateur et d’augmenter leur durée de vie, limitée à quatre années. Ancien agent des "blade runners", Rick Deckard (Harrison Ford) est chargé de les éliminer.

A l’origine, on trouve un roman de Philip K. Dick paru en 1968, "Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?". Martin Scorsese tente dès 1969 une adaptation qui capote très vite. En 1977, l’acteur Hampton Fancher achète les droits du roman et rédige un premier scénario proche d’un petit drame intimiste.

Tournage chaotique

Auréolé du succès d’"Alien", Ridley Scott reçoit le script en 1979 et refuse, occupé sur une autre adaptation d’un classique de la science-fiction, "Dune". Finalement, le projet s’effondre et Scott s’engage sur "Blade Runner". Il fait réécrire le scénario et entame, avec un perfectionnisme maniaque, un tournage chaotique.

 Au moment où le film est bouclé, le budget a explosé: 28 millions de dollars, énorme pour l’époque.

Bande son exceptionnelle

Accompagné par la musique grandiose de Vangelis, le résultat est avant-gardiste, visionnaire, novateur. Plongé dans l’atmosphère pluvieuse et poisseuse d’une mégapole métissée, le spectateur découvre un mélange rétrofuturiste de science-fiction et de film noir.

Harrison Ford dans le film "Blade Runner" de 1982 réalisé par Ridley Scott. [AFP - The Ladd Company]
Harrison Ford dans le film "Blade Runner" de 1982 réalisé par Ridley Scott. [AFP - The Ladd Company]

Message philosophique

La richesse visuelle éblouissante de "Blade Runner" s'accorde à merveille avec la dimension philosophique de cette histoire qui interroge en profondeur la mortalité, et la conscience de soi (le nom du héros renvoie directement à Descartes et à son fameux "Je pense donc je suis"). Un pur classique qui ne sera toutefois pas instantané.

De l'échec au triomphe

Quand Ridley Scott rend sa copie de "Blade Runner", les producteurs prennent peur. Le film est jugé trop sombre, trop complexe, pas assez porté sur l’action. Des projections-test sont organisées sur un échantillon de spectateurs désorientés par ce qu’on leur montre. Scott est contraint d’ajouter une voix off, où son héros explique le récit, ainsi qu’un happy end.

Scène du film "E.T. l'extraterrestre" réalisé par Steven Spielberg en 1982. [AFP - Universal Pictures]
Scène du film "E.T. l'extraterrestre" réalisé par Steven Spielberg en 1982. [AFP - Universal Pictures]

La concurrence de "E.T"

La version remaniée sort dans les salles américaines le 25 juin 1982. La critique est partagée. Le public ne se déplace guère et les recettes finales de "Blade Runner" aux États-Unis atteignent péniblement les 14 millions de dollars. Un échec attribué à la sortie, deux semaines auparavant, d’un autre film de science-fiction: "E.T.".

Il faudra les diffusions télévisées et le marché vidéo pour que "Blade Runner" acquière sa juste place au panthéon des chefs-d’oeuvre de la science-fiction. Plusieurs versions et remontages seront encore nécessaires pour que Ridley Scott reconstitue le long-métrage qu'il avait imaginé à l’origine.

Ridley Scott dirige le tournage de "Blade Runner" en 1982. [AFP - The Ladd Company]
Ridley Scott dirige le tournage de "Blade Runner" en 1982. [AFP - The Ladd Company]

En 1991, la légendaire copie de travail, rendue par Ridley Scott à ses producteurs avant d’être altérée, est projetée dans quelques cinémas. La voix off et le happy end imposés au cinéaste ont disparu. Manque encore une séquence célèbre où Rick Deckard rêvait d’une licorne.

Suggérant que le héros du film puisse être lui-même un répliquant, la scène est enfin intégrée au "Director's Cut" qui sort en 1992 pour les 10 ans de "Blade Runner". En 2007, un "Final Cut" sera encore édité en DVD et Blu Ray, avant tout focalisé sur un travail de restauration de l'image et du son.

Genèse d'une suite

Les acteurs du film "Blade Runner 2049" pose à Paris en septembre 2017. [AFP - Philippe Lopez]
Les acteurs du film "Blade Runner 2049" pose à Paris en septembre 2017. [AFP - Philippe Lopez]

Il aura fallu 35 ans pour que "Blade Runner" bénéficie d’une suite. Ce n’était pas faute d’essayer. Peu après la sortie de l’original, Ridley Scott exprime plusieurs fois le désir de mettre en scène une deuxième aventure. Comme il ne possède pas les droits du film, son vœu reste pieux.

En 1995, un livre, intitulé "Blade Runner 2" et situé à Los Angeles durant l’été 2020, parait et sera même prolongé par deux autres suites. Un scénariste s’inspire de ce roman et fait circuler son script, baptisé "Blade Runner Down", à Hollywood. Plusieurs studios s’y intéressent, mais ne peuvent monter le projet sans un accord avec le détenteur des droits du premier film. Tiroir!

Ridley Scott, et son frère Tony, tentent sans succès de monter un antépisode sous la forme d’une websérie. En 2011, Ridley annonce officiellement qu'il va donner une suite à "Blade Runner". Il se désiste en 2014, trop occupé sur "Alien Covenant". Il garde la casquette de producteur et porte son intérêt sur le réalisateur québécois Denis Villeneuve.

Qui est Denis Villeneuve?

Denis Villeneuve, réalisateur de "Blade Runner 2049", pose à Rome en 2017. [AFP - Tiziana Fabi]
Denis Villeneuve, réalisateur de "Blade Runner 2049", pose à Rome en 2017. [AFP - Tiziana Fabi]

Canadien aujourd'hui âgé de 49 ans, Denis Villeneuve débute au cinéma en 1998, avec "Un 32 août sur terre". Il enchaîne avec "Maelström" (2000) et "Polytechnique" (2009), deux drames existentiels portés par une mise en scène formaliste et une narration non linéaire. C’est avec "Incendies" (2010), adaptation de la pièce de Wajdi Mouawad, que Villeneuve se fait remarquer internationalement. Ce récit de deux jumeaux en quête de leurs origines familiales au Moyen-Orient obtient une nomination aux Oscar pour le meilleur film étranger.

Hollywood lui fait les yeux doux. En 2013, il réalise son premier film américain avec "Prisoners", thriller psychologique qui tourne autour de l’enlèvement de deux fillettes. Les critiques sont dithyrambiques et le succès commercial au rendez-vous. Suivront "Sicario" (2015), film policier sur les cartels de la drogue mexicains, et "Premier contact" (2016), oeuvre de science-fiction qui traite de la question du langage, de la communication, et du temps. Trois productions hollywoodiennes d’une exigence et d’une maturité rares qui affirment le style Villeneuve: un souci constant des personnages allié à une mise en scène aussi personnelle qu'efficace.

Après "Blade Runner 2049", Denis Villeneuve s’attelle désormais à un projet que Ridley Scott avait abandonné bien avant lui et que David Lynch avait fini par réaliser en 1984: "Dune", d’après le monument de science-fiction écrit par Frank Herbert. De là à affirmer que Villeneuve est en passe de devenir le nouveau fils prodigue de Hollywood…

>> A écouter dans Vertigo :

Harrison Ford est Rick Deckard dans Blade Runner 2049.
Alcon Entertainment/Warner Bros. Pictures
Keystone [Keystone - Alcon Entertainment/Warner Bros. Pictures]Keystone - Alcon Entertainment/Warner Bros. Pictures
Vertigo - Publié le 3 octobre 2017

Crédits

Proposition et texte: Rafael Wolf

RTS Culture

Octobre 2017